Cela s’est passé au milieu des années quatre-vingt. Les services de renseignements algériens ont eu une confrontation directe avec les services israéliens à travers deux agents qui leur ont permis de connaître les objectifs du MOSSAD en Algérie.
Rappelons qu’à cette époque les autorités algériennes avaient ouvert à Tébessa, dans l’est du pays, une base militaire pour les combattants palestiniens chassés du Liban en 1983. L’Algérie était, aussi, le lieu privilégié de rencontres des chefs palestiniens, toutes tendances confondues, loin de toutes les pressions qu’ils connaissent dans les autres pays
arabes.
Abou El Abbès et Abou Nidal, recherchés par les Américains, Georges Habbache et Nayef Hawatmeh indésirables dans certaines capitales arabes et en Occident pour leur radicalisme et tant d’autres personnalités palestiniennes séjournaient en Algérie en toute sécurité. La direction de l’Organisation de Libération de la Palestine a, toujours, jeté son dévolu sur Alger pour tenir les assises du Conseil National Palestinien ou organiser des rencontres de grande importance. Les dirigeants palestiniens ont, toujours, trouvé en Algérie un soutien inconditionnel et une liberté d’action que nul autre pays arabe ne pouvait leur accorder. Après Tunis qui servait de siège à l’Etat- Major palestinien depuis 1983, c’est Alger qui servait de base arrière à la résistance palestinienne. Toutes les réunions secrètes, toutes les grandes décisions des dirigeants palestiniens ont pour théâtre la capitale algérienne. Cela ne pouvait échapper aux services de renseignements israéliens et particulièrement le MOSSAD qui se faisaient l’obligation d’opérer dans un pays où les services de contre-espionnage de la Sécurité Militaire Algérienne avaient une forte réputation.
Qu’est-ce qui pouvait intéresser le MOSSAD en Algérie ?
En accueillant des milliers de palestiniens de toutes les catégories sociales et de toutes les tendances, les services secrets algériens n’ignoraient pas que l’Algérie devenait une cible prioritaire pour les services de renseignements israéliens. Il y avait des palestiniens de toutes les couleurs et de toutes les catégories. Combattants, étudiants, enseignants, politicards professionnels, "dirigeants révolutionnaires "(comme ils aiment se définir), etc. En leur ajoutant des centaines de libanais dont des étudiants affi liés au Hizbollah, des Syriens, des Irakiens et des Egyptiens dont les fréquentations avec les Palestiniens étaient assidues et régulières pour cause d’affinités moyen-orientales, la surveillance de tout ce beau monde n’était pas aisée. Il fallait, néanmoins, se prémunir d’une quelconque infiltration israélienne. Un dispositif de prévention en matière de contre-espionnage devait être mis en place.
L’encadrement des services secrets algériens était dans sa majorité francophone. L’intérêt aux affaires du monde arabe était des plus minces. Le dossier palestinien est confié à un officier supérieur, le commandant Mohamed Tahar Abdessalem, l'un des rares arabophones de la centrale algérienne de renseignements. Ce maquisard de la première heure de la guerre de libération, menait beaucoup plus une action politique que sécuritaire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître il abhorrait tout ce qui est sécuritaire. Il qualifiait les équipes opérationnelles de la S.M de « f ics bornés.» Son travail consistait à jouer au médiateur entre les différentes factions palestiniennes et à aplanir les divergencesqui les minaient, à leur assurer toute l’aide dont elles avaient besoin. Il entretenait, également, d’excellentes relations avec les chefs des différents mouvements libanais et arabes. Cela lui a permis de tisser un réseau relationnel très dense qui l’a aidé à jouer les premiers rôles dans la libération d’otages occidentaux capturés au Liban. Il était un fin négociateur et jouissait d’une totale confiance des mouvements qui soutenaient les ravisseurs d’otages.
En avril 1988, il était l’artisan de la libération des passagers de l’avion koweïtien détourné par des éléments du Hizbollah sur Chypre avant de le ramener sur le tarmac de l’aéroport d’Alger où eut lieu le dénouement de l’affaire après sept jours d’âpres négociations. Le commandant Mohamed Tahar Abdessalem privilégiant l’action politique délaissait le côté sécuritaire au commandant Smaïn Lamari* qui était le chef du service opérationnel dans les services de la S M. Ce service était spécialisé dans la répression des partis d’opposition clandestins et le verrouillage du microcosme politique algérien.
Durant les années quatre-vingt toute la force du service opérationnel de la SM était concentrée sur le mouvement qu’avait créé Ahmed Benbella en France : le Mouvement pour la Démocratie en Algérie (MDA). Le contre-espionnage pour ce service se limitait à surveiller tout ce qui pouvait provenir de la France ou ayant des attaches avec l’ex-puissance coloniale. La S M voyait, partout, la main de la France et de ses services de renseignements.
