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L’IRAK AN VII : Chronique d’un pays en miettes




«Cette conjonction entre un immense establishment militaire et une importante industrie privée de l’armement est une nouveauté dans l’histoire américaine. (...) Nous ne pouvons ni ignorer, ni omettre de comprendre la gravité des conséquences d’un tel développement. (...) nous devons nous prémunir contre l’influence illégitime que le complexe militaro-industriel tente d’acquérir, ouvertement ou de manière cachée.»

Général Eisenhower (Discours de fin de mandat 17 janvier 1961)

La visite du vice-président américain Jo Biden le 4 juillet à Baghdad nous a fait nous ressouvenir de l’Irak qui a disparu des écrans de l’information depuis les élections il y a quatre mois. On s’aperçoit alors qu’il n’y a toujours pas de vainqueur et que l’Irak est en roue libre. Certes, cela ne change pas grand-chose au quotidien des Irakiens sommés de survivre avec chaque jour son lot d’horreur. On apprend que le 14 juin, le nouveau Parlement irakien s’est réuni sans résultat plus de trois mois après les législatives du 7 mars, qui ont laissé le pays englué dans une crise politique. Avant cette séance inaugurale, les tractations vont bon train. Le Premier ministre sortant, Nouri al-Maliki et son rival Iyad Allaoui, se sont rencontrés pour la première fois depuis ce scrutin sans vainqueur net. Arrivé de peu en tête des élections (91 sur 325 sièges), le Bloc irakien (Iraqiya) du chiite laïque Allaoui, soutenu par la minorité sunnite, risque de ne pas obtenir les fruits de son succès électoral à la suite de divisions internes et du rapprochement de ses adversaires chiites.

Le Bloc irakien se bat aujourd’hui pour obtenir des postes-clés au gouvernement. Un accord négocié en coulisses entre les deux principales coalitions chiites, avec l’aide de l’Iran, a en effet donné naissance à un nouveau bloc, l’Alliance nationale. Cette «super-coalition» rassemblant l’AED de M. Maliki et l’Alliance nationale irakienne (ANI), est destinée à priver le Bloc irakien du pouvoir avec une majorité parlementaire relative de 159 sièges. Dans une tribune publiée dans le Washington Post, Iyad Allaoui a accusé Nouri al-Maliki de défier « la volonté du peuple » en créant la nouvelle alliance pour s’emparer du pouvoir. M.Maliki «refuse de reconnaître sa défaite et le clair désir de changement et de progrès des Irakiens », écrivait-il. Selon une source proche des négociations, Iyad Allaoui pourrait aussi être disposé à accepter la présidence, un poste essentiellement protocolaire, ce qui permettrait à Nouri al-Maliki de conserver la tête du gouvernement.

Le prix payé par les Irakiens

L’Irak, héritier d’une grande civilisation qui remonte à l’ancienne Mésopotamie, deuxième producteur de pétrole après l’Arabie Saoudite, a constitué pour George W.Bush une sorte d’obsession et la personnalité de Saddam Hussein un objet de haine. Comme l’écrivait si bien en 1962 Pierre Rossi dans un magistral livre intitulé L’Irak des révoltés, L’Irak constituait un «pays où se mêlent trois mondes, asiatique, arabe et européen, une croisée de routes commerciales propices à l’établissement de grands empires, des richesses pétrolières moins miraculeuses qu’on en croit». « Vague après vague, le peuple irakien a essuyé toutes les guerres et tous les fléaux naturels possibles et imaginables, sans jamais plier le dos, comme si, ayant bu à la mort avant la mort, il détenait une puissance de résurrection inconnue en Occident. » Qu’il eût fallu, dans l’esprit de l’administration républicaine des Etats-Unis qui a succédé en l’an 2000 à William Clinton, se débarrasser de celui qui a incarné la dictature et la répression, en l’occurrence Saddam Hussein et ses compagnons, autorisait-il en somme, une guerre désastreuse, un lynchage en bonne et due forme d’un homme, la mobilisation la plus ahurissante des armées des États-Unis, la gabegie des centaines et centaines de milliards de dollars et puis cette armada déployée dans la région du Golfe dont les conséquences politiques, économiques, sociales, humaines, culturelles et religieuses sont, à coup sûr, énormes et même catastrophiques ?

