شبكة الإستخبارات الإسلامية

Genocide francais en Algerie : Les années de sang et le rôle des agents d’influence

Entretien avec Lounis Aggoun (2/2)
 
par Silvia Cattori*


 
Les crimes commis par le régime militaire algérien sous couvert de lutte contre le terrorisme ont été blanchis dans la presse internationale par des agents d’influence. Au centre de ce dispositif, observe Lounis Aggoun dans un entretien avec Silvia Cattori, des tireurs de ficelles (Jacques Attali, Bernard-Henry Lévy, etc.) et des second couteaux peu scrupuleux (Yasmina Khadra, Daniel Leconte, Xavier Raufer, Mohamed Sifaoui etc.).



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Al Qaida au Magreb Islamique (AQMI), un pseudo groupe islamiste contrôlé par le DRS algérien, sert à justifier la guerre au terrorisme et les pleins pouvoirs du régime militaire algérien.

Cet entretien fait suite à :

« Algérie : Les années de sang et les complicités de la France ».

Silvia Cattori : En 1999 les téléspectateurs francophones ont pu voir, horrifiés, « Bentalha autopsie d’un massacre » [1]  ; ce reportage montrait que, dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997, l’armée algérienne avait sauvagement tué quelque deux cents villageois. En vous lisant on comprend que ces révélations n’avaient alors pas réussi à lever le voile sur les crimes d’État. Notamment à cause de « l’influence de Bernard-Henri Lévy [2] et d’une brochette d’intellectuels négatifs, André Glucksmann [3], Denis Jeambar [4], Daniel Leconte [5], etc.), bien secondés par des hommes politiques influents », dont Jack Lang et Hubert Védrine. Pouvez-vous expliciter comment cette « influence » s’est manifestée ?
Lounis Aggoun : Il faut d’abord saluer la rédaction de France 2 qui a eu le courage de présenter ce document ; il y avait à cette époque Paul Nahon et Bernard Benyamin. Elle n’a plus osé reproduire l’expérience, depuis notamment qu’Arlette Chabot en a été nommée directrice et où la culture du mensonge a atteint une apogée.

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Bernard-Henri Lévy, milliardaire français néoconservateur. Il contrôle d’une main de fer le contenu idéologique d’une grande partie des médias et de l’édition en France.
Concernant Bernard-Henri Lévy (surnommé BHL), on connaît son rôle habituel dans la galaxie médiatique et l’influence néfaste qu’il a exercée en 1998 en publiant dans Le Monde – à la suite d’une visite de deux jours sous escorte militaire en Algérie – un texte où il exonérait les généraux algériens de tous leurs crimes, hormis peut-être, disait-il, celui d’incompétence.

Permettez que je cite un extrait de la réponse de Pierre Bourdieu à Bernard-Henri Lévy, qu’aucun média n’a jugé opportun de publier, et qui illustre bien le personnage :

« Tous ceux qui ont été là, jour après jour, pendant des années, pour recevoir les réfugiés algériens, […] qui se sont mobilisés, dès juin 1993, dès les premiers assassinats, non seulement pour apporter secours et protection autant que c’était possible, mais pour essayer de s’informer et d’informer, de comprendre et de faire comprendre une réalité complexe, et qui se sont battus, inlassablement […] pour arracher la crise algérienne aux visions unilatérales, tous ces intellectuels de tous les pays qui se sont unis pour combattre l’indifférence ou la xénophobie, pour rappeler au respect de la complexité du monde en dénouant les confusions, délibérément entretenues par certains, ont soudain découvert que tous leurs efforts pouvaient être détruits, anéantis, en deux temps 

trois mouvements. Deux articles écrits au terme d’un voyage sous escorte, programmé, balisé, surveillé par les autorités ou l’armée algérienne, qui seront publiés dans le plus grand quotidien français, quoique bourrés de platitudes et d’erreurs et tout orientés vers une conclusion simpliste, bien faite pour donner satisfaction à l’apitoiement superficiel et à la haine raciste, maquillée en indignation humaniste. Un meeting unanimiste regroupant tout le gratin de l’intelligentsia médiatique et des hommes politiques allant du libéral intégriste à l’écologiste opportuniste en passant par la passionaria des "éradicateurs" [6]. Une émission de télévision parfaitement unilatérale sous des apparences de neutralité. Et le tour est joué. Le compteur est remis à zéro. L’intellectuel négatif a rempli sa mission : qui voudra se dire solidaire des égorgeurs, des violeurs et des assassins, – surtout quand il s’agit de gens que l’on désigne, sans autre attendu historique, comme des "fous de l’islam", enveloppé sous le nom honni d’islamisme, condensé de tous les fanatismes orientaux, bien fait pour donner au mépris raciste l’alibi indiscutable de la légitimité éthique et laïque ? […] » [7]

Bernard-Henri Lévy, ce médiocre penseur présenté partout comme un intellectuel, cet essayiste engagé aux côtés des puissants — en l’occurrence, des criminels de masse — a réussi à mettre sous chape un mouvement d’opinion naissant en France, favorable au peuple algérien.

