Par Koffi Cadjehoun,
http://aucoursdureel.blogspot.com/
Entretien avec l'historien Paul-Eric Blanrue. A l'occasion de la parution de son dernier livre, l'historien Paul-Eric Blanrue a accepté de répondre à nos questions. Internet est un des moyens d'échapper à la censure démocratique et libérale qui consiste à promulguer la liberté sauf quand cette liberté dérange. Le dernier ouvrage de Blanrue, Sarkozy, Israël et les juifs, est ainsi publié par un éditeur belge et non diffusé en France par le diffuseur de cet éditeur, pas davantage que par les traditionnels éditeurs français de Blanrue. Pourtant, il ne s'agit pas d'un livre tombant sous le coup de la loi française, ni d'un livre à caractère raciste. Dès lors, il faut se poser la vraie question de cette curieuse omerta : si Blanrue dérange, pourquoi? Serait-ce parce qu'il raconte n'importe quoi? Dans ce cas, il ne sera pas ainsi censuré. Parce qu'il commet quelques erreurs? Qui ne commet pas d'erreurs? Au demeurant, factuellement, son livre paraît si peu attaquable que ceux qui s'y sont essayés se sont cassés les dents ou ont produit des raisons peu raisonnables. La réponse me paraît résider dans l'entretien qui suit, où Blanrue montre que la qualité de sa réflexion se situe très au-dessus des interventions des experts officiels des médias de France, d'Europe ou d'Occident (au sens étymologique, mais aussi au sens des pays de l'OTAN). On pourra aussi se procurer avec profit son ouvrage par Internet, au site suivant : http://www.oserdire.com/
) Vous faites (justement) la distinction entre judaïsme et sionisme, quasiment pas entre sionisme et engagement pro-israélien. Pensez-vous vraiment que l’idéologie sioniste s’est dissoute avec la création d’Israël ou ne faut-il pas estimer que la création de cet Etat a renforcé le sionisme, avec (notamment) un nouveau combat : la défense des valeurs israéliennes ?
Blanrue : On peut gloser à l’infini sur la définition des mots, mais je préfère rester simple et concret. Le sionisme d’antan (disons celui de Herzl, qui consistait à créer un « foyer national pour les juifs ») n’est plus le même que celui d’aujourd’hui, ne serait-ce que parce qu’il y a eu entre-temps, en 1948, la création de l’État d’Israël. C’est un fait. Certains universitaires construisent des théories sur le « post-sionisme ». Pour ma part, je considère que le vocable d’origine est toujours pertinent, puisque les militants pro-israéliens eux-mêmes l’utilisent et s’en revendiquent, comme la Wizo (Women’s international zionist organisation), la Fédération des sionistes de France, des personnalités éminentes comme Patrick Klugman, cofondateur de SOS Racisme et ancien président de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), ou encore, pour l’Amérique, un personnage tel que Joe Biden, l’actuel vice-président des États-Unis. Maintenant, que mettre dans ce mot ? Je définis le sionisme présent comme l’idéologie politique de l’État d’Israël, étant compris comme l’État juif (ou des juifs), quels que soient les gouvernants qui se succèdent à sa tête. C’est une mystique laïque qui double la religion juive traditionnelle - ce qui amène, à juste titre, certains rabbins à se déclarer antisionistes, à l’image des religieux juifs de l’époque de Herzl qui avaient compris d’instinct la dérive qu’allait entraîner cette nouvelle idéologie. Le sionisme d’aujourd’hui réside donc selon moi, essentiellement, dans le fait de lier intimement son identité personnelle au destin de l’État juif. Il n’est ainsi nul besoin d’être d’origine juive pour être sioniste : on le constate avec les évangélistes américains, dont certains sont même de farouches antisémites qui nourrissent des attentes eschatologiques. Il faut ainsi reconnaître que la création d’Israël a considérablement renforcé le sionisme tel que je le définis, en lui conférant une orientation nouvelle, celle de renforcer l’assise d’un État et son expansion par tous les moyens.