Quel est le bilan de la dernière croisade ? La guerre d’Irak, opération Iraqi Freedom a débuté comme on le sait le 20 mars 2003 avec l’invasion de l’Irak. Les raisons invoquées officiellement étaient: la « lutte contre le terrorisme », Etat soutenant Al Qaîda, l’élimination des armes de destruction massive qu’était censé détenir l’Irak. Ces accusations ont depuis été démontrées comme non fondées. Certains observateurs parlent de raisons officieuses: les liens entre les néo-conservateurs au pouvoir à Washington et des entreprises d’exploitation pétrolière, notamment le Groupe Carlyle, Enron, Halliburton Energy Services et Unocal. Après leur victoire, les troupes de la coalition ont cherché à « pacifier l’Irak ». En outre, la majorité des villes se trouvent dans une situation difficile: pillages, affrontements, règlements de compte... Selon J. Stieglitz, le coût global de la guerre en Irak serait de 3000 milliards de dollars.

Si on devait faire honnêtement une comptabilité macabre de la période des 35 ans de pouvoir sans partage de Saddam Hussein, elle est à n’en point douter et sans faire de la concurrence victimaire moins tragique. Il n’est pas question,ici, de faire croire que Saddam Hussein était un saint, C’était un dictateur qui ne s’embarrassait pas de solutions expéditives. Antoine Sfeir analyse les raisons pour lesquelles la rue arabe a quasi unanimement soutenu le régime de Saddam Hussein. Refusant de voir en lui le boucher de l’Irak, elle a au contraire glorifié le « Bismarck du Monde arabe », l’homme qui avait fait de l’Irak un «pays qui avance, où la manne pétrolière était distribuée», se distinguant d’un monde arabe plongé dans la désolation.(..) Nul n’était mieux placé que Sami Zubaïda, sociologue irakien, pour faire le bilan de 35 ans de dictature bassiste sur la société irakienne. Elle montre comment le Baâs de Saddam Hussein a manipulé la société irakienne, détruisant certaines classes, en créant d’autres, plaçant tout le monde sous un système d’espionnite généralisé, nationalisant les entreprises et la terre, puis les dénationalisant, détribalisant la société puis la retribalisant, la laïcisant puis l’islamisant, en fonction des évènements et des vicissitudes d’un régime qui dépendait de la rente pétrolière. Il conclut en soutenant que le chaos actuel n’est pas le fruit d’une «nature» particulière de l’Irak, mais bien le résultat de 35 ans de dictature. (1)


En octobre 2006, la revue médicale The Lancet estimait le nombre de décès irakiens imputables à la guerre à 655.000. L’Institut Opinion Research Business a estimé à plus de 1000.000 le nombre de victimes irakiennes entre mars 2003 et août 2007. La guerre a provoqué l’exode d’au moins deux millions d’Irakiens. Ceci sans parler des dégâts occasionnées par le programme pétrole contre nourriture: plus de 500.000 enfants seraient morts de maladie et de malnutrition. Les dommages aux infrastructures civiles sont immenses: les services de santé sont pillés. Il y a eu une détérioration des canalisations d’eau et la dégradation des bassins hydrographiques du Tigre, de l’Euphrate. Il y a de plus, augmentation de l’insécurité générale (pillages, incendies et prises d’otage), suite à la désorganisation totale des différents services publics tels que les forces de l’ordre. De nombreux centres historiques ont été détruits. Le Musée national d’Irak a été pillé.


