11 septembre 2001 : conspiration islamiste ou nouveau Pearl Harbor ?
par Christopher Pollmann
On croit savoir ce qui s’est passé le 11 septembre 2001. On tient donc pour responsables Al-Qaida et son chef présumé Oussama ben Laden, nonobstant le démenti de ce dernier (2). L’affirmation d’un complot islamiste a provoqué de multiples doutes et contre-versions tantôt fantaisistes, voire délirants, tantôt étayés. Toutefois, les média français ont largement refusé de refléter cette diversité d’enquêtes et d’analyses. La “pensée unique” régit y compris la presse habituellement animée par un esprit critique à l’égard des vérités officielles.
Les enjeux sont pourtant considérables : Le 11-septembre, peut-être l’un des événements les plus cruciaux de l’histoire moderne, a permis de déclencher deux guerres, et dans tous les Etats du monde, il est invoqué pour justifier des mesures de surveillance et de répression accrues. C’est pourquoi il est nécessaire de présenter quelques-uns des doutes émis contre la version officielle et de réfléchir à la fois à la signification d’une possible implication américaine et à l’obéissance médiatique en la matière. Cette dernière est d’ailleurs d’autant plus néfaste qu’elle favorise chez les citoyens critiques une méfiance généralisée, voire paranoïaque. Mais commençons par préciser la piste d’un nouveau Pearl Harbor.
Le précédent historique révélateur
En septembre 2000, le “think-tank” Projet pour le nouveau siècle américain publie un rapport intitulé Reconstruire les défenses de l’Amérique. Rédigé sous la direction de Dick Cheney (aujourd’hui vice-président), Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz (devenus ministre et vice-ministre de la défense) et quelques autres, ce document préconise la transformation des Etats-Unis en la « puissance dominante de demain », tout en avertissant que cela serait laborieux en l’absence d’un « événement catastrophique et catalytique – comme un nouveau Pearl Harbor » (3)
Le 11 septembre 2001 a souvent été comparé à Pearl Harbor. Cette comparaison est plus révélatrice qu’on ne le pense au premier abord. Si nous voulons, nous pouvons en effet savoir aujourd’hui que le président Franklin D. Roosevelt connaissait sans doute la date de l’attaque japonaise trois semaines avant qu’elle n’eût lieu, le 7 décembre 1941. C’est d’ailleurs ce que le New York Times a indiqué dès le lendemain.(4) Nous pouvons également apprendre que l’assaut fut facilité par le déplacement, de San Diego/Californie vers Hawaii, de la flotte américaine du Pacifique. C’est ce que préconisait le mémorandum du 7 octobre 1940 rédigé par le capitaine de corvette Arthur H. McCollum, l’expert américain le plus réputé d’avant-guerre en matière d’espionnage naval sur le Japon. Le gouvernement avait besoin, face à une population fortement pacifiste, d’un prétexte pour entrer en guerre contre les puissances de l’Axe. Ce sont là les résultats saillants des recherches menées par Robert Stinnett qui estime d’ailleurs justifiée la démarche présidentielle face à la menace fasciste.(5)
La presse américaine a rendu compte de cette publication. Ainsi, The Wall Street Journal commente : « reproduisant beaucoup de ses documents récemment découverts », « Mr. Stinnett a écrit un livre fascinant et lisible qui est exceptionnellement bien présenté ».(6) Le New York Times reste plus réservé, mais résume néanmoins qu’ « il est difficile, après avoir lu le livre abondamment documenté de Mr. Stinnett, de ne pas douter de quelques suppositions, auparavant non contestées, sur Pearl Harbor. »(7)
En France, en revanche, aucun journal ni magazine ne semble avoir évoqué cet ouvrage. Pourtant, quand de futurs dirigeants des Etats-Unis préconisent indirectement un nouveau Pearl Harbor, dans le document précité de septembre 2000, il serait judicieux de questionner ce précédent historique. Et cela d’autant plus que depuis la publication du livre de R. Stinnett en 1999, la référence à Pearl Harbor devait apparaître pour le moins comme ambiguë, voire comme synonyme d’une attaque simulée (8).
Concernant le 11-septembre lui-même, il ne s’agit pas nécessairement d’aller aussi loin que Robert M. Bowman, docteur en aéronautique et ingénierie nucléaire, l’un des soldats les plus primés et l’un des plus éminents experts de sécurité nationale aux Etats-Unis : Dans une interview radiophonique avec The Alex Jones Show diffusée dans tout le pays, il a récemment estimé, preuves à l’appui, que le principal instigateur du 11-septembre pourrait être... le vice-président Dick Cheney (9) ! Mais il s’agirait de rendre compte d’une prise de position aussi autorisée.