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Le massacre de Bentalha (22 septembre 1997)
Cela se passait quelques mois après le massacre de Bentalha où, rappelons-le, les militaires qu’il exonérait ainsi de toute responsabilité, avaient planifié et exécuté — en encadrant des escadrons de la mort constitués de terroristes « islamistes » à leur solde — le massacre indicible d’un millier de personnes en quelques heures de la nuit, dans un secteur soigneusement balisé par l’armée qui, pour toute intervention, s’est bornée à empêcher les populations des villages voisins de porter secours aux assiégés, et à barrer la route aux victimes pour les forcer à regagner les lieux du massacre.
Le jour où cette vérité — que ne contestent que ces « agents » de la désinformation — sera admise par les médias, Bernard-Henri Lévy apparaîtra sous son vrai visage : celui du complice de bien des crimes de masse, de bien des crimes contre l’humanité, et le receleur des spoliations qui en découlent. En attendant, il est considéré comme le philosophe contemporain le plus talentueux du monde.
En vérité, les élucubrations de Bernard-Henri Lévy ne font illusion que dans le microcosme médiatique-politique français qui, contre l’évidence, et de façon délibérée, tente d’imposer une vision binaire du monde où il y a d’un côté les bons démocrates, eux, le Bien, et de l’autre les « islamo-terroristes » et leurs complices, c’est-à-dire tous ceux qui ne prennent pas ce qu’ils professent pour argent comptant, le Mal. Et si Bernard-Henri Lévy a cette influence, c’est qu’il peut compter sur de solides soutiens dans les médias.
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Daniel Leconte, journaliste français néoconservateur et producteur associé à Bernard-Henry Lévy
Sur Arte, une chaîne télévisuelle qui ne manque pourtant pas de compétences, de journalistes et d’historiens intègres, Daniel Leconte sévit en potentat et semble détenir un pouvoir exorbitant. Qu’il y officie comme journaliste à l’éthique problématique, passe encore, étant donné que c’est le sport national. Mais il est aussi copropriétaire — avec Bernard-Henri Lévy — d’une maison de production, Docs en stock, où il réalise des films très contestables du point de vue de la déontologie et de la rigueur. Arte et France télévisions sont devenus un terrain conquis où tous ses films sont diffusés, sans restriction. Les trusts sont interdits dans tous les domaines, sauf dans les médias, où Bernard-Henri Lévy et Daniel Leconte jouent sur du velours.
C’est donc dans ce cadre qu’Arte a organisé une soirée Thema où Bernard-Henri Lévy et Leconte ont déversé leur fiel sur le plateau et au travers de reportages où la partialité était le moindre de leurs défauts. Le matraquage fait ensuite son œuvre, le dogme défendu par cette cohorte malfaisante étant le suivant : les tueurs à l’œuvre en Algérie étaient, de manière évidente, uniquement les fanatiques islamistes comme l’affirmaient les généraux au pouvoir ! Ainsi décrétés innocents par essence, les vrais criminels, pour l’essentiel des agents du DRS (Département du renseignement et de la sécurité), des escadrons de la mort, des ninjas, des milices, purent poursuivre leur œuvre en toute impunité. Et si, ma foi, quelques dérapages étaient à déplorer, ils étaient selon lui parfaitement excusables puisqu’ils avaient pour mission pionnière de barrer la route à la « barbarie islamiste » menaçant la France et l’Occident.
Faire passer des généraux génocidaires pour les sauveurs du monde, voilà l’œuvre en Algérie de Bernard-Henri Lévy, ce « Mickey Mouse » — la comparaison est d’Emir Kusturica, à l’occasion du conflit des Balkans où Tartarin-BHL avait commis des engagements analogues — de la pensée intellectuelle. On connaît aussi son engagement en faveur de la politique israélienne et contre le peuple palestinien, son acharnement contre l’Iran, le Venezuela de Chavez et j’en passe.
L’effet immédiat a été de stopper net le mouvement d’opinion naissant. Ce n’est pas sans conséquence pour le peuple algérien, qui a continué à subir les meurtres de masse sans qu’il soit possible à quiconque, dans le monde entier, de protester, sous peine d’être accusé de soutenir le fanatisme islamique. Concrètement, le régime, qui était sur le point d’être dénoncé à l’échelle mondiale, en est sorti blanchi, renforcé, et légitimé à poursuivre son action meurtrière.
Bernard-Henri Lévy et Daniel Leconte, en anges de la terreur, endossent une lourde responsabilité dans la mort violente de dizaines de milliers d’innocents massacrés après leur intervention, l’armée jouissant d’une impunité acquise grâce à ce blanc-seing.
Si l’Algérie était indépendante aujourd’hui, elle serait fondée à les traîner devant les tribunaux internationaux pour complicité de crimes contre l’humanité. Au lieu de cela, Bernard-Henri Lévy est toujours l’ambassadeur de la position française dans le monde ; et Daniel Leconte continue de déverser à la télévision son venin sur les Maghrébins et les immigrés musulmans, car il voit des barbares dans toutes les banlieues défavorisées entourant Paris.
Silvia Cattori : Tout cela est ahurissant ! La « brochette » des personnalités que vous incriminez dans votre livre s’allonge au fil des pages : Jack Lang, Hubert Védrine, Jean-Louis Bianco, Jacques Attali, Jean-Louis Bruguière [8], Antoine Sfeir [9], Daniel Leconte, Franz-Olivier Giesbert, Guillaume Durand, Yves Calvi, Mohamed Sifaoui, Yasmina Khadra. Ces gens que vous regroupez, qu’ont-ils en commun ? Ont-ils une égale responsabilité dans la collaboration avec « ce simulacre d’Etat » algérien, au cours de ces « années de sang », de cette « sale guerre » qui a fait plus de 200 000 morts ? Selon vous, quelle place occupent précisément Mohamed Sifaoui et Yasmina Khadra ?
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Mohamed Sifaoui, journaliste algérien néo-conservateur