L’épidémiologue américain Lee Roberts a publié à l’époque une enquête sur la mortalité en Irak après l’invasion, dans le magazine médical britannique The Lancet, provoquant une grande controverse aux Etats-Unis. Quand j’étais en Irak en 2004, je demandais à toutes les personnes que je rencontrais:» Pourquoi pensez-vous que les Américains sont venus?» Invariablement, leur première réponse était spontanément: « A cause du pétrole! » Si nous pensons aux attaques du 11 Septembre et réalisons que l’Irak a une population à peu près équivalente à celle de la zone métropolitaine de New York, ce nouveau bilan du gouvernement irakien suggère que les Irakiens ont connu un nombre de morts violentes équivalant à deux attaques similaires au 11 Septembre par mois pendant les trois premières années de l’occupation. Ça, c’est d’après le gouvernement irakien. Quant à notre enquête, elle estime l’équivalent de six « 11 Septembre » par mois!» (2)

Diviser pour mieux régner

Sous le joug de Saddam, il y eut, dit-on, plusieurs milliers de morts sur une période de 35 ans. Est-ce que la démocratie aéroportée a apporté la paix aux Irakiens? Il est permis d’en douter. Pour rappel, en novembre 2008, les gouvernements irakien et américain ont signé un pacte bilatéral incluant le Status of forces agreement (Sofa) qui fixe à la fin 2011 le terme de la présence militaire des États-Unis. Les Américains avec la satisfaction du devoir bien fait, notamment par une mainmise sur les ressources pétrolières par multinationales américaines interposées, rentrent au pays.

« En fait, la situation est plus que jamais dangereuse. L’Irak est un pays profondément meurtri. Les haines séculaires interconfessionnelles et tribales maîtrisées du temps de Saddam Hussein ont été boostées par les Etats-Unis. Appliquant la politique du «diviser pour régner», les Américains enlisés en Irak, s’allient alternativement aux chiites contre les sunnites et inversement. La guerre civile larvée entre chiites et sunnites, qui a ensanglanté l’Irak après la destruction de la mosquée de Samarra, a été gelée par la nouvelle stratégie anti-insurrectionnelle mise en oeuvre par le général Petraeus en 2007, avec le renforcement, ou «surge», du corps expéditionnaire décidé par George Bush en 2007. Les Américains avaient alors pris sous leur aile et financé les milices de combattants sunnites, s’en faisant des alliés dans la lutte contre les jihadistes, tout en les protégeant contre les incursions des paramilitaires chiites, mettant fin ainsi au cycle des représailles. (...)» (3)

« En morcelant la société irakienne, l’occupant s’est pris à son propre piège: il ne peut pas quitter le pays sans prendre le risque de le livrer définitivement au chaos. A l’inverse, sa présence prolongée attise non seulement la résistance armée à l’occupation, mais aussi les rivalités entre forces antagonistes. Et il doit en payer le prix, qui s’alourdit chaque jour davantage: pertes humaines, coût financier, discrédit international. Fascinée par le modèle communautaire à la libanaise et obsédée par le souci de diviser pour régner, la coalition s’est interdite de reconstruire un Etat unitaire, garant de la stabilité politique de la nation irakienne. Jouant au pompier-pyromane, il cultiva le particularisme des uns et des autres avant de s’en offusquer hypocritement aussitôt après. Trop tard: la boîte de Pandore est aujourd’hui grande ouverte et le pays au bord du chaos. Punis par l’occupant, les sunnites sont exclus du système institutionnel mis en place avec la bénédiction occidentale. Les chiites espèrent toucher les dividendes de leur supériorité numérique, les Kurdes préparent une indépendance qui finira par les opposer aux sunnites et aux chiites. Minoritaires, les forces laïques et progressistes tentent de surnager à la surface de cet océan communautariste.» (3)