Mystères inexpliqués de la version officielle
Les faits, événements et autres phénomènes que n’explique guère l’hypothèse d’une conspiration islamiste se chiffrent par centaines.(10) On ne peut donc en mentionner que les plus importants ou intrigants. Parmi de multiples sources, le lecteur curieux pourra d’ailleurs regarder de nombreux films.(11)
1) Il y a tout d’abord les questions qui concernent ce qui s’est passé le jour fatidique :
Alors que le détournement simultané de quatre avions était déjà connu, aucun intercepteur ne quitta à temps, pendant 75 minutes, les bases aériennes de McGuire (New Jersey) et d’Andrews (Virginia), pourtant seulement à quelques minutes de vol de New York et de Washington D.C. (12) Est-ce à cause de la confusion provoquée par d’importants exercices militaires qui, le matin du 11 septembre, simulèrent des attaques d’immeubles éminents par des avions (13) ? Qui les organisa ? Pourquoi le bâtiment 7 du World Trade Center s’est-il effondré aussi, sept heures après les tours jumelles, alors qu’il n’a pas été heurté par un avion ? Cet immeuble de 47 étages hébergeait des services de la C.I.A. et plusieurs autres services secrets et centres de commande militaire... Comment ces trois immeubles ont-ils pu descendre à une vitesse proche d’une chute libre ? Aucun bâtiment encadré d’acier ne s’étant jamais écroulé du fait du feu, qu’en est-il de l’hypothèse d’une démolition contrôlée, fondée sur des témoignages et des indices d’explosions ? (14) Comment expliquer que les tours se soient effondrées si régulièrement et d’un seul coup, en tombant sur leurs propres fondations, et aussi vite après l’impact, au bout de seulement 56 minutes dans le cas de la tour du Sud ? Précisons que le milliardaire Jimmy Walter a offert 1 millions de dollars à qui prouverait qu’elles auraient pu s’écrouler sans recours à des explosifs ; le prix n’a pas encore été réclamé. (15) Comment expliquer l’expression du visage de George W. Bush juste après qu’il avait reçu la nouvelle de l’attaque contre la deuxième des tours de New York ? Pas de stupeur, pas d’horreur ; on y voit quelqu’un qui mord ses lèvres et ferme et rouvre ses yeux, comme s’il était momentanément surmonté par la mauvaise conscience. (16)
2) Il y a ensuite des événements suspects autour du 11 septembre :
De hauts responsables du Pentagone annulèrent leur vol prévu le matin du 11 septembre.(17) Pendant les jours précédant le 11 septembre, de fortes spéculations boursières permettaient des gains de douze à quinze millions de dollars contre les actions de United Airlines et d’American Airlines (18), les deux compagnies aériennes affectées par les attentats. Le soir du 12 septembre, les noms des kidnappeurs furent présentés au public alors qu’ils ne figuraient pas sur les listes des passagers. Toutefois, plusieurs de ces personnes sont encore en vie.(19) Le F.B.I. présenta d’ailleurs en parfait état le passeport de Satam al Suqami, l’un des kidnappeurs présumés du vol d’American Airlines n° 11 qui avait heurté la tour du Nord. En revanche, la boîte noire et l’enregistreur vocal de la cabine de pilotage, réputés indestructibles, de cet avion (comme de son successeur frappant la tour du Sud) étaient introuvables ; dans le cas des deux autres avions enlevés, les données enregistrées par ces précieux outils sont ou bien inutilisables ou bien secrètes.(20) Selon Le Figaro, Larry Mitchell, délégué de la C.I.A. à Doubaï, rencontra, entre le 4 et le 14 juillet 2001, O. ben Laden à l’hôpital américain de l’émirat où celui-ci séjournait pour une dialyse.(21) En août 2001, rapporte le quotidien Times of India, le service secret du Pakistan effectua un virement de 100.000 $ à Mohammed Atta. (22) Son directeur, le général Mahmoud Ahmad, rencontra George Tenet, chef de la C.I.A., le 5 septembre, puis, le matin du 11 septembre 2001 (ou la veille), Bob Graham et Porter Goss qui étaient présidents des commissions sur les services secrets du Sénat et de la Chambre des représentants, respectivement.(23)
3) Enfin, certains éléments pourraient éclaircir l’arrière-plan du 11-septembre :
Depuis son investiture comme président des Etats-Unis, George W. Bush bloquait ou suspendait les investigations et mesures concrètes du F.B.I., de la C.I.A. et d’autres agences contre O. ben Laden et sa famille, à tel point que John O’Neill, enquêteur-en-chef du F.B.I., démissionna de son emploi en juillet-août 2001. Nommé par la suite chef de sécurité du W.T.C., il compta parmi les victimes le jour fatidique.(24) Après les attentats, une enquête a été considérée contraire à la sécurité nationale.(25) On peut se demander quelles étaient les raisons pour cette hostilité : les relations commerciales étroites entre les familles Bush et ben Laden (26) ou le possible rôle d’O. ben Laden en tant qu’agent double ? Lors de la guerre contre l’Afghanistan, selon un ordre du Pentagone, un couloir de Konduz jusqu’au Pakistan ne devait pas être bombardé, pour que des dirigeants d’Al-Qaida et des talibans et plusieurs milliers de leurs combattants puissent être évacués.(27) ... contre quelles révolutions ?
Pour autant, ces derniers éléments ne suffisent pas pour expliquer les raisons et motifs d’une éventuelle implication américaine, voire gouvernementale. En l’absence d’études approfondies, nous sommes réduits à formuler des hypothèses, en prenant soin d’appliquer raison et bon sens. Bien entendu, on n’a pas besoin d’adhérer à ces analyses provisoires pour partager les doutes évoqués ci-dessus (et inversement).
L’explication la plus connue avance l’approvisionnement en hydrocarbures. Ainsi, déjà lors des négociations de juillet 2001 sur la construction d’un gazoduc traversant l’Afghanistan, les talibans gouvernant ce pays se sont vus opposés des menaces militaires par la délégation américaine.(28) Suite à la guerre d’automne 2001, les vainqueurs nomment Hamid Karzai, ancien consultant de la United Oil of California, nouveau premier ministre de l’Afghanistan.(29) Dans le cadre de cette guerre, les Etats-Unis ont pu installer de nouvelles bases militaires dans plusieurs pays de la région. Le 11-septembre leur a également permis, il est vrai au prix de mensonges variés et d’une perte de légitimité considérable, de prendre contrôle des ressources pétrolières de l’Irak.
Plus incertaine, une explication géopolitique (30) tient à la disparition de l’U.R.S.S. Paradoxalement, le régime soviétique était peut-être le soutien le plus précieux du monde capitaliste : Moscou stimulait, canalisait et neutralisait les espoirs de changement social à travers le monde. En effet, l’U.R.S.S. a été majoritairement perçue comme concrétisation du projet socialiste ou communiste. (Certes, cette perception était fausse puisqu’elle ne correspondait visiblement pas au Manifeste communiste où nous lisons que la société sans classes se caractérise par « le libre épanouissement de chacun comme condition du libre épanouissement de tous » (31).)
Ainsi, les désirs d’émancipation sociale et nationale étaient orientés vers des ambitions d’industrialisation et récupérés au profit de la stabilité politique recherchée par Moscou. L’Union soviétique constituait ainsi une police politique du changement social, tout en le discréditant. En même temps, elle donnait cohésion et légitimité au “monde libre”.