S’il y a retournement d’agents ou tentative d’infi ltration ou de noyautage, ces actions ne sont entreprises que si elles ont une relation avec la France. Pour le reste, il n’y a point d’initiative de ce genre. Les Russes étant les amis et les formateurs des agents secrets algériens sont surveillés de loin. Toute personne entretenant des relations avec un Russe est systématiquement arrêtée sous le chef d’inculpation d’espionnage au profi t d’une force étrangère. C’était la guerre au courant progressiste qui avait éclos sous le régime de feu Houari Bou- mediene. Mais concernant les Israéliens, le service opérationnel de la S M se limitait à désigner le lieutenant Okbacomme offi cier de sécurité à la base militaire de Tébessa qui abritait les combattant palestiniens venus du Liban. Cet officier fait partie de la vague des jeunes universitaires arabophones qui ont été recrutés par l'armée au milieu des années soixante-dix. L e lieutenant Okba communiquait avec aisance avec ses hôtes. Mais, quelle action de contre-espionnage pouvait-il mener à partir d’une caserne perdue aux portes du désert algérien ?
D’habitude, dans les casernes, l’officier de sécurité surveille les activités et les comportements de la troupe. Il va jusqu’à ouvrir le courrier des soldats, écouter les communications de certains offi ciers et sous-offi ciers qu’il suspectait d’entretenir des relations louches à ses yeux et de jouer au James Bond devant le commandant de la caserne. Avec les Palestiniens, le lieutenant Okba, d’un caractère calme et du genre fils de bonne famille, ne pouvait se permettre d’imposer une quelconque autorité aux Palestiniens. Il était hors de question, pour lui, de se renseigner sur les uns en utilisant les autres ou de surveiller leur courrier ou de se permettre de lancer des mises en garde à quiconque. Même s’il lui arrivait de se plaindre de certains comportements de quelques combattants qui avait du mal à s’adapter à leur nouveau mode de vie algérien totalement différent de celui qu’ils menaient au Liban, il essayait de se convaincre de mettre ces écarts de conduite sur le compte de la frustration et de la privation.
Il faut dire que ces combattants habitués à vider chaque soir les bouteilles de whisky, à fréquenter les dancings et les grands hôtels de Beyrouth, à séduire les femmes par un baratin, dont ils sont les seuls à détenir le secret, se sentaient en captivité dans la périphérie de Tébessa, une ville où il est difficile d’approcher une femme ou de trouver un bar ou un quelconque lieu de détente.
D’ailleurs, ils étaient nombreux à déserter le camp de Tébessa en demandant à partir soit à Tunis ou à retourner clandestinement au Liban. Beaucoup d’entre eux ont été accusés, sans preuve, par leurs frères d’armes d’avoir infi ltré les rangs de la résistance palestinienne pour le compte des services israéliens. Ce genre d’accusation est monnaie courante chez les Palestiniens. Mais cela n’empêche pas de penser que la base militaire de Tébessa intéressait le MOSSAD. Elle pouvait faire l’objet d’un bombardement comme le fut le Quartier Général de l’OLP à Tunis en 1987. Une action de liquidation d’un dirigeant palestinien pouvait être envisagée comme cela a été le cas pour Abou Djihad, le numéro 2 de l’OLP assassiné à Tunis en avril 1988. Des éléments de septembre noir, qui séjournaient occasionnellement en Algérie, étaient également ciblés. L’un d’eux Atef B’sissou a été assassiné dans le quartier de Montparnasse en 1992 à l’occasion d’une escale parisienne.
Le patron des services spéciaux tunisiens était un agent du MOSSAD
L’énumération de quelques une des opérations menées par le Mossad tant en Tunisie qu’en France contre de hauts responsables palestiniens démontre bien que la présence en nombre de dirigeants palestiniens exposait l’Algérie à des opérations d’espionnage de la part du MOSSAD. Des opérations d’espionnage qui ne se limiteraient pas au seul recueil de renseignements mais qui risquaient bien de finir par une liquidation physique ou un bombardement de zone palestinienne. A titre d’exemple, l’assassinat de Abou Djihad était le fruit d’une minutieuse opération d’espionnage qui avait permis de localiser le numéro 2 de l’OLP, d’étudier ses habitudes, particulièrement, ses heures de présence à son domicile, la qualité des invités qu’il reçoit, le dispositif de sécurité mis en place dans sa résidence et dans sa périphérie.