2) Que pensez-vous du travail de l’historien Shlomo Sand, qui dissocie la mythologie sioniste s’appuyant sur les récits du Pentateuque de l’histoire factuelle, notablement différente (et plus compréhensible) ? Sand confirme en particulier deux processus capitaux : le judaïsme des premiers siècle chrétiens était prosélyte ; les origines des deux principaux foyers du sionisme émanent de ces conversions, via les Ashkénazes d’Europe centrale et les Sépharades issus pour partie de foyers germains. En gros, le judaïsme serait un monothéisme enraciné dans l’histoire occidentale plus qu’orientale…
Blanrue : Avant d’évoquer les travaux de Sand, il convient de rappeler qu’il est déraisonnable et absurde de réclamer la restitution d’un territoire prétendument perdu il y a 2000 ans : si chaque peuple entretenait de telles chimères, la géographie politique du monde serait bouleversée à chaque instant et une nouvelle guerre éclaterait à chaque seconde. L’intérêt des travaux de Sand est d’en appeler à la raison : il démontre que la revendication sioniste du « retour » est illégitime d’un point de vue factuel. À s’en tenir aux données historiques, les véritables descendants des juifs du Ier siècle sont les actuels Palestiniens. On peut aller plus loin que Sand dans la déconstruction, pour employer le mot fétiche de Jacques Derrida ; je vous engage à lire, à ce propos, les livres de l’archéologue Israël Finkelstein, qui réduit à néant les prétentions historiques de la Thora (La Bible dévoilée, par exemple), ou ceux de l’universitaire Thomas Thompson (The Mythic Past, The Messiah Myth, etc.), qui démontre que le Temple de Salomon ou les aventures du roi David ne sont que de pieuses légendes compilées tardivement. « Monothéisme occidental », dites-vous : c’est à voir… Il n’y a certes pas de pureté des origines dans la religion juive. Orientale de prime abord, la religion juive antique est un phénomène syncrétique. Ainsi, la prétention de cette religion à être le berceau du monothéisme n’est pas acceptable d’un point de vue historique. La Thora amalgame des mythes sumériens, égyptiens, mésopotamiens, sans oublier l’apport grec et perse pour ce qui est, précisément, de la construction du Dieu unique : dans la Thora, on ne passe que progressivement d’un polythéisme implicite, à tendance monolâtrique, à un monothéisme explicite. La tendance la plus universaliste du judaïsme, celles de Prophètes, a engendré le christianisme ; la tendance antigréciste a donné le judaïsme talmudique, qui s’éloigne du judaïsme mosaïque ancien et a créé une forme nouvelle de religion, celle des rabbins et des synagogues, qui aura tendance à se refermer sur elle-même. Les rabbins de l’époque médiévale ne lisent pas le Nouveau testament et n’ont qu’une faible connaissance de la civilisation chrétienne. « L’occidentalisation » de la culture juive est donc très relative. Le judaïsme des 2000 dernières années est aussi une ablation de « l’Occident ». Sand, lui, parle de la fabrication du concept de « peuple juif ». C’est autre chose. Il démontre qu’il n’existe pas de « peuple juif » d’un point de vue objectif. Cette idée apparaît, comme le sionisme, à une époque récente et se forge dans le cadre « occidental ». Ce qui démontre que le concept de peuple juif n’a rien à voir avec celui de religion juive, plus ancienne et orientale-syncrétique. Cela ne fait pas pour autant du judaïsme un occidentalisme. Pour moi, qui suis rationaliste, le judaïsme doit d’abord et avant tout être considéré comme une religion, contrairement à ce que prétendait Herzl hier ou BHL aujourd’hui, car c’est ce qu’il est objectivement. Herzl lui-même était agnostique et considérait que les croyances ancestrales de ce qu’il définissait comme son peuple, son ethnie ou sa race, ne constituaient qu’un outil de propagande utile destiné à encourager les juifs à quitter leurs pays pour rejoindre un « foyer juif » (qui n’était d’ailleurs pas forcément situé en Palestine à l’origine). Le sionisme a peu à peu effacé la religion juive des pères. L’Israël politique n’a pas sécularisé une religion : il l’a détournée de son sens.