Après la dislocation de l’U.R.S.S., n’existe plus de puissance capable de contrôler les divers mouvements de révolte contre le désordre capitaliste, qu’ils soient altermondialistes, islamistes ou plus traditionnellement nationalistes et protectionnistes. Pire, certains pays, notamment en Amérique latine, pourraient s’extraire de la domination néocoloniale exercée à travers le marché capitaliste mondial, voire – comme la Chine – rivaliser avec le monde occidental.
C’est dans cette perspective que se situe « le nouvel impérialisme libéral » sur l’Est et le Tiers Monde prôné par le diplomate britannique Robert Cooper (32). Il s’agit de reprendre le contrôle de ces pays si nécessaire, ambition contre-révolutionnaire si l’on conçoit leur accès à l’indépendance face aux puissances coloniales comme étant des révolutions. Le 11-septembre serait alors une pièce maîtresse dans un projet de revenir sur la décolonisation.
Cette explication prend une tournure particulière sous la plume d’un des hommes les plus puissants de la planète, Zbigniew Brzezinski. L’ancien conseiller pour la sécurité nationale sous le président Carter estime que les Etats-Unis sont probablement la « dernière puissance suprême ».(33) Ce statut lui semble de moins en moins compatible avec la mondialisation et la tendance à la démocratisation dans différentes parties du monde. C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier son sentiment que la « démocratie est peu favorable à la mobilisation impériale » et que l’« Amérique est trop démocratique chez elle pour être autocratique à l’étranger » ; « un consensus en matière de politique étrangère est difficile à façonner, sauf en cas d’une menace extérieure directe, vraiment massive et largement perçue. » (34)
Cette analyse (qui anticipe celle du Projet pour le nouveau siècle américain citée au début) suggère que Z. Brzezinski juge nécessaire un sursaut impérial permettant aux Etats-Unis de profiter de leur statut de puissance suprême et de le prolonger tant qu’ils l’ont encore.
En dernier lieu, on peut avancer une explication socio-économique. Le 11-septembre a permis « les plus fortes restrictions dans notre histoire » des droits individuels et libertés publiques (35), aux Etats-Unis notamment par le “Patriot Act” I. Adopté déjà le 26 octobre 2001, ce document de 345 pages regroupant de multiples mesures législatives et réglementaires a dû être préparé bien avant le 11-septembre. Partout dans le monde, l’invocation de la menace “terroriste” légitime le renforcement de l’appareil d’Etat et le contrôle accru sur la population en général et à l’encontre des minorités et des contestataires en particulier.
Or, cette vague répressive se déroule en même temps qu’une politique d’austérité visant à transférer des ressources vers les couches et les contrées les plus puissantes. C’est pour cela qu’on peut penser que la restriction des droits et des libertés a pour objectif de faciliter ces transferts en entravant les mouvements de refus et de résistance. Il s’agirait donc de revenir sur les “acquis sociaux” obtenus grâce à la pression populaire et consentis par les Etats occidentaux pour maintenir leur légitimité dans la soi-disant concurrence des systèmes, donc face à l’Union soviétique. En ce sens également, les attentats semblent relever d’un projet quasi contre-révolutionnaire, initié par les couches dirigeantes américaines et partagé par de nombreuses autres élites nationales.
Le 11-septembre serait donc une contre-révolution à la fois internationale et intérieure.
Démonologie et supériorité occidentale
Dans ces conditions, ce n’est que logique que les média dominants de (presque) tous les pays cautionnent la version officielle du 11-septembre. Toute contestation signifierait mise en cause des privilèges obtenus ou espérés par les élites nationales (qui contrôlent ces média). Il est beaucoup plus difficile d’expliquer les raisons pour lesquelles même la presse, les individus et les groupes réservés ou hostiles aux élites taisent leur sens critique.
Douter de la version officielle semble toucher une corde sensible et provoquer un rejet viscéral, dans le monde occidental en général et notamment en France. J’en veux pour preuve la réaction haineuse que les livres critiques de Thierry Meyssan (36) ont provoqué chez un rédacteur de l’hebdomadaire de gauche Politis, Fabrice Nicolino. Celui-ci reproche à cet « insupportable montage » « une construction délirante », grâce à une « méthode qui est aussi celle des négationnistes », assimilée également aux « si fameuses notes des Renseignements généraux ». Il termine par l’injure : « Meyssan est un imposteur, Meyssan est un salaud [...] ».(37)
On pourrait se contenter de rappeler que les propos de Thierry Meyssan sont confirmés et corroborés par de nombreuses publications et personnalités, notamment aux Etats-Unis, dont certains sont cités dans cet article. Mais il est encore plus important d’étudier le surinvestissement émotionnel de F. Nicolino. Si l’on écarte la possibilité d’une querelle de personnes, il ne peut s’expliquer que par un ébranlement de quelque chose de fondamental. En effet, suggérer que des autorités américaines ont laissé faire, ont peut-être même contribué aux attentats heurte de front une conviction profonde : Les sociétés dites modernes se voient comme “civilisées”, rationnelles et transparentes et donc gouvernées par le droit et la raison. En dépit des multiples précédents historiques contraires (38), nous y somme nombreux à croire, tout au moins, en une telle intelligibilité du monde occidental. Ce besoin n’est sans doute pas sans rapport avec le fait que la croyance en l’Etat y a largement supplanté la foi en Dieu.
Si l’hypothèse d’une implication américaine apparaît monstrueuse à nos yeux, les autres – arriérés hier et islamistes aujourd’hui – sont censés pouvoir commettre des actes toujours aussi monstrueux. En définitive, ce parti-pris révèle le sentiment de supériorité morale occidentale comme peut-être dernier ressort de l’acceptation de la version officielle.