Lounis Aggoun : Mohamed Sifaoui est un homme prêt à « éradiquer » un peuple si cela peut lui apporter une minute de « gloire » à la télévision. Il est une bénédiction pour ce milieu où il fallait un « bougnoule de service ». Il a un profil idéal pour professer la haine du musulman, la haine du jeune de banlieue qui, dans sa dialectique, rêverait de terroriser l’Europe ; la haine des Algériens qui, de son point de vue, sont indignes de la démocratie et ne sauraient rien en faire sinon élire des terroristes à leur tête ; la haine des immigrés qui, prétend-il, n’auront de cesse que lorsqu’ils auront islamisé la France. S’il se conduit de la sorte, ce n’est nullement par conviction, mais parce que c’est l’islamophobie qui paie en ce moment ; il professerait la même haine contre le Français s’il était à Alger, la haine du Satan judéo-américain s’il était en Iran, qu’il prend soin de déverser devant des co-invités triés sur le volet et aussi acharnés que lui.
Voici une anecdote. Invité par I-Télé [10] après un terrible attentat à Alger, je croise Mohamed Sifaoui dans les couloirs, lui aussi convié à réagir à l’événement. Après m’avoir serré la main pour jauger mes intentions, et ayant estimé la consistance de ma poignée de main par trop molle, présageant une attitude hostile à son égard, il se laisse maquiller, fait quelques pas dans le couloir, puis se jette sur son manteau et s’éclipse en simulant une crise, accusant la rédaction d’insulter la mémoire des victimes en donnant la parole à des individus comme moi. Simulacre d’indignation pour éviter d’être confronté à un contradicteur en direct, sans échappatoire possible. En différé, il aurait pu exiger que soient coupées les séquences dérangeantes pour lui, comme il le fit un jour dans l’émission télévisée Arrêt sur images où il avait exigé rien de moins que la censure d’Olivier Roy, réduit à faire de la figuration sur le plateau.
Voilà pour la méthode du « combattant de la démocratie » Sifaoui. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. On croirait que la rédaction d’I-Télé trouverait intolérable qu’un simple invité lui dicte sa conduite et s’interdise de le solliciter à nouveau. Mais une rédaction n’est pas un corps uni et l’inénarrable Robert Ménard [11] — le plus grand pourvoyeur d’agents du Département du renseignement et de la sécurité algérien, dans les médias français du temps où il était directeur de Reporters sans frontières — le reçoit en octobre 2010 dans une parodie de débat musclé qui n’avait d’autre but que la promotion du dernier ouvrage de Sifaoui. Ce dernier préconisa qu’Eric Zemmour soit interdit de parole à la télévision publique dans son propre pays, au prétexte qu’il est raciste — en somme, un ultra-raciste devisant avec un autre sur le sort à donner à quelqu’un qui l’est nettement moins qu’eux deux —, Ménard, devenu de façon instantanée, après une virée décevante dans les pays du Golfe, où comme chacun sait, règne partout la plus grande liberté de la presse, l’intellectuel-scientifique-moralisateur-paternaliste, qui trouve tout ce qui le dérange « ridicule », « stupide même », devenu l’âme en quelque sorte de la chaîne quand son patrimoine intellectuel repose sur deux idées simplistes, en concordance de vues avec Sifaoui, qu’il ressasse à longueur d’interviews : « La France, terre chrétienne » et les « Arabes, réfractaires à la démocratie ».
Les médias français, et des hommes comme Jean-François Kahn ou Paul Amar, promeuvent un Mohamed Sifaoui qui, s’il parvenait au pouvoir, les enverrait au bûcher sans la moindre hésitation.
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Mohammed Moulessehoul (alias Yasmina Khadra), officier algérien chargé de la répression contre les islamistes en Oranie. Il se retire soudain de l’armée, signe des romans et incarne depuis une fausse opposition à celle-ci.
Le cas de Yasmina Khadra – pseudonyme de Mohammed Moulessehoul – se veut plus subtil. Ayant anéanti l’opposition, les généraux algériens avaient besoin de quelqu’un pour l’incarner dans les médias français. D’où la pseudo-retraite de l’armée de cet homme pour personnifier une opposition dans un univers où toute entorse à la version officielle est interdite. Un prétendu opposant qui a justement pour particularité d’être toujours en phase avec les projets du DRS et qui colle parfaitement avec le discours officiel. Son rôle : sous-estimer la menace ou la nier lorsqu’elle existe et l’inventer quand elle n’existe pas. Un agent parachuté derrière les lignes ennemies pour faire son œuvre de sabotage de la démocratie, en quelque sorte. Un « intellectuel » qui se croit digne des meilleurs prix littéraires français et qui serait bien en peine de produire une dissertation digne d’un élève de terminale si elle ne lui était pas soufflée par une brigade de rédacteurs du DRS. Un rôle qu’il peut jouer d’autant plus facilement que, à l’instar de Sifaoui, le terrain est balisé devant lui pour qu’il ait rarement à faire face à un contradicteur qui l’affronte sur le fond.
Mais l’ambition de M. Moulessehoul (Khadra) bute contre une réalité incontournable : il ne sait pas s’exprimer, ce qui l’oblige à restreindre ses interventions à la télé aux opérations de promotion de « ses » ouvrages où un discours indigent vient systématiquement contredire l’érudition supposée des textes qu’il signe. Un vrai débat résoudrait la question en une seule fois et établirait de façon irrévocable que Sifaoui et Khadra sont les ennemis du peuple algérien, les ennemis de la démocratie, les alliés du terrorisme international, les alliés des stratèges de la tension, bref, tout ce qui constitue un bon agent du DRS.
