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Le Monde musulman a-t-il un avenir?

Chems Eddine Chitour

«Dieu ne changera rien dans la situation des hommes s’ils ne changent pas ce qui est en eux.» (Coran, Ar Ra’ad, Le tonnerre, sourate XIII verset 11)

Ce verset du Coran résume mieux que mille discours l’état de déliquescence du Monde musulman en ce qui concerne sa visibilité sur le théâtre du Monde. Les dernières provocations subies, notamment à propos de la Palestine, devraient nous convai-ncre définitivement que le Monde musulman n’est pas un Monde au sens de l’unité et de l’action. C’est tout au plus un catalogue de pays avec des idéologies aux antipodes les unes des autres, sans ambition si ce n’est de voir passer les jours, d’attendre de meilleurs auspices et de prier pour que l’Occident subisse un affaissement de lui-même. Dans une précédente contribution, j’avais parlé du monde en 2025 et j’avais rapporté des études qui visaient à montrer que le barycentre du Monde en termes de puissance économique et financière va basculer vers l’Orient c’est-à-dire l’Asie. Qu’en sera-t-il du Monde musulman ou plus précisément du Monde arabe car, en toute honnêteté, il serait injuste de mettre la Malaisie ou l’Indonésie voire la Turquie et surtout l’Iran dans le même panier que le Monde dit arabe ou plus précisément d’expression arabe. Non, on ne peut pas mettre sur le même plan l’Iran, qui construit ses fusées, ses satellites, qui a un cap, la Malaisie avec un taux de croissance qui frise les deux chiffres avec les pays rentiers arabes de l’Opep.

Cette contribution qui fait l’économie de la 14e Journée de l’énergie, se veut être justement un état des lieux sur l’un des défis les plus imminents: la pénurie d’énergie corrélée avec les changements climatiques. Le monde musulman d’aujourd’hui est constitué essentiellement d’une trentaine de pays répartis entre l’Asie et l’Afrique. Ils occupent une superficie totale de 24 millions de kilomètres carrés. Néanmoins, des communautés considérables de musulmans vivent dans des pays non-musulmans tels l’Inde, la Chine, sans oublier les émigrés musulmans qui vivent en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord. Le monde musulman compte, à la fin 2009, plus d’un milliard et demi d’individus, soit un peu plus d’un cinquième de la population mondiale qui est de 6,8 milliards. En l’espace de 30 ans, la population a pratiquement doublé. La croissance annuelle est estimée actuellement à 2%. Nous constatons une grande disparité entre les PIB par habitant des pays constituant le monde musulman. Un Emirati consomme 12 tonnes de pétrole par an (une fois et demie la consommation de l’Américain) et un Somalien 200 kg! En clair, ce dernier consomme en une année ce que consomme l’Emirati en une semaine. Mieux, en termes de PIB, l’un est à 50.000 dollars l’autre à 500! Cherchez l’erreur! Et pourtant, ce sont des pays musulmans frères...Une partie des pays est riche en énergies fossiles, elle exporte d’une façon frénétique une grande quantité d’hydrocarbures, de ce fait, les recettes sont considérables surtout ces dernières années. 810 milliards en 2008, 8500 milliards en trente ans pour les pays rentiers arabes. L’essentiel de leur PIB est dû à la rente pétrolière. Les pays asiatiques ont un PIB qui est surtout dû à l’industrialisation. Du point de vue du Pnud, le Monde musulman est mal classé selon les indicateurs internationaux tels que l’Indice de développement humain qui conjugue plusieurs paramètres tels que le système éducatif et sa performance, la santé et l’accès aux soins, la richesse, les libertés...Du point de vue justement de l’éducation, le Pnud classe les pays musulmans arabes, pratiquement au dernier rang. Il n’y a, par exemple, aucune université arabe dans les 5000 premières universités au monde. Le Monde arabe dans son ensemble publie moins d’ouvrages qu’un petit pays comme la Grèce. En un siècle, il n’y a que trois prix Nobel (Physique, Chimie, Littérature). En 2005, ll y avait plus d’internautes en Israël que dans tout le Monde arabe!! Comparé au Monde, le monde musulman n’est pas un acteur dominant si ce n’est qu’en tant que pourvoyeur de pétrole et de gaz naturel. D’après BP Statistical Review, en fin 2008, les consommations mondiales d’énergie primaire se sont élevées à 11.295 millions de tep, et l’énergie nucléaire (619,7 millions de tep) et l’énergie hydraulique (717,5 millions de tep). La production de CO2 a été de 27 milliards de tonnes La consommation d’énergie par unité de PIB: environ 0,21 tep par millier de dollar (1).