Une autre raison pourrait consister en la capacité d’auto-immunisation des théories conspiratrices contemporaines dirigées contre le monde arabe et musulman. Ces théories s’apparentent ainsi à la démonologie développée lors de la chasse aux sorcières à la fin du Moyen-Age. A cette époque, tout doute émis contre la présence du diable attestait sa perfide capacité de dissimulation et le rendait encore plus dangereux. Aujourd’hui, toute réserve à l’encontre de l’idée d’une conspiration islamiste se voit elle-même, aussitôt, qualifiée d’obsession d’un complot d’Etat, voire de complicité avec les kidnappeurs.(39)
Mutisme médiatique et extrême-droite
Il est d’ailleurs révélateur que les média dominants réservent les termes de conspiration, complot et conjuration aux impensables activités secrètes fomentées par des factions de l’appareil d’Etat à l’intérieur des pays occidentaux. L’action attribuée à Al-Qaida n’est pas qualifiée de complot. Pourtant, les trois termes désignent des « menées secrètes et concertées de plusieurs personnes contre quelqu’un ou contre une institution » (Larousse), ces personnes pouvant donc être des étrangers. Les média font comme si l’enlèvement et la conduite de quatre avions de ligne par Al-Qaida ne nécessitaient pas clandestinité et dissimulation, comme si de telles opérations pouvaient être élucidées et comprises grâce aux seules déclarations des autorités n’ayant dès lors plus besoin de mener d’enquêtes. La version officielle s’impose par la force magique de l’évidence.
Ces trois termes acquièrent ainsi une connotation de fiction malsaine, permettant de les coller à toute mise en doute pour lui donner une allure obsessionnelle. Les analystes qui doutent sont par-là excommuniés de la communauté des gens sérieux. Symptomatique de ce biais est le sentiment formulé par la rédactrice en chef du magazine Alternatives internationales face à la « thèse du complot, qui m'ennuie beaucoup » (40), puisqu’elle ne parle évidemment pas du complot attribué à Al-Qaida.
Son appréciation indique également à quel point l’information en la matière dépend de sentiments et d’idées préconçues, comme si l’investigation d’un crime aussi retentissant devait être déterminée par des considérations étrangères aux faits. Cela dit, l’autocensure est particulièrement forte dans le microcosme médiatique parisien, probablement le plus centralisé de tous les pays occidentaux. Ailleurs, par exemple aux Etats-Unis et en Allemagne, la défaveur médiatique à l’égard des contestataires de la version officielle n’a pas pu empêcher l’édition d’innombrables livres critiques ; certains d’entre eux se sont même vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires (41). Aux Etats-Unis, au moins un important magazine à diffusion nationale, The Nation, a mis en question le récit officiel.(42) D’ailleurs, 81% des citoyens y partagent désormais ces doutes, d’après un récent sondage commandé par le New York Times et la chaîne de télévision CBS.(43) Encore une fois, le silence règne : ni le New York Times, ni CBS, ni d’ailleurs les grands média français ne semblent avoir rendu public ce sondage...
Ce mutisme médiatique n’a pas seulement pour effet de discréditer les incertitudes à l’égard de la version officielle et les explications alternatives du 11-septembre. Il a également comme conséquence de provoquer chez les individus critiques l’impression d’être seuls et incompris dans leur scepticisme. Se voyant déconsidérés et dévalorisés, ils seront alors susceptibles de se sentir méconnus, voire persécutés. Face à la connivence médiatique, pourrait se développer une méfiance généralisée contre tout ce qui relève de l’“officiel” et du socialement visible : les médias, les institutions publiques, les grandes entreprises. Une telle vision paranoïaque et potentiellement antisémite du monde pourrait facilement être récupérée par l’extrême-droite. Celle-ci y trouverait d’ailleurs un terreau fertile pour son anti-américanisme.
Cette analyse n’est pas purement spéculative, mais peut-être étayée par l’évolution de la pensée d’Eric Hufschmid, essayiste et réalisateur de films. Après le 11-septembre, il s’est rapidement imposé comme l’un des analystes critiques les plus convaincants, avec son livre Painful Questions et son film Painful Deceptions.(44) Or, ces derniers mois, il a rédigé plusieurs textes qui frôlent le délire à relents antisémites, voire contribuent à mettre en question la réalité de l’Holocauste.(45)
Signalons pour terminer que l’absence de questionnement à l’égard de la vérité officielle ne signifie pas nécessairement absence de critique même radicale. Ainsi, Jean Baudrillard (qui ne dit mot de ces incertitudes) conteste fondamentalement l’idée dominante d’un occident innocent : à travers le “terrorisme”, sécrété au sein même du capitalisme mondialisé, « l’Occident, en position de Dieu, de toute-puissance divine et de légitimité morale absolue, devient suicidaire et se déclare la guerre à lui-même ». Et face au 11-septembre, le sentiment d’innocence se décline en deux branches, la compassion et sa « sœur jumelle », l’arrogance : « On pleure sur soi-même, et en même temps on est les plus forts. Et ce qui nous donne le droit d’être les plus forts, c’est qu’on est désormais des victimes. C’est l’alibi parfait [...] ».(46) Ces puissantes interrogations rejoignent d’ailleurs ma propre exploration politique et philosophique du 11-septembre qui part de la prémisse que les attentats se soient déroulés conformément à ce qu’en disent les média.(47)
D’où enfin cette question : Est-il impossible de mener un travail de recherche sur deux fronts parallèles ? A savoir, d’un côté criminologique étudier le 11-septembre comme acte “terroriste” recelant une part de responsabilité américaine et occidentale. Puis, de l’autre, criminalistique, mettre en doute l’existence d’un tel acte dit terroriste pour examiner l’éventualité d’une complicité du gouvernement des Etats-Unis ? En tout cas, « parfois, le récit officiel s’avère être un mensonge – regardez par exemple ce que l’Administration Nixon prétendait et que la presse reportait généralement quand l’affaire Watergate était à ses débuts. L’alternative à la thèse d’une conspiration [dans l’appareil d’Etat] est la “thèse de la coïncidence”. Mais à un certain moment, quand assez de “points” [suspicieux] forment une ligne, l’idée que tout est juste coïncidence devient la théorie la plus folle. » (48)
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=POL20070613&articleId=5957
par Christopher Pollmann
On croit savoir ce qui s’est passé le 11 septembre 2001. On tient donc pour responsables Al-Qaida et son chef présumé Oussama ben Laden, nonobstant le démenti de ce dernier (2). L’affirmation d’un complot islamiste a provoqué de multiples doutes et contre-versions tantôt fantaisistes, voire délirants, tantôt étayés. Toutefois, les média français ont largement refusé de refléter cette diversité d’enquêtes et d’analyses. La “pensée unique” régit y compris la presse habituellement animée par un esprit critique à l’égard des vérités officielles.