Silvia Cattori : Un passage de votre livre (page 535) me semble également éclairer des manipulations qui ont entouré la guerre contre le peuple d’Afghanistan [12] et continuent d’alimenter la propagande contre l’Iran, propagée en sous main, par Israël [13] : « Ceux qui ont délibérément soutenu un programme qui proclame ouvertement l’éradication d’une partie de la population, ceux qui ont offert leur aide à une tyrannie sur le point d’être démasquée, et ont assuré le relais de leur propagande à un régime mafieux, ne sont pas de simples spectateurs mais des complices. Le journaliste, l’expert médiatique, l’homme politique, peuvent gripper cette machine, or, ils n’ont contribué qu’à huiler ses mécanismes. Il s’agit là du stade suprême de la complicité. (…) C’est cette tâche ignoble qu’ont froidement accomplie Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, bien secondés par Daniel Leconte et quelques autres leaders d’opinion en 1998. (…) Non contents de ne rien faire au bénéfice des victimes, ils ont activement milité pour empêcher la mobilisation de s’organiser pour freiner les bourreaux… » Ce passage a de quoi inquiéter sur les complicités qui contribuent à assurer une audience à ces personnages machiavéliques. Avec ce que l’on sait aujourd’hui de leur alignement [14] sur Israël et les néoconservateurs, on en déduit qu’ils ne sont pas arrivés sur ce terrain par hasard, par erreur !? Sont-ils attachés à un appareil précis ?
Lounis Aggoun : Je me garde d’énoncer des choses dont je ne sais rien et je m’efforce de ne rien écrire que je ne serais capable de défendre devant un jury d’assises. Je me contente de ce je sais pour certain et cela est déjà suffisamment accablant pour cette communauté parasite. Pour autant, les réseaux financiers, industriels, médiatiques, intellectuels, etc., sont bien documentés par de nombreux ouvrages parus ces dernières années. Et les méfaits avérés de Bernard-Henri Lévy sur le peuple algérien sont suffisamment graves pour qu’il soit inutile d’en rajouter. Chacune de ses interventions a été une atteinte à la simple raison, une atteinte à l’humanité.
Silvia Cattori : « Entendre les médias traiter de sujets concernant les Algériens est pénible », écrivez-vous, à la fin de votre ouvrage. En quoi les chaînes télévisées TF1 et France 2 [15], que vous appelez à ne plus regarder, sont-elles plus particulièrement blâmables ? Pensez-vous que leurs rédactions savaient que les massacres attribués au Front Islamique du Salut (FIS) ou au Groupe islamique armé (GIA), faisaient partie d’une « stratégie de la tension » soutenue par des grandes puissances, dont la France ? Est-ce pour étouffer « l’inavouable » qu’elles continuent de solliciter Alain Bauer [16] et Xavier Raufer [17], que vous dites appartenir à une « nouvelle classe d’experts, d’agents d’influence ayant fait carrière dans les services » ?
Lounis Aggoun : Je dis simplement que, quand on a compris que TF1 fabrique du mensonge, que son journal télévisé ne fait pas de l’information mais du bourrage de crâne pour rendre le cerveau de son auditoire « disponible » pour Coca-Cola — selon les termes de son ancien président —, il faut être logique avec soi-même et ne pas contribuer à grossir les audiences qui légitiment ses agressions contre la vérité. Cela étant, TF1 est une entreprise privée qui n’a pas vocation à informer mais à aider son patron à gagner des contrats pour bétonner le monde [18] ; et elle le fait somme toute bien. Le cas de France 2 est plus grave puisque son ambition proclamée est d’informer et qu’elle a une mission de service public qui devrait lui interdire de jouer avec la vérité. Or, sa rédaction réalise le tour de force de faire pire que TF1. Quand Monsieur Pujadas ment, il trahit la confiance de ceux qui financent son salaire, c’est plus pénible. La seule justification qu’il donne à ses trahisons est que ses pourfendeurs sont populistes et jouent le jeu du Front National (FN).
Il ne serait pas très compliqué de démontrer que David Pujadas — tout comme Daniel Bilalian avant lui — ont plus contribué au succès des thèses du FN que Jean-Marie Le Pen lui-même. Et depuis que Nicolas Sarkozy a repris dans des termes encore plus crus les thèses du FN, elles trouvent subitement grâce aux yeux de Pujadas.
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Christian de Bongain (Alias Xavier Raufer), journaliste et criminologue français. Il a travaillé pour diverses couvertures de la CIA, dont le National Strategy Information Center de Bush père.
En voyant les avions percuter les Tours Jumelles, Pujadas a eu cette réaction consternante : « Génial ! ». On devine aisément ce que les propagandistes auraient fait de ce moment « culte » de télévision s’il s’était agi d’un « jeune de banlieue ». Le passage aurait tourné en boucle dans tous les films, comme preuve irréfutable de la barbarie terroriste qui menace aux portes de Paris. S’agissant de Pujadas, tout le monde s’est accordé pour lui trouver des circonstances atténuantes ! Les loups n’ont pas la réputation de s’entredévorer. Et dans cet univers de prosélytisme islamophobe, un Xavier Raufer est une perle : « Il n’y a que parmi les chercheurs du CNRS qu’on croit encore que l’islam n’est pas un danger », affirmait-il devant Yves Calvi il y a quelques années. Tandis que, évoquant les tortures dans la prison d’Abou Ghraïb, Antoine Sfeir disait : « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. » Pas davantage de protestations. On est pourtant bien sur la télévision publique. On peut multiplier à l’infini les citations d’interventions de Jean-Louis Bruguière, Louis Caprioli, Roland Jacquard, Paul Ammar, Daniel Leconte, Philippe Val, etc., qui sont des hymnes racistes, islamophobes, des déclarations qui n’ont rien à envier aux outrances du leader du FN.
Silvia Cattori : Cette « deuxième » guerre d’Algérie n’a-t-elle pas conduit au climat de méfiance et de rejet que les Arabes musulmans connaissent aujourd’hui, notamment en France ? Et au fait que les Algériens, où qu’ils se trouvent, ont des raisons d’être inquiets ? En somme tout s’est déroulé comme les stratèges d’Etat le voulaient ?
Lounis Aggoun : La stratégie de la peur n’est pas nouvelle. Les généraux algériens voulaient garder le pouvoir, quitte à « éliminer deux millions d’Algériens ». Voilà la chose faite.
Silvia Cattori : En Algérie, la vérité est dangereuse pour ces dirigeants qui n’ont pas la conscience tranquille. Mais est-ce aussi le cas en France ?