La résidence de la victime se trouvait dans le quartier résidentiel de Carthage, une zone sensible qui nécessitait une surveillance particulière. Elle était à quelques encablures du palais présidentiel de Zine El Abidine Ben Ali, le chef de l’Etat tunisien. L’opération avait nécessité la mobilisation de beaucoup d’agents recrutés tant dans l’entourage de Abou Djihad parmi les Palestiniens que parmi les Tunisiens. Selon des sources proches de l’enquête menée conjointement par les services secrets palestiniens et leurs homologues tunisiens, il s’est avéré que parmi les agents tunisiens qui ont servi le MOSSAD fi gurait l’ancien commissaire de police en charge de la sécurité de la zone de Carthage. Il sera arrêté, deux ans et demi plus tard, en août 1990 alors qu’il était à la tête des services spéciaux tunisiens. Son arrestation a été annoncée par un communiqué laconique qui n’avait pas omis de mentionner sa complicité dans l’assassinat de Abou Djihad.
L’opération d’assassinat de Abou Djihad avait été menée avec une grande minutie qui n’a fait que renforcer le mythe du MOSSAD. Les exécutants, une fois leur mission terminée, ont réussi à quitter les lieux sans encombre et sans laisser la moindre trace. Ils s’étaient volatilisés en quelques minutes, laissant les enquêteurs tunisiens et palestiniens dans une profonde inquiétude et avec de gros points d’interrogation sur la tête. Au terme de leurs investigations, ils ne réussiront à arrêter que les quelques agents de renseignements recrutés sur place. Mais, pas un seul israélien ou un membre du commando exécutant n’a été pris dans leurs filets. Tout cela revient à la qualité du renseignement recueilli avant l’exécution de l’opération.
Comment recruter des agents pour le MOSSAD en Algérie ?
Pour mener pareille action en Algérie, le MOSSAD devait avoir des agents de renseignements. Où pourrait-il les recruter et comment ? Première cible de recrutement au profi t du MOSSAD à l’étranger, le sujet d’origine juive. Cela va de soi. Tout juif, là où il se trouve et quelles que soient ses convictions politiques ne rechignerait pas à service la cause d’Israël. C’est un acte patriotique incontestable. Les Arabes et particulièrement les Palestiniens intégrés dans les sociétés occidentales ne refuseraient pas de servir comme agents de renseignements ou d’infl uence quand ils sont sollicités dès qu’il s’agit d’une action à mener contre Israël. Le confl it palestino-israélien est d’abord une guerre de renseignements. Il est, donc, tout à fait logique que les services secrets israéliens sollicitent la communauté juive là où elle se trouve pour en faire des soldats de l’ombre.
La communauté juive algérienne est ce qu’il y a de plus réduit dans le monde. Elle se compte sur les doigts d’une seule main. Elle est vieillissante et très discrète. Les juifs qui sont restés au lendemain de l’indépendance de l’Algérie et qui n’ont pas voulu quitter le pays de leurs ancêtres au lendemain de la guerre des six jours de 1967 évitent de se mêler de politique. Leur activité communautaire se limite au regroupement pour l’offi ce religieux dans l’une des rares pour ne pas dire la seule synagogue qui reste ouverte en Algérie. Ils ne s’aventureraient jamais dans une quelconque relation avec le MOSSAD. Et ce, pour deux raisons essentielles : Primo : Les juifs algériens de souche ont eu à souffrir du décret Crémieux du 24 octobre 1870. Ce décret avait distingué les Algériens d’origine juive des musulmans en leur octroyant la citoyenneté française durant la période coloniale. Du coup ils se trouvaient privilégiés par rapport à leurs concitoyens musulmans relégués au rang d’indigènes. Ils ont francisé leurs prénoms et s’étaient éloignés des coutumes algériennes qui étaient les leurs depuis des siècles. Ce statut de privilégiés a fait que la majorité des juifs algériens s’étaient dressés contre l’indépendance de l’Algérie durant la guerre de libération, en faisant corps avec les pieds noirs. Bien que certains d’entre eux tout comme beaucoup d’Algériens d’origine européenne, ont pris une part active dans les rangs du FLN, il n’en demeure pas moins qu’au lendemain de l’indépendance, les juifs de souche algérienne ont fi ni par s’exiler en France. Ceux qui étaient restés les ont suivis au lendemain de la guerre des six jours de juin 1967.
Il ne restait plus, donc, qu’une toute petite communauté de quelques dizaines de personnes âgées. Une communauté dont les activités étaient faciles à surveiller. Les services secrets algériens détenaient un fi chier à jour des membres de cette communauté. En l’absence d’une population juive qui pourrait constituer un vivier de recrutement d’agents, il était très diffi cile au MOSSAD de trouver, en Algérie, l’oiseau rare qui répond aux critères qu’exige tout recrutement d’agent. On recrute un agent soit sur la base de convictions idéologiques, soit sur la base de la compromission et le chantage ou sur une base pécuniaire. Des critères que les Algériens sont loin de remplir, aux yeux des experts du MOSSAD.