Les enjeux sont pourtant considérables : Le 11-septembre, peut-être l’un des événements les plus cruciaux de l’histoire moderne, a permis de déclencher deux guerres, et dans tous les Etats du monde, il est invoqué pour justifier des mesures de surveillance et de répression accrues. C’est pourquoi il est nécessaire de présenter quelques-uns des doutes émis contre la version officielle et de réfléchir à la fois à la signification d’une possible implication américaine et à l’obéissance médiatique en la matière. Cette dernière est d’ailleurs d’autant plus néfaste qu’elle favorise chez les citoyens critiques une méfiance généralisée, voire paranoïaque. Mais commençons par préciser la piste d’un nouveau Pearl Harbor.
Le précédent historique révélateur
En septembre 2000, le “think-tank” Projet pour le nouveau siècle américain publie un rapport intitulé Reconstruire les défenses de l’Amérique. Rédigé sous la direction de Dick Cheney (aujourd’hui vice-président), Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz (devenus ministre et vice-ministre de la défense) et quelques autres, ce document préconise la transformation des Etats-Unis en la « puissance dominante de demain », tout en avertissant que cela serait laborieux en l’absence d’un « événement catastrophique et catalytique – comme un nouveau Pearl Harbor » (3)
Le 11 septembre 2001 a souvent été comparé à Pearl Harbor. Cette comparaison est plus révélatrice qu’on ne le pense au premier abord. Si nous voulons, nous pouvons en effet savoir aujourd’hui que le président Franklin D. Roosevelt connaissait sans doute la date de l’attaque japonaise trois semaines avant qu’elle n’eût lieu, le 7 décembre 1941. C’est d’ailleurs ce que le New York Times a indiqué dès le lendemain.(4) Nous pouvons également apprendre que l’assaut fut facilité par le déplacement, de San Diego/Californie vers Hawaii, de la flotte américaine du Pacifique. C’est ce que préconisait le mémorandum du 7 octobre 1940 rédigé par le capitaine de corvette Arthur H. McCollum, l’expert américain le plus réputé d’avant-guerre en matière d’espionnage naval sur le Japon. Le gouvernement avait besoin, face à une population fortement pacifiste, d’un prétexte pour entrer en guerre contre les puissances de l’Axe. Ce sont là les résultats saillants des recherches menées par Robert Stinnett qui estime d’ailleurs justifiée la démarche présidentielle face à la menace fasciste.(5)
La presse américaine a rendu compte de cette publication. Ainsi, The Wall Street Journal commente : « reproduisant beaucoup de ses documents récemment découverts », « Mr. Stinnett a écrit un livre fascinant et lisible qui est exceptionnellement bien présenté ».(6) Le New York Times reste plus réservé, mais résume néanmoins qu’ « il est difficile, après avoir lu le livre abondamment documenté de Mr. Stinnett, de ne pas douter de quelques suppositions, auparavant non contestées, sur Pearl Harbor. »(7)
En France, en revanche, aucun journal ni magazine ne semble avoir évoqué cet ouvrage. Pourtant, quand de futurs dirigeants des Etats-Unis préconisent indirectement un nouveau Pearl Harbor, dans le document précité de septembre 2000, il serait judicieux de questionner ce précédent historique. Et cela d’autant plus que depuis la publication du livre de R. Stinnett en 1999, la référence à Pearl Harbor devait apparaître pour le moins comme ambiguë, voire comme synonyme d’une attaque simulée (8).
Concernant le 11-septembre lui-même, il ne s’agit pas nécessairement d’aller aussi loin que Robert M. Bowman, docteur en aéronautique et ingénierie nucléaire, l’un des soldats les plus primés et l’un des plus éminents experts de sécurité nationale aux Etats-Unis : Dans une interview radiophonique avec The Alex Jones Show diffusée dans tout le pays, il a récemment estimé, preuves à l’appui, que le principal instigateur du 11-septembre pourrait être... le vice-président Dick Cheney (9) ! Mais il s’agirait de rendre compte d’une prise de position aussi autorisée.