Le Monde musulman détient les deux tiers du pétrole et la moitié du gaz naturel du monde. Il exporte pour environ 25 millions de barils /jour, de pétrole (30%) et près de 250 milliards de m3 de gaz (10%). Du point de vue de la stratégie énergétique, mis à part les pays musulmans non arabes (Indonésie, Iran, Malaisie...), il n’y a pas de stratégie énergétique si ce n’est vendre encore plus de pétrole et de gaz. La pénurie en ressources hydriques, l’après-pétrole, les changements climatiques, voire le développement durable sont des concepts encore étrangers aux pays arabes. S’agissant justement, du Monde arabe, sa superficie est de 15,5 millions de km², soit presque 3,53 fois la superficie de l’Union européenne et 12% de la surface du Monde. La population est de 325 millions d’habitants. Le Monde arabe dispose de 55% du pétrole mondial et de 30% du gaz. Les énergies renouvelables, mise à part l’hydraulique, ne sont pas développées d’une façon importante. La production d’énergie est de 1,78 milliard de tep en 2009 soit 16,5% du total. Pour le gaz naturel, le Monde arabe produit 418 milliards de m3 sur un total mondial de 2800 milliards de m3 soit 15%. La production d’électricité est de 601 TWh en 2009 sur un total de 18.000 TWh soit à peine 3,5%. La consommation totale d’énergie est de 487,5 millions de tonnes soit moins de 4,5%. Le Monde arabe a émis 1,5 milliard de tonnes de CO2 dont une grande partie pour le tertiaire.

2030, c’est demain

La population mondiale sera de 8,5 milliards en 2030. Le peak pétrolier longtemps nié, est une réalité. Plusieurs études le situent au gré de la géopolitique du moment, en 2008 (déjà passé?!) ou dans les prochaines années (2012?, 2015?, voire 2025 pour les optimistes). D’ici 2030, l’AIE prévoit dans son scénario de référence, une demande d’énergie primaire qui passerait ainsi de 10 milliards de tep en 2000 à 17,7 milliards de tep en 2030. (2)

Nous avons vu que globalement le Monde musulman, exception faite des pays musulmans non arabes, est d’autant plus vulnérable qu’il ne se prépare pas aux défis de l’avenir qui seront de plus en plus difficiles à maîtriser si des solutions ne sont pas mises en oeuvre dès maintenant. L’un des défis majeurs auquelx aura à faire face le Monde musulman est le défi des changements climatiques avec un danger particulier: la pénurie d’eau pour les pays arabes. Un grand nombre de pays musulmans souffrent d’un stress hydrique aigu appelé à s’accentuer dans les années à venir par l’impact direct des changements climatiques. En effet, les parties nord-africaines et moyen-orientales du monde musulman connaissent une faible pluviométrie, de plus en plus perturbée. Des stratégies de dessalement de l’eau de mer ont été adoptées mais elles ne répondent pas aux besoins d’une population croissante qui aspire à un mode de vie élevé sachant que ces installations coûtent cher et consomment énormément d’énergie avec une technologie encore mal maîtrisée. D’autant que les usines de dessalement installées consomment énormément d’hydrocarbure.

Qu’adviendra-t-il quand il n’y aura plus d’hydrocarbures? Il y aura certainement et concomitamment pénurie d’eau! N’aurait-il pas été plus sage de mettre en oeuvre des technologies douces utilisant le solaire et même l’éolien pour le dessalement de l’eau de mer.

Les stratégies énergétiques des pays musulmans ne sont pas tout à fait claires. Depuis plus d’un demi-siècle, ils essayent d’assouvir la soif d’un Occident qui demande de plus en plus d’énergie en épuisant leurs ressources sans jamais atteindre le fameux développement tant rêvé! Des stratégies énergétiques basées sur une production rationnelle suivant la consommation, doivent être adoptées le plus tôt possible. Les prix augmenteront inexorablement dans un futur proche, le simple bon sens impose de produire avec parcimonie pour donner une durée à ces réserves, durée qui permettra de mettre en place un plan cohérent de développement pérenne couplé au dopage de la recherche scientifique créatrice de richesses. Dès maintenant, des mesures doivent être prises pour préparer la transition énergétique. Cela, par l’intégration des énergies renouvelables d’une manière progressive dans les bilans énergétiques sachant que le monde musulman a un potentiel énorme en ces énergies du futur. L’exemple du solaire est des plus frappants. D’autres énergies renouvelables telles l’énergie éolienne, l’hydroélectricité, la géothermie et la biomasse sont à exploiter afin de mieux diversifier les sources dans un contexte de développement durable axé sur l’indépendance énergétique et la protection de l’environnement.