Lounis Aggoun : Le fait que la vérité soit dangereuse n’empêche pas les Algériens de la réclamer, au péril de leur vie. Le courage des familles de victimes du terrorisme et de leurs comités de défense — qui ont préféré l’honneur dans le dénuement aux millions que les généraux étaient prêt à leur verser pour obtenir leur démission et leur silence — est infiniment plus méritoire que tous les livres que l’on peut publier à l’abri de la répression immédiate. Et ils sont nombreux à écrire des vérités accablantes en Algérie même. Le seul journal qui ait annoncé la sortie de mon livre ne se trouve pas en France ; c’est le Quotidien d’Algérie, et c’est pour en dire du bien. Les médias français occultent systématiquement les efforts incessants des Algériens pour recouvrer un peu de dignité et la souveraineté sur leur propre terre. Une grande partie du drame algérien se vit hélas en France de même que s’y situe le nœud gordien de sa résolution. Mais les médias français ont atteint un tel stade de compromission qu’ils pratiquent l’omerta dans une mesure plus importante encore qu’en Algérie, où certaines révélations parviennent à filtrer, à la faveur de luttes de clans qui se traduisent par des règlements de comptes dans les médias.
Silvia Cattori : Il existe des gens qui ont une exigence de vérité, mais le grand public n’y a quasiment jamais accès. Ce ne sont pas eux qui sont généralement invités à s’exprimer. Vous leur faites honneur dans votre livre du reste. Je pense à ce témoin important de la collusion franco-algérienne : Lucile Schmid [19] Y a-t-il une autorité qui leur fait barrage ?
Lounis Aggoun : C’est même une règle que les seuls qui soient admis dans le débat en France se situent aux extrêmes et que ceux qui peuvent contribuer à la concorde entre les peuples algérien et français sont systématiquement bannis des médias. L’ambassadeur des Nations Unies à Alger, Paolo Lombo, fut invité à quitter le territoire après les inondations de Bab-el-Oued, en 2001, quand il déclara que les Algériens avaient besoin de liberté et de démocratie et non qu’on leur donne du pain. Un téléthon organisé en grande pompe — couronné par un match de football Algérie-OM — a réuni 2 milliards de dinars dont les habitants de Bab-el-Oued n’ont jamais vu la couleur.
Tout le monde peut constater au quotidien — au point que ça en devient caricatural — que chaque fois que quelqu’un est disposé à dénigrer le peuple algérien et à vanter les mérites du pouvoir militaire, il est accueilli avec force compliments sur tous les plateaux de télévision. A contrario, quiconque prend la défense du peuple et critique le régime en est aussitôt banni : Bourdieu y était un paria, François Burgat y est inexistant, et Olivier Roy en a complètement disparu. On peut multiplier les exemples à l’infini, de spécialistes de l’Algérie, d’anciens journalistes du Monde et de Libération — qui ont vécu dans le pays et l’ont aimé — qui ne sont jamais invités à s’exprimer. Anne Dissez était présente dans les bureaux du FIS en décembre 1991, et a été témoin direct, lors de l’annonce des résultats de l’élection, du blêmissement du dirigeant du FIS de l’époque, Abdelkader Hachani (un intellectuel, attaché à la démocratie et à l’intérêt de son pays, et non moins islamiste), qui ne souhaitait nullement la victoire. Hachani a été assassiné depuis par le DRS parce que ne cadrant pas bien avec l’image de l’islamiste égorgeur de bébés que les généraux voulaient présenter ; Anne Dissez a été quant à elle invitée à quitter le pays, manu militari. Jean de la Guérivière, Georges Marion, José Garçon, Florence Aubenas, Joëlle Stoltz, je pourrais vous citer une longue liste de journalistes capables de parler intelligemment de l’Algérie et qu’on ne peut accuser d’être des fanatiques de l’islam. Outre d’interdire l’accès à ces « intellectuels positifs », on dissuade les journalistes encore attachés à quelque probité intellectuelle en mettant au placard quiconque s’aventure à inviter ces empêcheurs de désinformer en rond.
Je ne parle évidemment pas des Algériens, suspects par postulat. Personne ne trouve sidérant que, depuis la décennie 1990, tout ce que l’Algérie a engendré comme grands esprits se soit totalement volatilisé. Ne reste à offrir au public français que le discours indigent de Mohamed Sifaoui et Yasmina Khadra. Au génocide physique succède l’extermination médiatique de tous les intellectuels algériens dans le paysage audiovisuel français.
Le pouvoir français, les médias français, sont sous influence directe des services algériens ; ce n’est un secret pour personne. En fait, en l’état actuel des choses, il n’y a rien que le pouvoir algérien ne puisse se permettre en France. Il peut faire exploser des bombes, assassiner des hommes, semer la terreur, et ce sont les médias et les hommes politiques français qui viendront à son secours pour proclamer qu’il est insoupçonnable. Le pouvoir qu’exerce Alger sur Paris est exorbitant. Quiconque détient un pouvoir ou une influence a été acheté par les généraux durant l’année 2003, joliment baptisée « année de l’Algérie en France » ; les réfractaires sont quant à eux graduellement écartés. Des milliards ont été déversés pendant toute une année sur tous ceux qui se déclaraient disposés à faire la promotion du régime, à « collaborer » avec l’Algérie comme le répétait alors le VRP de Bouteflika, Cheb Mami. Le scandale Khalifa, et ses 7 milliards d’euros de fonds dilapidés (qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg de la spoliation), n’est pas une affaire algéro-algérienne, c’est presque une affaire franco-française ; l’Algérie n’a fait, comme toujours, que fournir le fric.
Silvia Cattori : J’aimerais revenir sur les relations entre le régime de Bouteflika et l’Elysée et sur des actions que l’on attribue à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) évoquées lors du précédent entretien. En effet celui-ci a suscité un abondant courrier de lecteurs qui, à ma surprise, paraissent convaincus que les actes attribués par les divers pouvoirs à l’AQMI sont manipulés par l’État algérien avec la complicité de services français notamment !