Michel Collon va plus loin dans son analyse, il écrit: « L’essence du plan Gelb, c’est de plonger l’Irak dans une guerre civile de longue durée afin de sauver l’occupation coloniale US et de pouvoir continuer à voler le pétrole.» Le New York Times publie le 25 novembre 2003 un éditorial signé Leslie Gelb. Homme influent qui présidait jusqu’il y a peu le très important Council of Foreign Affairs, groupe de réflexion regroupant CIA, ministère des Affaires étrangères et hauts bonnets de multinationales US. Le plan Gelb? Remplacer l’Irak par trois petits Etats: «kurde au nord, sunnite au centre et chiite au sud». Objectif? «Placer le maximum d’argent et de troupes chez les Kurdes et les chiites. (...) Mais en fait, diviser l’Irak est aussi un vieux rêve israélien. En 1982, Oded Yinon, un responsable des Affaires étrangères, écrivait: «Dissoudre l’Irak est encore plus important pour nous que la Syrie. A court terme, c’est la puissance irakienne qui constitue la plus grande menace pour Israël. Une guerre Iran - Irak déchirera l’Irak et provoquera sa chute. Toute espèce de conflit interarabe nous aidera et accélérera l’objectif de briser l’Irak en divers morceaux.» (...) Sa théorie des Etats purs, c’est celle d’Hitler: «Ein Volk, ein Reich, ein Führer» (un peuple, un empire, un chef). C’est aussi celle des sionistes rêvant d’un Israël «purifié des Arabes «. Le danger de cette folle théorie dépasse de loin l’Irak ou la Yougoslavie. La moitié des Etats existant aujourd’hui sur cette planète sont «multinationaux «. (...) Mais si on admet cette théorie des «Etats purs «, les USA auront des prétextes pour faire exploser n’importe quel pays «multinational «qui leur résisterait.» (4)

Quel est l’avenir de l’Irak? En fait, la seule solution pour l’Irak serait un état laïc comme l’avait fait Saddam Hussein. En attendant, si le communautarisme irakien profite aux puissances étrangères (Iran, Etats-Unis, Al Qaîda), il ne profite pas du tout à l’Irak qui s’affaiblit de jour en jour. Rien n’arrêtera en fait, l’Empire et le complexe militaro-industriel et sa soif de matières premières, notamment d’énergie. Les guerres seront de plus en plus récurrentes et le président Eisenhower met en garde les États-Unis contre les dangers du «complexe militaro-industriel»: « (...) Nous ne pouvons ni ignorer ni omettre de comprendre la gravité des conséquences d’un tel développement. (...) Rien, en vérité, n’est définitivement garanti. Seuls des citoyens alertes et informés peuvent prendre conscience de la toile d’influence tissée par la gigantesque machinerie militaro-industrielle et la confronter avec nos méthodes et objectifs démocratiques et pacifiques, afin que la sécurité et les libertés puissent fleurir côte à côte

Il vient que la partition du monde en unités techniques va sonner le glas des Etats Nations. On se rappelle que dans le cadre du Grand Moyen-Orient (Mepi) même l’Arabie Saoudite, pourtant allié des Etats-Unis, devait être divisée en un émirat religieux autour de La Mecque et un autre au nord-est (là où il y a les puits de pétrole).. Le Soudan est en route pour la partition (indépendance du Darfour probable en janvier prochain), Timor-Oriental arraché à l’Indonésie…. Si les pays possédant des richesses, notamment pétrolières ne prennent pas les précautions nécessaires en allant de plus en plus vers l’autonomie (sous le modèle des landers allemands voire des Etats américains) et en se départissant du jacobinisme hérité (encore que la France accorde de larges autonomies aux régions) un schéma de partition de fait, sera imposé aux Etats faibles. Nous voilà avertis.


Notes/Références


1. Chris Kutschera: Le Livre Noir de Saddam Hussein. OH Editions, Paris, 2005

2. Judith Weinstein: Combien de «11 Septembre» par mois en Irak? 08/05/2008

3. Pascal Riché: Les élections irakiennes pour les nuls. Rue 89 06/03/2010

4. Michel Collon: Washington a trouvé la solution « Divisons l’Irak comme la Yougoslavie! » http://perso.wanadoo.fr/polex/irak_resit/Iraklesdessousdelaguerrecivile.htm

Pr Chems Eddine Chitour : Ecole Polytechnique enp.edu.dz


Chems Eddine Chitour est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca. Articles de Chems Eddine Chitour publiés par Mondialisation.ca

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