Pour ce qui est de l’Algérie, elle pollue à sa façon et aggrave l’effet de serre sans créer de richesses. L’illusion factice éphémère est en définitive dangereuse, s’endetter pour une voiture, accrocher un portable à son oreille est un signe de sous-développement qui risque d’être irréversible si on ne prend pas en marche le train des réformes mondiales. L’Algérie a un immense potentiel renouvelable qui attend d’être développé. A quoi cela sert d’extraire pour 160 millions de tep, si notre consommation est autour de 35 millions de tep? Nos exportations devraient être calibrées de plus en plus sur nos besoins en devises. Le pétrole sera rare et cher, qui peut dire si son prix ne dépassera pas les 200 dollars l’année prochaine, surtout si le dollar continue à s’effriter? Notre meilleure banque c’est encore notre sous-sol. Il n’est pas sage de pomper le pétrole, ce qui compromet, qu’on le veuille ou non, l’avenir des générations qui atteindront la maturité vers 2030. Justement, il est utopique de croire que l’on puisse trouver un nouveau gisement de la taille de Hassi Messaoud ou de Hassi R’mel. Avec une production de loin supérieure aux découvertes. Doit-on continuer la bazarisation de l’économie caractérisée par une panne du neurone? Ne savons-nous plus rien faire en nous remettant aux autres? Il nous faut une stratégie énergétique et climatique. Il nous faudra mettre en oeuvre des scénarii de consommation prenant en charge plusieurs paramètres: la politique des transports. Rien n’est plus important que l’avenir des Algériens et des Algériennes qu’il faut privilégier sur nos «engagements». Il est utopique et dangereux de penser que l’Algérie continuera d’une façon paresseuse à engranger des devises pendant encore longtemps.

La fausse aisance actuelle est trompeuse, elle n’incite pas à l’effort et à la sueur Des états généraux de l’énergie permettront de tracer une feuille de route, nul doute qu’elle remettra la machine en marche. L’université doit être partie prenante de ces mutations. L’avenir et la place des musulmans dépendent de la capacité des musulmans à préparer la jeunesse musulmane aux défis de l’avenir. Etre un leader pour un musulman, c’est une pratique au quotidien de l’Ijtihad: «L’effort dans le chemin de Dieu» qui se décline par l’investissement à marche forcée dans la science et la technologie.

Le problème n’est pas l’Islam mais ce qu’ont en fait les hommes gouvernants et gouvernés dans le monde musulman. Au lieu de répéter d’une façon itérative que l’Islam est une religion d’amour, de paix, le moment est peut-être venu de se mettre au travail, de prouver dans les faits que c’est aussi une religion qui encourage la science et la technologie. Quand les musulmans se rencon-trent (ronronnement de l’OCI), ils parlent de tout sauf de l’essentiel dans une approche tout à fait hypocrite qui élude les vrais problèmes. A-t-on jamais vu l’OCI parler de stratégie scientifique coordonnée? Qu’a fait le Monde musulman de ses richesses énergétiques, à part donner le mauvais exemple par potentats arabes interposés où la gabegie le dispute à l’ignorance laissant de ce fait les Musulmans sous une chape de plomb de l’intolérance et voulant perpétuer au XXIe siècle le faste des Mille et une nuits de Haroun Ar Rachid d’il y a douze siècles, encore que ce dernier avait un respect sincère pour la science?

L’avenir c’est le savoir

Oui, le Monde musulman a un avenir, s’il retrouve ses repères identitaires et religieux. Dans un monde de plus en plus globalisé et paradoxalement où chacun se regroupe par affinité géographique, linguistique voire de plus en plus religieuse, le Monde musulman se doit de parler d’une seule voix. L’avenir appartiendra aux sociétés fascinées par le savoir. L’avenir du monde musulman ne peut plus se décliner par individualité, s’il continue ainsi il disparaîtra progressivement par une lente déliquescence. Il sera alors le futur esclave d’une seigneurie forcément occidentale ou orientale. Que l’on ne se leurre pas! La richesse éphémère en énergie fossile durera encore une génération. Après, si rien n’est fait, le désert reprendra ses droits. Le Monde musulman a devant lui une génération pour faire le saut qualitatif qui lui permettra d’être développé. Sans être naïf, est-il possible d’envisager une utopie où le Monde musulman crée une zakat pour alimenter un fonds de recherche et de développement de la science et de la technologie? Si le Monde musulman décide que chaque calorie vendue est adossée à l’achat d’un savoir et d’un savoir-faire, on peut envisager un Plan Marshall du développement durable du Monde musulman. Il est tout à fait possible de mobiliser 5% des recettes pétrolières (environ 50 milliards de dollars par an) pour commencer à bâtir sérieusement une économie verte allant du Maghreb à l’Asie. Sur une vingtaine d’années, il est possible d’installer du solaire sur un territoire immense, comme le prévoit l’Union européenne avec le projet Desertec. Le Monde musulman peut prétendre à une technologie nucléaire civile s’il est uni et solidaire. Il rentrera, alors, de plain-pied dans le développement non plus en tant que consommateur mais en tant que producteur. Cependant, les vraies richesses du Monde musulman ne sont pas seulement dans ses gisements d’énergies fossiles amenées à disparaître un jour, mais dans ses ressources humaines, plus précisément ses jeunes diplômés capables de relever les défis du futur. Il «suffit» de leur donner les moyens pour s’épanouir afin de retrouver la gloire perdue depuis maintenant plusieurs siècles. Les gouvernants ont une responsabilité historique de mettre le Monde musulman sur l’orbite du savoir. Les moyens existent, les hommes existent, en ont-ils la détermination?

Chems Eddine Chitour
19 avril 2010


Notes

1. BP Statistical: Review of World Energy June 2009
2. Agence internationale de l’énergie. Perspectives futures à 2030. Novembre 2009.


Source : L'Expression du 19 avril 2010

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