Lounis Aggoun : Je vous le disais précédemment : AQMI, c’est le DRS. Rendez-vous compte qu’au moment où le monde occidental proclame dans une belle unanimité que le terrorisme est le fléau primordial à combattre, les intéressés se donnent comme préalable de leurs investigations d’exclure de la liste des suspects le principal coupable. Le DRS a beau signer ses actes terroristes, les juges, les politiques, les médias et les policiers français concernés, organisent des mascarades pour le disculper et pour tenter d’identifier un coupable par essence impossible à confondre puisqu’il est, par décret, insoupçonnable. Restent les lampistes, ceux qui se sont pris les pieds dans le filet, Khaled Kelkal, Boualem Bensaïd, Rachid Ramda et consorts, qui endossent une bien lourde responsabilité au regard de leurs capacités réelles, et que les divers protagonistes (policiers, chroniqueurs judiciaires, jusqu’aux associations de victimes) acceptent comme les parfaits boucs émissaires pour évacuer le problème en se donnant bonne conscience — les personne arrêtées sont, à un degré ou un autre, coupables — pendant que les commanditaires des actes en cause sont reçus avec faste à l’Elysée pour organiser le pillage des ressources de l’Algérie.
Tout cela conduit à dire que l’AQMI a de beaux jours devant elle. Mais le nom de cette organisation est en soi un chef d’œuvre de manipulation. En quatre mots, on met au ban de l’humanité, sans autre justification que celle de voir ces mots ainsi accolés, l’islam et tous les peuples du Maghreb, en les liants à Al-Qaïda et Oussama Ben Laden. On prétend, dans une déclaration, que l’organisation est soutenue par Al-Qaïda et financée par des pays et des organisations très riches et, dans la même phrase, qu’elle a besoin d’enlever des Européens pour se financer. On affirme un moment qu’elle est suréquipée — sans que jamais, au grand jamais, les intérêts du régime algérien contre qui elle est censée se battre soient mis en danger — et l’instant d’après que c’est une armée de gueux. On prête à l’organisation le dessein de mener une guerre totale aux envahisseurs et aux Occidentaux, et tout le monde trouve normal qu’elle n’ait jamais attenté à leurs intérêts — et surtout pas aux étasuniens qui pullulent dans la zone — quand le désert, où elle est censée vivre « comme un poisson dans l’eau », recèle des milliers de kilomètres de pipelines qu’il serait très aisé de faire exploser.
On affirme l’organisation décimée et, sans transition, que le demi-millier de ses soldats contrôle un territoire grand comme l’Europe de l’Ouest, dans un terrain parmi les plus hostiles de la planète, où se concentrent pourtant les forces armées de quatre pays qui, officiellement, les traquent, avec l’appui des forces spéciales de la France, de l’OTAN, des USA, etc. On proclame que ces terroristes sont capables de frapper où ils veulent, quand ils veulent, et chaque fois qu’ils frappent, c’est dans un dessein trouble mais dont on découvre tôt ou tard qu’il sert des objectifs purement crapuleux, qui n’ont en tout cas strictement rien à voir avec un quelconque mobile religieux. On prétend ces hommes irréductibles et on diffuse régulièrement leurs sommations contre tel ou tel pays s’il ne se conforme pas à leurs exigences, abroger la loi sur la burqa en France par exemple. Est-ce à dire que si la France se plie à cette exigence, AQMI accepterait de la laisser piller les pays du Sahel de ses ressources ?
Comment concilier cela avec le dessein initial d’Al-Qaïda, qui est de mener une guerre totale contre les Occidentaux ? Jamais AQMI — et, avant elle le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) ou encore le GIA — n’a commis un acte, en 20 ans d’existence à maintenant, qui ait contribué à affaiblir le régime et à servir le peuple. On peut aisément prouver que chacune de ses actions d’envergure est intervenue à un moment clé qui a eu pour conséquence de desservir le peuple algérien et de renforcer le régime.
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Amari Saïfi (alias Abderazak el Para ou Abou Haydara), dit « le Ben Laden du Sahara », leader du GSPC. Ce « terroriste islamiste » est en réalité l’ancien commandant de la garde du ministère de la Défense algérien et un agent du Département de renseignement et de sécurité (ex-Sécurité militaire)
Dans la littérature foisonnante sur AQMI, qui rappelle que Amara Saïfi [20], alias Abderazak El-Para, alias « le Ben Laden du Sahara », vit paisiblement au club des Pins à Alger, après avoir été présenté comme celui qui a conduit au ralliement du GSPC à Al-Qaïda ? Tout ça pourrait être loufoque, mais des « experts », des « spécialistes », des « directeurs d’instituts », de « centres de recherche », d’« observatoires », se relaient sur tous les plateaux télévisés pour nous conter, sans rire, une fable qui ne tient que parce qu’elle est énoncée sans contradicteur, par des individus qui peinent à masquer leur filiation avec les services secrets, les centrales mêmes qui gagnent à diffuser toutes ces intoxications. Tous ces pouvoirs illimités, de police, de justice, de médias réunis, ne parviennent pas à produire une version des faits qui puisse résister à la moindre contradiction. C’est pour cela que s’impose le bannissement de toute parole se démarquant de l’histoire officielle.
La lutte antiterroriste à l’échelle mondiale telle que la conduisent les décideurs actuels et leurs propagandistes est un échec patent. Elle n’a pas pour conséquence de diffuser la démocratie là où elle est inexistante, elle l’anéantit là où elle existait. C’est exactement l’objectif des terroristes. La seule réponse concrète des pouvoirs occidentaux consiste à proposer des mesures de fichage de la population, la multiplication des systèmes de surveillance, de biométrie, et donc à anéantir tout ce que les démocraties ont de démocratique. Et pour quel résultat « pragmatique » ?
