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Robert Fisk : Al Qaida est vaincue ? Allez dire ça aux Marines !


« Al-Qaïda est un mode de pensée, pas une armée. Elle se nourrit de la douleur, de la peur et de la cruauté - notre cruauté et notre oppression - et aussi longtemps que nous continuerons de dominer le monde musulman avec nos hélicoptères Apache, nos tanks, nos véhicules de patrouille, notre artillerie, nos bombes et nos dictateurs « amis », aussi longtemps Al Qaida continuera d’exister. » Après les récentes déclarations du directeur de la CIA affirmant que la défaite d’Al Qaida était proche, Fisk dénonce la vacuité des discours tenus à Washington en regard de la réalité sur le terrain. Celle d’une guerre allant du Liban au Pakistan, où l’occident tente sans succès d’imposer sa loi par la force des armes.

Robert Fisk, The Independent, 1er juin 2008

Ainsi, Al-Qaïda serait « presque vaincue » ? Des succès importants auraient été remportés contre Al-Qaïda ? L’organisation serait virtuellement défaite ? « Dans l’ensemble, nous avons de très bons résultats » déclare le patron de la CIA, Michael Hayden, dans le Washington Post. « La défaite stratégique d’Al-Qaïda en Irak est proche. La défaite stratégique pour Al-Qaïda en Arabie saoudite est proche. Al-Qaïda a subi d’importants revers au niveau mondial - et je vais employer le mot dans son acception « idéologique », - une grande partie du monde islamique se détourne de leur modèle de l’Islam. » Cela pourrait presque faire illusion.

Six mille morts en Afghanistan, des dizaines de milliers de morts en Irak, un attentat-suicide par jour en Mésopotamie, le plus haut niveau de suicides jamais enregistré dans l’armée américaine - la presse arabe met à juste titre cette information en parallèle avec les déclarations de Hayden -, sans oublier les bases américaines permanente en Irak au delà de ce 31 décembre. Et nous aurions gagné ?

Il y a de cela moins de deux ans, nous avons également eu droit à une évaluation aberrante sur le déroulement de cette guerre, lorsque le général Peter Pace, l’étrange (et heureusement depuis lors retraité) chef d’état-major US, déclarait au sujet de la guerre américaine en Irak que « nous ne sommes pas en train de gagner mais nous ne sommes pas en train de perdre ». À cette occasion, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, avait déclaré être d’accord avec Pace « nous ne gagnons pas, mais nous ne perdons pas ».

James Baker, qui venait de publier son propre rapport sur le bourbier Irakien écrivait alors - lecteur, retenez-vous de rire ou pleurer - « Je ne pense pas que l’on puisse dire que nous sommes en train de perdre. Dans le même ordre d’idées, je ne suis pas sûr que nous sommes en train de gagner ». A la suite de quoi, Bush en personne proclamait « Nous ne sommes pas en train de gagner, nous ne sommes pas en train de perdre. » Pitié pour les Irakiens. Mais qu’à cela ne tienne, cette fois-ci nous sommes vraiment, vraiment en train de gagner. Ou tout au moins Al-Qaïda est « presque » - notez bien le « presque », les amis - vaincu. Puisque Mike Hayden nous le dit.

Suis-je le seul à trouver cela infantile à un point frisant la déraison ? Tant que l’injustice régnera au Moyen-Orient, Al-Qaïda gagnera. Tant que nous aurons 22 fois plus de forces occidentales dans le monde musulman que nous n’en avions temps des croisades - mes calculs sont assez précis - nous continuerons d’être en guerre contre les musulmans. L’infernale catastrophe Moyen-Orientale est désormais en train de se propager à travers le Pakistan, l’Afghanistan, l’Irak, Gaza, et même au Liban. Et nous serions en train de vaincre ?

Certes, nous avons gagné un répit en Irak en achetant la moitié des insurgés afin qu’il se battent pour nous et qu’ils tuent leurs cousins d’Al-Qaïda. Bien sûr, nous continuons à soutenir le régime de tortionnaires et de coupeurs de têtes d’Arabie Saoudite. Cela ne nous pose aucun problème, j’imagine, vu notre enthousiasme pour « le supplice de la baignoire ». Mais cela ne signifie pas que l’organisation Al-Qaïda soit vaincue.

Car Al-Qaïda est un mode de pensée, pas une armée. Elle se nourrit de la douleur, de la peur et de la cruauté - notre cruauté et notre oppression - et aussi longtemps que nous continuerons de dominer le monde musulman avec nos hélicoptères Apache, nos tanks, nos véhicules de patrouille, notre artillerie, nos bombes et nos dictateurs « amis », aussi longtemps Al Qaida continuera d’exister.