Mystères inexpliqués de la version officielle
Les faits, événements et autres phénomènes que n’explique guère l’hypothèse d’une conspiration islamiste se chiffrent par centaines.(10) On ne peut donc en mentionner que les plus importants ou intrigants. Parmi de multiples sources, le lecteur curieux pourra d’ailleurs regarder de nombreux films.(11)
1) Il y a tout d’abord les questions qui concernent ce qui s’est passé le jour fatidique :
Alors que le détournement simultané de quatre avions était déjà connu, aucun intercepteur ne quitta à temps, pendant 75 minutes, les bases aériennes de McGuire (New Jersey) et d’Andrews (Virginia), pourtant seulement à quelques minutes de vol de New York et de Washington D.C. (12) Est-ce à cause de la confusion provoquée par d’importants exercices militaires qui, le matin du 11 septembre, simulèrent des attaques d’immeubles éminents par des avions (13) ? Qui les organisa ? Pourquoi le bâtiment 7 du World Trade Center s’est-il effondré aussi, sept heures après les tours jumelles, alors qu’il n’a pas été heurté par un avion ? Cet immeuble de 47 étages hébergeait des services de la C.I.A. et plusieurs autres services secrets et centres de commande militaire... Comment ces trois immeubles ont-ils pu descendre à une vitesse proche d’une chute libre ? Aucun bâtiment encadré d’acier ne s’étant jamais écroulé du fait du feu, qu’en est-il de l’hypothèse d’une démolition contrôlée, fondée sur des témoignages et des indices d’explosions ? (14) Comment expliquer que les tours se soient effondrées si régulièrement et d’un seul coup, en tombant sur leurs propres fondations, et aussi vite après l’impact, au bout de seulement 56 minutes dans le cas de la tour du Sud ? Précisons que le milliardaire Jimmy Walter a offert 1 millions de dollars à qui prouverait qu’elles auraient pu s’écrouler sans recours à des explosifs ; le prix n’a pas encore été réclamé. (15) Comment expliquer l’expression du visage de George W. Bush juste après qu’il avait reçu la nouvelle de l’attaque contre la deuxième des tours de New York ? Pas de stupeur, pas d’horreur ; on y voit quelqu’un qui mord ses lèvres et ferme et rouvre ses yeux, comme s’il était momentanément surmonté par la mauvaise conscience. (16)
2) Il y a ensuite des événements suspects autour du 11 septembre :
De hauts responsables du Pentagone annulèrent leur vol prévu le matin du 11 septembre.(17) Pendant les jours précédant le 11 septembre, de fortes spéculations boursières permettaient des gains de douze à quinze millions de dollars contre les actions de United Airlines et d’American Airlines (18), les deux compagnies aériennes affectées par les attentats. Le soir du 12 septembre, les noms des kidnappeurs furent présentés au public alors qu’ils ne figuraient pas sur les listes des passagers. Toutefois, plusieurs de ces personnes sont encore en vie.(19) Le F.B.I. présenta d’ailleurs en parfait état le passeport de Satam al Suqami, l’un des kidnappeurs présumés du vol d’American Airlines n° 11 qui avait heurté la tour du Nord. En revanche, la boîte noire et l’enregistreur vocal de la cabine de pilotage, réputés indestructibles, de cet avion (comme de son successeur frappant la tour du Sud) étaient introuvables ; dans le cas des deux autres avions enlevés, les données enregistrées par ces précieux outils sont ou bien inutilisables ou bien secrètes.(20) Selon Le Figaro, Larry Mitchell, délégué de la C.I.A. à Doubaï, rencontra, entre le 4 et le 14 juillet 2001, O. ben Laden à l’hôpital américain de l’émirat où celui-ci séjournait pour une dialyse.(21) En août 2001, rapporte le quotidien Times of India, le service secret du Pakistan effectua un virement de 100.000 $ à Mohammed Atta. (22) Son directeur, le général Mahmoud Ahmad, rencontra George Tenet, chef de la C.I.A., le 5 septembre, puis, le matin du 11 septembre 2001 (ou la veille), Bob Graham et Porter Goss qui étaient présidents des commissions sur les services secrets du Sénat et de la Chambre des représentants, respectivement.(23)
3) Enfin, certains éléments pourraient éclaircir l’arrière-plan du 11-septembre :
Depuis son investiture comme président des Etats-Unis, George W. Bush bloquait ou suspendait les investigations et mesures concrètes du F.B.I., de la C.I.A. et d’autres agences contre O. ben Laden et sa famille, à tel point que John O’Neill, enquêteur-en-chef du F.B.I., démissionna de son emploi en juillet-août 2001. Nommé par la suite chef de sécurité du W.T.C., il compta parmi les victimes le jour fatidique.(24) Après les attentats, une enquête a été considérée contraire à la sécurité nationale.(25) On peut se demander quelles étaient les raisons pour cette hostilité : les relations commerciales étroites entre les familles Bush et ben Laden (26) ou le possible rôle d’O. ben Laden en tant qu’agent double ? Lors de la guerre contre l’Afghanistan, selon un ordre du Pentagone, un couloir de Konduz jusqu’au Pakistan ne devait pas être bombardé, pour que des dirigeants d’Al-Qaida et des talibans et plusieurs milliers de leurs combattants puissent être évacués.(27) ... contre quelles révolutions ?
Pour autant, ces derniers éléments ne suffisent pas pour expliquer les raisons et motifs d’une éventuelle implication américaine, voire gouvernementale. En l’absence d’études approfondies, nous sommes réduits à formuler des hypothèses, en prenant soin d’appliquer raison et bon sens. Bien entendu, on n’a pas besoin d’adhérer à ces analyses provisoires pour partager les doutes évoqués ci-dessus (et inversement).
L’explication la plus connue avance l’approvisionnement en hydrocarbures. Ainsi, déjà lors des négociations de juillet 2001 sur la construction d’un gazoduc traversant l’Afghanistan, les talibans gouvernant ce pays se sont vus opposés des menaces militaires par la délégation américaine.(28) Suite à la guerre d’automne 2001, les vainqueurs nomment Hamid Karzai, ancien consultant de la United Oil of California, nouveau premier ministre de l’Afghanistan.(29) Dans le cadre de cette guerre, les Etats-Unis ont pu installer de nouvelles bases militaires dans plusieurs pays de la région. Le 11-septembre leur a également permis, il est vrai au prix de mensonges variés et d’une perte de légitimité considérable, de prendre contrôle des ressources pétrolières de l’Irak.
Plus incertaine, une explication géopolitique (30) tient à la disparition de l’U.R.S.S. Paradoxalement, le régime soviétique était peut-être le soutien le plus précieux du monde capitaliste : Moscou stimulait, canalisait et neutralisait les espoirs de changement social à travers le monde. En effet, l’U.R.S.S. a été majoritairement perçue comme concrétisation du projet socialiste ou communiste. (Certes, cette perception était fausse puisqu’elle ne correspondait visiblement pas au Manifeste communiste où nous lisons que la société sans classes se caractérise par « le libre épanouissement de chacun comme condition du libre épanouissement de tous » (31).)
Ainsi, les désirs d’émancipation sociale et nationale étaient orientés vers des ambitions d’industrialisation et récupérés au profit de la stabilité politique recherchée par Moscou. L’Union soviétique constituait ainsi une police politique du changement social, tout en le discréditant. En même temps, elle donnait cohésion et légitimité au “monde libre”.