La présence de Français dans le Sahel risque à la longue d’être intenable. L’intérêt stratégique - si l’on aborde la question du point de vue purement cynique de l’intérêt français - est pourtant vital. Roland Jacquard, Xavier Raufer, Antoine Sfeir, Louis Caprioli, Jean-Louis Bruguière, Mohamed Sifaoui, voilà les ennemis de la France, car ils sont les complices directs du terrorisme international, leur discours étant axé de sorte à disculper les vrais commanditaires et à tout mettre sur le compte de lampistes.
Alors, AQMI, c’est le DRS. Tous ceux qui prétendent le contraire sont de dangereux contrefacteurs. Leur discours n’est que de l’incantation, doublée d’artifices qui ne doivent rien à la déontologie : feindre d’ignorer l’existence d’ouvrages qui attestent de la réalité de certains faits, pour ne pas avoir à donner écho à des vérités dérangeantes ; imposer la charge de la preuve à la victime, quand elle devrait incomber à celui qui accuse.
Je mets au défi quiconque, parmi tous ceux qui détiennent ces pouvoirs — de médias, de police, de justice, de politique et d’investigation de tous ordres —, d’apporter le moindre élément qui ne soit pas du ragot invérifiable, de prétendus attentats déjoués, de confidences d’agents secrets qui n’ont de vocation qu’à épater la galerie sans que leurs auteurs soient tenus d’apporter la moindre esquisse de preuve ; tout cela doublé d’un soupçon insidieux qui pèse contre quiconque apporte la contradiction de vouloir favoriser le terrorisme d’être un « conspirationniste », ce qui permet de l’écarter à moindre frais, de la manière dont on procède dans les dictatures.
Je mets au défi tous ces « experts » réunis, de présenter un seul élément tangible de ce qu’ils avancent sur AQMI, sinon des messages virtuels, envoyés par des terroristes virtuels, via des émissaires virtuels, qui attestent de thèses grotesques, qui se sont déroulés selon des scénarios rocambolesques, et énoncées devant des journalistes qui semblent n’avoir pour tout cahier des charges que de gober d’autant plus volontiers le mensonge que celui-ci est gros. Jacquard, Bruguière, Sifaoui, Sfeir, Raufer et autres Guidère — la nouvelle version BCBG (Bon chic bon genre) de l’expert qui se fout de vous — n’ont pas ambition de mettre fin au terrorisme ; ils favorisent sa dissémination et légitiment l’instauration de la dictature dans les sociétés occidentales.
Fin novembre 2010, Nicolas Sarkozy participera à une réunion de l’Union pour la Méditerranée. Lorsque l’on verra à la télévision les chefs d’Etats ainsi réunis, nous pouvons être certains d’avoir face à nous quelques-uns des plus sûrs commanditaires et organisateurs du terrorisme international et leurs complices ainsi que les receleurs de leurs actions. C’est ainsi qu’une poignée de prédateurs exercent leur férule sur la quasi-totalité de l’humanité, en lui attribuant les méfaits dont ils sont les instigateurs, puis en lui imposant d’apporter la preuve de son innocence après lui avoir ôté tous les moyens qui leur permettrait de la réunir.
Il est temps que cela s’arrête. Cela peut se faire en ne laissant plus passer le mensonge. En mettant les propagandistes, où qu’ils s’expriment, sur un plateau de télé ou dans un bar, face à l’évidence : ils sont les complices indiscutables du terrorisme. Ils seraient bien en peine de vous prouver le contraire ; malgré les pouvoirs et les moyens infinis dont ils disposent. Mettre fin au plus grand fléau de l’humanité, le terrorisme, mérite bien un débat entre gens sérieux, tout de même ! Or, Mohamed Sifaoui, la flétrissure suprême de la pensée, est considéré par les médias français comme le summum de l’intellectuel arabe. C’est criminel.
Silvia Cattori : Votre précédent livre, qui a rencontré un large public, a été occulté par les grands médias. Pensez-vous que celui-ci ait des chances de connaître un meilleur accueil médiatique ?
Lounis Aggoun : Lorsqu’on prétend aligner la chronique insoutenable de 200 ans de faits inavouables, on ne peut pas espérer voir les relais du mensonge permanent faire la promotion d’un ouvrage qui dépeint leur propre faillite. Quand bien même chacun verrait 99 raisons d’en parler — notamment parmi ceux qui prétendent militer pour la vérité, contre les médias conventionnels —, l’ouvrage recèle une centième vérité dérangeante pour lui. Il préférera donc occulter les 99 qu’il voudrait promouvoir pour ne pas donner crédit à cette centième qui l’accable. La difficulté est alors de concilier cette entorse avec la promesse de déontologie qu’il a placée sur le frontispice de son site, mais l’art du mensonge n’est-il pas de savoir se mentir à soi-même ? Recensez toutes les personnes qui auraient une petite raison de participer à l’omerta et vous aurez une idée du drame algérien. Les généraux ne sont que le couronnement d’une faillite qui dépasse hélas largement les frontières du Club des pins [21].
Pour espérer un soutien médiatique, il faut être poli. Le hasard a voulu que mon livre paraisse un mois avant un autre, tout entier consacré à l’inavouable histoire de François Mitterrand et la guerre d’Algérie [22] qui est un chapitre parmi une vingtaine du mien. L’excellent ouvrage de François Malye et Benjamin Stora a bénéficié d’un accueil enthousiaste tandis que le mien est salué par l’omerta. Pourquoi ? Au-delà de la bienveillance tout à fait légitime des médias pour l’historien respectable qu’est Benjamin Stora, il y a une autre dimension plus contestable. Leur livre est un peu de l’histoire au passé simple quand le mien est à l’imparfait. Mon livre a une projection dans le présent quand le leur est presque un solde de tout compte contre un homme qui ne peut plus nuire.