Devrons-nous vivre cette folie jusqu’aux dernières heures du régime Bush à Washington ? N’y a-t-il donc personne dans cette magnifique ville impériale qui comprenne ce que « nous » faisons ici au Moyen-Orient ? Pourquoi donc le Washington Post lui même offre-t-il ses colonnes aux divagations d’un fonctionnaire de la CIA, ce service qui n’a pas réussi à empêcher le 11 septembre parce que - si l’on en croit ce que l’on rapporte - un appel téléphonique en arabe mentionnant les avions allant s’écraser sur les tours jumelles n’aurait pas été traduits à temps ? Allons-nous bombarder l’Iran ? Est-ce là ce que nous attendons aujourd’hui ? Ou bien une autre guerre américano-iranienne aura-t-elle lieu au Liban, opposant le Hezbollah et les Israéliens ? Et Mike croit-il qu’Al-Qaïda soit présent en Iran ?

Israël continue de construire des colonies pour les Juifs - et les Juifs uniquement - sur des terres arabes. Et Washington ne fait rien. Bien que ces implantations soient illégales, George Bush les approuve. Elles alimentent la colère et la frustration et font naître un sentiment justifié de colère, mais Washington n’empêche pas ce scandale de perdurer. En ouvrant chaque matin mon quotidien en langue arabe j’y trouve de nouvelles raisons pour lesquelles Ben Laden ne va pas disparaître de ce monde.

Considérez cette information en provenance de Gaza cette semaine. Huit étudiants palestiniens avaient été sélectionnés par le programme Fulbright offrant des bourses pour étudier aux États-Unis. Vous pourriez penser, n’est-ce pas, qu’il était dans l’intérêt des Etats-Unis de faire venir ces jeunes musulmans au pays de la liberté. Mais non. Israël ne les laissera pas quitter Gaza. Cela doit faire partie de la « guerre contre le terrorisme » qu’Israël affirme mener aux côtés de l’Amérique. Le Département d’Etat américain a donc annulé les bourses d’études. Non, inutile de vous transformer en candidat à l’attentat suicide pour Al Qaida en raison d’une telle absurdité. Mais il serait difficile de trouver dans le journal d’hier une information qui soit plus significative que cette petite vexation minable [1].

Mike Hayden la lira-t-il ? Ou bien a-t-il - à l’image de la plupart à Washington - tellement peur d’Israël qu’il ne manifestera pas la plus petite réaction ? La CIA ne comprend-elle pas, est-elle incapable de se représenter que tant que nous laisserons le Moyen-Orient maintenu dans une situation injuste, Al-Qaida continuera d’exister ? Voila ce que l’on m’a demandé à Bagdad : Pourquoi nos forces militaires sont-elles au Pakistan, en Afghanistan, Irak, Jordanie, Turquie, Egypte, Algérie (les forces spéciales des États-Unis y disposent d’une base près de Tamanraset), Bahreïn, Koweït, Yémen, Oman, Arabie Saoudite, Qatar et Tadjikistan ? ( Les pilotes des chasseurs-bombardiers français sont basés à Douchanbé et fournissent « un soutien aérien rapproché » aux soldats Anglais en Afghanistan.)

Aussi longtemps que nous déroulerons ce rideau de fer à travers le Moyen-Orient, nous serons en guerre et Al-Qaïda sera en guerre contre nous. Ce nouveau rideau de fer, en fait, démarre au Groenland et s’étend à travers la Grande-Bretagne et l’Allemagne, passe par la Bosnie, la Grèce et la Turquie. A quoi sert-il ? Qui se trouve de l’autre côté ? La Russie, la Chine, l’Inde.

Ce sont des questions que nous ne nous posons pas. Ce n’est certainement pas le genre de questions que le Washington Post oserait soumettre à Mike et ses potes de la CIA. Oui, nous discourons sur la démocratie, la liberté et les droits de l’homme, bien que nous n’en accordions qu’assez peu au monde musulman. Car le genre de liberté qu’ils revendiquent - le genre de liberté qui permet à des groupes comme Al-Qaida de prospérer - c’est d’être libéré de « nous ». Et cela, je le crains fort, nous n’avons pas l’intention de le leur donner.

Mike Hayman peut croire que le monde musulman « repousse » « le modèle d’Islam » prôné par Al Qaida, mais j’en doute. En fait, j’ai plutôt tendance à penser qu’Al-Qaïda est de plus en plus forte. Mike dit qu’ils sont vaincus en Irak et en Arabie Saoudite. Mais sont-ils vaincus à Londres ? Et à Bali ? Et à New York et Washington ?


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Publication originale The independent, traduction Contre Info

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