La cause palestinienne a toujours été considérée comme une cause sacrée. Elle a un rapport inexplicable avec la religion musulmane. Un algérien est capable de trahir son pays mais pas la cause palestinienne dont il se considère partie prenante. Les Palestiniens eux-mêmes s’étonnent de la ferveur algérienne pour leur cause. Ils trouvent les Algériens plus Palestiniens que les Palestiniens. Il était, donc, hors de question pour les services de renseignements israéliens de recruter un Algérien sur la base de la conviction idéologique. La compromission et le chantage ne peuvent être exercés sur des sujets qui n’entretiennent pas de relations avec Israël et n’ont aucun intérêt avec l’Etat hébreu. Quel type de chantage pourrait exercer le MOSSAD sur un simple citoyen algérien qu’il soit étudiant ou commerçant ou fonctionnaire ? Aucun. Les diplomates et hauts fonctionnaires algériens non plus ne peuvent être soumis à un quelconque chantage de la part des Israéliens tant ils sont, aussi, mus par le même sentiment que n’importe lequel de leurs concitoyens vis à vis de la question palestinienne. Il est connu qu’à chaque manifestation où les Israéliens sont présents, les offi ciels algériens sont les premiers à quitter les lieux. Reste le recrutement sur la base pécuniaire. Dans les années quatre-vingt, l’Algérie vivait dans une aisance financière qui faisait la fierté de ses citoyens.
Rappelons qu’à l’époque les Algériens voyageaient en France et dans tous les pays d’Europe sans visa. Rares étaient ceux qui éprouvaient le désir de s’exiler défi nitivement. Bien au contraire, des milliers d’immigrés rentraient au pays où ils avaient de meilleures conditions de vie qu’en France. Des milliers de jeunes issus de l’immigration préféraient accomplir deux années de service militaire dans le pays natal de leurs parents que d’en faire une seule sous le drapeau français. Qu’un algérien songe à acquérir la nationalité française est un pas que personne ne pouvait franchir sans être taxé de traître. Des milliers d’étudiants retournaient au pays au terme de leurs études universitaires malgré les offres alléchantes que leurs faisaient miroiter leurs formateurs étrangers. Tout ceci pour dire, que dans les années quatre-vingt il était pratiquement diffi cile d’allécher un Algérien par une somme d’argent en contrepartie d’un renseignement aussi banal soit-il au profi t des Israéliens. Il était pratiquement difficile pour ne pas dire impossible pour le MOSSAD de recruter des agents issus du pays d’accueil et évoluant aisément dans la société algérienne pour lui recueillir des renseignements que ne peuvent atteindre ni les diplomates des pays amis d’Israël, exerçant en Algérie.
Monsieur tout le monde est recruté en France
Le Mossad, tout comme n’importe quel service d’espionnage dans le monde, avait besoin d’éléments qui fréquentent les souks, voyagent par train et par bus, peuvent se fondre dans la foule et fréquentent le Palestinien lambda qui pourrait faire un agent plus intéressant. Il a besoin d’éléments auxquels il confi era des missions de vérifi cation d’informations en leur demandant de se rendre physiquement à tel ou tel autre endroit, à des heures précises et de manière répétitive. Des éléments qui ne rechignent pas à répondre à des questions qui semblent relever de la débilité mentale alors qu’elles ont leur importance aux yeux des offi ciers traitants du MOSSAD. Des questions du genre « est-ce que le bus qui va à la place du 1er mai passe par la rue Victor Hugo ? », ou « la serrure de la porte de sortie du camp de Tébessa se trouve à quel niveau du sol ? » En somme, c’est un monsieur tout le monde dont a besoin le MOSSAD en Algérie. Ce monsieur tout le monde se recrute dans la rue, dans les bus, dans les cafés et dans tous les lieux publics. Pour le trouver, il faut être sur place. Le Mossad ne l’était pas en Algérie. C’est pour cette raison qu’il lui a été diffi cile d’en trouver. Il fallait chercher parmi les touristes algériens qui s’étaient déversés sur la France au début des années 80. C’est ainsi que les deux premiers agents algériens recrutés par le Mossad l’ont été à Paris et à Marseille. L’un s’est dirigé de sa propre initiative au consulat d’Israël à Marseille proposant ses services et le second a été approché dans le train reliant Saint Etienne à Paris. C’était en 1984. Ce sont les histoires de ces deux agents que nous vous relaterons dans notre prochaine édition.
(suite dans notre prochaine edition)
http://www.agirpourlalgerie.com/infiltration.htm
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