Après la dislocation de l’U.R.S.S., n’existe plus de puissance capable de contrôler les divers mouvements de révolte contre le désordre capitaliste, qu’ils soient altermondialistes, islamistes ou plus traditionnellement nationalistes et protectionnistes. Pire, certains pays, notamment en Amérique latine, pourraient s’extraire de la domination néocoloniale exercée à travers le marché capitaliste mondial, voire – comme la Chine – rivaliser avec le monde occidental.
C’est dans cette perspective que se situe « le nouvel impérialisme libéral » sur l’Est et le Tiers Monde prôné par le diplomate britannique Robert Cooper (32). Il s’agit de reprendre le contrôle de ces pays si nécessaire, ambition contre-révolutionnaire si l’on conçoit leur accès à l’indépendance face aux puissances coloniales comme étant des révolutions. Le 11-septembre serait alors une pièce maîtresse dans un projet de revenir sur la décolonisation.
Cette explication prend une tournure particulière sous la plume d’un des hommes les plus puissants de la planète, Zbigniew Brzezinski. L’ancien conseiller pour la sécurité nationale sous le président Carter estime que les Etats-Unis sont probablement la « dernière puissance suprême ».(33) Ce statut lui semble de moins en moins compatible avec la mondialisation et la tendance à la démocratisation dans différentes parties du monde. C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier son sentiment que la « démocratie est peu favorable à la mobilisation impériale » et que l’« Amérique est trop démocratique chez elle pour être autocratique à l’étranger » ; « un consensus en matière de politique étrangère est difficile à façonner, sauf en cas d’une menace extérieure directe, vraiment massive et largement perçue. » (34)
Cette analyse (qui anticipe celle du Projet pour le nouveau siècle américain citée au début) suggère que Z. Brzezinski juge nécessaire un sursaut impérial permettant aux Etats-Unis de profiter de leur statut de puissance suprême et de le prolonger tant qu’ils l’ont encore.
En dernier lieu, on peut avancer une explication socio-économique. Le 11-septembre a permis « les plus fortes restrictions dans notre histoire » des droits individuels et libertés publiques (35), aux Etats-Unis notamment par le “Patriot Act” I. Adopté déjà le 26 octobre 2001, ce document de 345 pages regroupant de multiples mesures législatives et réglementaires a dû être préparé bien avant le 11-septembre. Partout dans le monde, l’invocation de la menace “terroriste” légitime le renforcement de l’appareil d’Etat et le contrôle accru sur la population en général et à l’encontre des minorités et des contestataires en particulier.
Or, cette vague répressive se déroule en même temps qu’une politique d’austérité visant à transférer des ressources vers les couches et les contrées les plus puissantes. C’est pour cela qu’on peut penser que la restriction des droits et des libertés a pour objectif de faciliter ces transferts en entravant les mouvements de refus et de résistance. Il s’agirait donc de revenir sur les “acquis sociaux” obtenus grâce à la pression populaire et consentis par les Etats occidentaux pour maintenir leur légitimité dans la soi-disant concurrence des systèmes, donc face à l’Union soviétique. En ce sens également, les attentats semblent relever d’un projet quasi contre-révolutionnaire, initié par les couches dirigeantes américaines et partagé par de nombreuses autres élites nationales.
Le 11-septembre serait donc une contre-révolution à la fois internationale et intérieure.
Démonologie et supériorité occidentale
Dans ces conditions, ce n’est que logique que les média dominants de (presque) tous les pays cautionnent la version officielle du 11-septembre. Toute contestation signifierait mise en cause des privilèges obtenus ou espérés par les élites nationales (qui contrôlent ces média). Il est beaucoup plus difficile d’expliquer les raisons pour lesquelles même la presse, les individus et les groupes réservés ou hostiles aux élites taisent leur sens critique.
Douter de la version officielle semble toucher une corde sensible et provoquer un rejet viscéral, dans le monde occidental en général et notamment en France. J’en veux pour preuve la réaction haineuse que les livres critiques de Thierry Meyssan (36) ont provoqué chez un rédacteur de l’hebdomadaire de gauche Politis, Fabrice Nicolino. Celui-ci reproche à cet « insupportable montage » « une construction délirante », grâce à une « méthode qui est aussi celle des négationnistes », assimilée également aux « si fameuses notes des Renseignements généraux ». Il termine par l’injure : « Meyssan est un imposteur, Meyssan est un salaud [...] ».(37)
On pourrait se contenter de rappeler que les propos de Thierry Meyssan sont confirmés et corroborés par de nombreuses publications et personnalités, notamment aux Etats-Unis, dont certains sont cités dans cet article. Mais il est encore plus important d’étudier le surinvestissement émotionnel de F. Nicolino. Si l’on écarte la possibilité d’une querelle de personnes, il ne peut s’expliquer que par un ébranlement de quelque chose de fondamental. En effet, suggérer que des autorités américaines ont laissé faire, ont peut-être même contribué aux attentats heurte de front une conviction profonde : Les sociétés dites modernes se voient comme “civilisées”, rationnelles et transparentes et donc gouvernées par le droit et la raison. En dépit des multiples précédents historiques contraires (38), nous y somme nombreux à croire, tout au moins, en une telle intelligibilité du monde occidental. Ce besoin n’est sans doute pas sans rapport avec le fait que la croyance en l’Etat y a largement supplanté la foi en Dieu.
Si l’hypothèse d’une implication américaine apparaît monstrueuse à nos yeux, les autres – arriérés hier et islamistes aujourd’hui – sont censés pouvoir commettre des actes toujours aussi monstrueux. En définitive, ce parti-pris révèle le sentiment de supériorité morale occidentale comme peut-être dernier ressort de l’acceptation de la version officielle.