Or, et c’est une dimension dérangeante de mon livre, les démêlés de Mitterrand avec l’Algérie ne se sont pas arrêtés en 1982 en votant l’amnistie des généraux français putschistes et en redonnant aux généraux algériens — non moins putschistes — une partie des archives qu’ils ont aussitôt mises sous scellés, et interdites d’accès. Ils se sont poursuivi par-delà sa mort même. Le mien ne s’arrête pas là où c’est commode, il démontre qu’à partir de 1982, Mitterrand n’a eu de cesse de reprendre les événements là où ils étaient quand de Gaulle l’a « spolié » du pouvoir en 1958. Et que la « sale guerre » commencée en 1990, avec ses éclaboussures en France même, et encore à l’œuvre aujourd’hui, malgré les apparences, est la conséquence directe de cette obsession algérienne de François Mitterrand. L’histoire est bien accueillie tant qu’elle est inoffensive, tant qu’elle n’est pas dérangeante au présent pour « l’establishment ».
À la sortie de Françalgérie, crimes et mensonges d’Etats [23], dans une interview accordée au Quotidien d’Oran, avec Mohammed Harbi — et sans que la question du journaliste ne s’y prête vraiment — Gilbert Meynier évoque, sans le citer, « un ouvrage paru récemment » qui expliquerait tout « par la manipulation ». Le DRS a dû apprécier. Si ce qu’il proclamait, qu’on ne peut pas tout expliquer par la manipulation, est une vérité générale indigne d’un grand esprit comme lui, telle n’a jamais été notre intention. Nous avons simplement démontré par A+B que, à propos d’un certain nombre d’affaires sur lesquelles circulent des thèses mensongères, la main du DRS est patente. Pour contester notre ouvrage, il aurait été intellectuellement honnête de recenser explicitement les points de notre démonstration sur lesquels il n’était pas d’accord. Nous attendons toujours. Il n’y a jamais eu le moindre démenti sur aucune des accusations très graves, avec le nom des coupables, qui se trouvent dans le livre ; l’histoire nous a donné raison sur de nombreux dossiers — celui du meurtre barbare des moines de Tibhérine, par exemple —. Pourtant, le mensonge et la vérité officielle perdurent, qui font des Algériens un peuple de terroristes en puissance et une nuisance pour leurs voisins, et des généraux meurtriers les gardiens de la liberté et les parangons de la démocratie.
En tout état de cause, quand le moindre fait divers aux antipodes donne lieu à des dépêches et à des brèves sur les chaines d’info en continu, les médias français oscillent entre le silence total sur l’Algérie et le mensonge avéré des « intellectuels négatifs ». Et quand cela s’impose, entre le meilleur, qu’incarnent ces historiens qui ont produit une part importante de la connaissance sur l’Algérie, et le pire, incarné par Mohamed Sifaoui et Mohamed Moulessehoul / Yasmina Khadra, il y a un vide inexplicable sinon par la volonté de plaire au régime des généraux. Où est passée la « masse manquante », des centaines de milliers d’intellectuels, de journalistes, de scientifiques, de chercheurs, de cadres de haut vol, que chacun n’aurait aucun problème à trouver dans son environnement immédiat ? Il suffit de ne pas poser la question pour qu’elle n’appelle aucune réponse dérangeante.
Bref, quand la vérité historique n’est pas mensonge, elle doit être calibrée pour être « commercialisable ». L’histoire est devenue un fonds de commerce que ses « légitimes » propriétaires — ils se partagent l’espace avec des charlatans de tous ordres, de faux prophètes, des imposteurs, des apprentis-sorciers, pour tout dire des terroristes — gèrent avec science. Et, épisodiquement, au compte-goutte, ils concèdent une vérité dérangeante, à raison d’un succès de libraire par an. À ce rythme, il faudrait un siècle de succès de librairie pour espérer voir émerger enfin, par reconstitution de bribes, une vérité entière. Pendant ce temps, un peuple se meurt. C’est un peu lourd comme sacrifice à consentir pour ne pas commettre de crime de lèse-autorité médiatique.
Silvia Cattori : En conclusion, quelles perspectives pour l’Algérie ?
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Jacques Attali, économiste et essayiste français, né à Oran. Scribe du président François Mitterrand, il joua un rôle central dans les relations franco-algériennes et le développement du pouvoir militaire.
Lounis Aggoun : Le problème de l’Algérie ne se résoudra pas tant que la France est sous influence algérienne. Et vice versa. Le principal problème est d’ordre médiatique, lié directement à l’information. Ce n’est pas un hasard si celui qui a aidé Larbi Belkheir et son cabinet noir à s’approprier l’Algérie dans les années 1980, l’architecte de la décomposition du pays, le concepteur du libéralisme sauvage (la forme moderne de la tyrannie) et barbare qui a ruiné l’Algérie, est celui-là même à qui Nicolas Sarkozy confie le soin de dresser la liste des « réformes », l’arsenal de la spoliation du peuple par les puissants, à mener en France : Jacques Attali. Un homme omniprésent dans les médias français.
Nous somme à un carrefour de l’humanité. Ou les peuples parviennent à renverser la vapeur en reprenant les rênes de leur destin, ou ils s’engagent dans un monde de terribles féodalités. Ayant compris cela, la question est de savoir si nous, le peuple, allons les laisser nous mener docilement à l’abattoir. J’ai répondu qu’il fallait une révolution et que la révolution consiste non pas à sombrer dans le piège de la violence — dont les seuls bénéficiaires sont les puissants, les dictateurs, les forces occultes, les apprentis-sorciers, les vendeurs d’armes, les prédateurs de tous poils, les manipulateurs, les garants du mensonge officiel, les terroristes — mais tout simplement à exiger la vérité. La révolution, ce peut être aussi simple qu’une carte postale envoyée assidument, une fois par mois — au coût d’un timbre-poste, et jusqu’à ce que l’équité soit rétablie — à la rédaction de France 2, à David Pujadas, à Arlette Chabot, pour les rappeler à leur mission d’informer ; à un député, à un président, à tous ceux qui ont trahi, pour leur signifier que l’on ne votera pas pour eux la prochaine fois. Et de tenir parole !

Silvia Cattori : Je vous remercie.

http://voltairenet.org/article167514.html

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