Une autre raison pourrait consister en la capacité d’auto-immunisation des théories conspiratrices contemporaines dirigées contre le monde arabe et musulman. Ces théories s’apparentent ainsi à la démonologie développée lors de la chasse aux sorcières à la fin du Moyen-Age. A cette époque, tout doute émis contre la présence du diable attestait sa perfide capacité de dissimulation et le rendait encore plus dangereux. Aujourd’hui, toute réserve à l’encontre de l’idée d’une conspiration islamiste se voit elle-même, aussitôt, qualifiée d’obsession d’un complot d’Etat, voire de complicité avec les kidnappeurs.(39)
Mutisme médiatique et extrême-droite
Il est d’ailleurs révélateur que les média dominants réservent les termes de conspiration, complot et conjuration aux impensables activités secrètes fomentées par des factions de l’appareil d’Etat à l’intérieur des pays occidentaux. L’action attribuée à Al-Qaida n’est pas qualifiée de complot. Pourtant, les trois termes désignent des « menées secrètes et concertées de plusieurs personnes contre quelqu’un ou contre une institution » (Larousse), ces personnes pouvant donc être des étrangers. Les média font comme si l’enlèvement et la conduite de quatre avions de ligne par Al-Qaida ne nécessitaient pas clandestinité et dissimulation, comme si de telles opérations pouvaient être élucidées et comprises grâce aux seules déclarations des autorités n’ayant dès lors plus besoin de mener d’enquêtes. La version officielle s’impose par la force magique de l’évidence.
Ces trois termes acquièrent ainsi une connotation de fiction malsaine, permettant de les coller à toute mise en doute pour lui donner une allure obsessionnelle. Les analystes qui doutent sont par-là excommuniés de la communauté des gens sérieux. Symptomatique de ce biais est le sentiment formulé par la rédactrice en chef du magazine Alternatives internationales face à la « thèse du complot, qui m'ennuie beaucoup » (40), puisqu’elle ne parle évidemment pas du complot attribué à Al-Qaida.
Son appréciation indique également à quel point l’information en la matière dépend de sentiments et d’idées préconçues, comme si l’investigation d’un crime aussi retentissant devait être déterminée par des considérations étrangères aux faits. Cela dit, l’autocensure est particulièrement forte dans le microcosme médiatique parisien, probablement le plus centralisé de tous les pays occidentaux. Ailleurs, par exemple aux Etats-Unis et en Allemagne, la défaveur médiatique à l’égard des contestataires de la version officielle n’a pas pu empêcher l’édition d’innombrables livres critiques ; certains d’entre eux se sont même vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires (41). Aux Etats-Unis, au moins un important magazine à diffusion nationale, The Nation, a mis en question le récit officiel.(42) D’ailleurs, 81% des citoyens y partagent désormais ces doutes, d’après un récent sondage commandé par le New York Times et la chaîne de télévision CBS.(43) Encore une fois, le silence règne : ni le New York Times, ni CBS, ni d’ailleurs les grands média français ne semblent avoir rendu public ce sondage...
Ce mutisme médiatique n’a pas seulement pour effet de discréditer les incertitudes à l’égard de la version officielle et les explications alternatives du 11-septembre. Il a également comme conséquence de provoquer chez les individus critiques l’impression d’être seuls et incompris dans leur scepticisme. Se voyant déconsidérés et dévalorisés, ils seront alors susceptibles de se sentir méconnus, voire persécutés. Face à la connivence médiatique, pourrait se développer une méfiance généralisée contre tout ce qui relève de l’“officiel” et du socialement visible : les médias, les institutions publiques, les grandes entreprises. Une telle vision paranoïaque et potentiellement antisémite du monde pourrait facilement être récupérée par l’extrême-droite. Celle-ci y trouverait d’ailleurs un terreau fertile pour son anti-américanisme.
Cette analyse n’est pas purement spéculative, mais peut-être étayée par l’évolution de la pensée d’Eric Hufschmid, essayiste et réalisateur de films. Après le 11-septembre, il s’est rapidement imposé comme l’un des analystes critiques les plus convaincants, avec son livre Painful Questions et son film Painful Deceptions.(44) Or, ces derniers mois, il a rédigé plusieurs textes qui frôlent le délire à relents antisémites, voire contribuent à mettre en question la réalité de l’Holocauste.(45)
Signalons pour terminer que l’absence de questionnement à l’égard de la vérité officielle ne signifie pas nécessairement absence de critique même radicale. Ainsi, Jean Baudrillard (qui ne dit mot de ces incertitudes) conteste fondamentalement l’idée dominante d’un occident innocent : à travers le “terrorisme”, sécrété au sein même du capitalisme mondialisé, « l’Occident, en position de Dieu, de toute-puissance divine et de légitimité morale absolue, devient suicidaire et se déclare la guerre à lui-même ». Et face au 11-septembre, le sentiment d’innocence se décline en deux branches, la compassion et sa « sœur jumelle », l’arrogance : « On pleure sur soi-même, et en même temps on est les plus forts. Et ce qui nous donne le droit d’être les plus forts, c’est qu’on est désormais des victimes. C’est l’alibi parfait [...] ».(46) Ces puissantes interrogations rejoignent d’ailleurs ma propre exploration politique et philosophique du 11-septembre qui part de la prémisse que les attentats se soient déroulés conformément à ce qu’en disent les média.(47)
D’où enfin cette question : Est-il impossible de mener un travail de recherche sur deux fronts parallèles ? A savoir, d’un côté criminologique étudier le 11-septembre comme acte “terroriste” recelant une part de responsabilité américaine et occidentale. Puis, de l’autre, criminalistique, mettre en doute l’existence d’un tel acte dit terroriste pour examiner l’éventualité d’une complicité du gouvernement des Etats-Unis ? En tout cas, « parfois, le récit officiel s’avère être un mensonge – regardez par exemple ce que l’Administration Nixon prétendait et que la presse reportait généralement quand l’affaire Watergate était à ses débuts. L’alternative à la thèse d’une conspiration [dans l’appareil d’Etat] est la “thèse de la coïncidence”. Mais à un certain moment, quand assez de “points” [suspicieux] forment une ligne, l’idée que tout est juste coïncidence devient la théorie la plus folle. » (48)
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=POL20070613&articleId=5957
0 Comments