3) On glose souvent sur le sionisme qui dominerait l’Occident, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne. Le boycott de votre dernier ouvrage semble confirmer cette tendance. Le silence complice des instances occidentales lors de l’opération honteuse et sanglante de Gaza également. Pourtant, quand on analyse l’histoire du sionisme, on se rend compte que le sionisme a d’abord été créé par des hérésies protestantes comme les restaurationnistes. Vu votre connaissance des réseaux sionistes français, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait plutôt de renverser l’analyse et de proposer que le sionisme est l’enfant – ingérable, capricieux et gâté – de l’Occident impérialiste ? Israël serait ainsi l’un des visages du néocolonialisme occidental et l’une des incarnations territoriales de cet impérialisme occidentaliste travesti en libéralisme universaliste. Israël manifesterait sans doute un comportement égocentrique et indépendant, mais les Occidentaux se serviraient au moins autant d’Israël que l’inverse ? La servilité des Occidentaux s’expliquerait moins par la lâcheté ou la subordination que par la complicité, voire la manipulation… À l’appui de cette thèse, mentionnons le refus récent de l’administration Obama de suivre les Israéliens sur le terrain d’une guerre préventive contre l’Iran : on a constaté le résultat…
Blanrue : Il n’y a pas à douter 1° que le sionisme est la création de son époque, celle du « fait national » et du colonialisme du XIXe siècle, 2° que sa naissance a lieu en Europe et 3° enfin que le judaïsme n’en est pas la seule composante. L’esprit colonial européen l’a donc bercé. Le sionisme se résout-il toutefois à n’être qu’une extension de l’esprit colonial européen ? Le sionisme est certes une tentative d’imiter le mouvement colonial européen. Il a été appuyé à cet égard par l’une des principales puissances coloniales, la Grande-Bretagne, à des fins politiques. On remarquera en revanche que c’est une forme originale de colonisation, sans métropole, qui la distingue radicalement des autres formes de colonisations européennes. Par ailleurs, le concept « d’Occident » est depuis longtemps périmé : je ne vois pas quels intérêts ont en commun la France et les États-Unis (que certains voudraient confondre dans la trop vaste et trop vague notion d’Occident) sur la question d’Israël, ni en quoi Israël est un relais de l’Europe au Moyen-Orient ou contribue à y défendre ses intérêts. Cette vue de l’esprit était celle de Herzl, qui cherchait à convaincre les financiers de l’aider dans son projet de conquête en leur promettant que son pays de cocagne serait le « bastion avancé de la civilisation contre la barbarie » : ce n’est pas pour autant que son slogan publicitaire correspond à la réalité ! En fait, on remarquera que les mouvements de capitaux se font plutôt de l’Europe ou de l’Amérique vers Israël que l’inverse. Les États-Unis ont un intérêt géostratégique certain dans la région, inutile de le démontrer à nouveau : Israël leur permet de contrôler le gaz et le pétrole au Moyen et au Proche-Orient. Mais l’Europe ? Songez, par exemple, aux sommes faramineuses que l’Allemagne doit payer comme répération aux rescapés des camps de concentrations réfugiés en Israël : à quoi cela lui sert-il ? N’oublions pas que la servilité des « occidentaux » à l’égard de l’État juif, pour reprendre votre expression, s’explique en majeure partie par la Seconde Guerre mondiale et l’immense sentiment de culpabilité qui s’en est suivi, nourri chaque jour par l’idéologie sioniste, dont les relais, face à toute contestation, procèdent à la reductio ad hitlerum afin d’écraser leurs adversaires comme des mouches. L’Union des patrons juifs de France (UPJF) promeut déjà l’idée d’une loi « Martin Luther King », qui vise à assimiler légalement l’antisionisme à l’antisémitisme. C’est totalement aberrant. Pour en revenir à l’objet de mon livre, je montre que Nicolas Sarkozy a utilisé les réseaux sionistes pour réaliser ses ambitions politiques : de manière démagogique, il a repris les thèmes de Le Pen pour être élu à la présidence en 2007 et s’est assuré une immunité en s’associant avec le lobby pro-israélien américain et ses relais français, qui l’ont préservé de toute attaque d’envergure sur ce plan. Ces réseaux sont devenus son plus ferme soutien. Résultat : aujourd’hui, Sarkozy va encore plus loin qu’Obama dans la critique d’Ahmadinedjad ou dans la vénération d’Israël. Il est devenu, avec une guerre de retard, un « Bush à la française », comme l’a dit récemment l’hebdomadaire Marianne. Mais en quoi la France est-elle gagnante dans cette politique ? Elle subit elle aussi les pressions sionistes de toute sorte. Ses hommes politiques reçoivent des consignes des associations pro-israéliennes, qu’il ne leur serait pas pardonné de ne pas respecter scrupuleusement. Où est passée notre indépendance nationale, notre souveraineté ? La politique de Sarkozy, fracture dans l’histoire de la France contemporaine, conduit notre pays dans le mur en l’associant à la politique irrationnelle de l’État juif qui a besoin de guerres pour assurer sa cohésion interne et qui tente de résister à la décadence en s’auto-illusionnant sur sa force. La politique précédente des gouvernants français, dénoncée comme « arabe » par ses ennemis, mais qui était en réalité neutre, prudente et équilibrée, était plus conforme aux intérêts de notre pays, ainsi qu’à la justice et à la morale.
4) Pour poursuivre dans cette veine interprétative, ne croyez-vous pas que le sionisme serait une sous-idéologie, un hybride entre communisme et libéralisme (pour synthétiser) et que le vrai ennemi de la liberté ne serait pas cette sous-idéologie, mais ce que le géopoliticien Hillard a appelé le mondialisme par distinction avec le processus de la mondialisation ? La mondialisation suivrait le cours de l’histoire humaine, qui tend vers la globalisation et l’expansion, quand le mondialisme serait cette idéologie issue des cercles appelant à stopper le processus d’expansion au niveau de la domination du monde.
Blanrue : Le sionisme est le premier mouvement « rouge-brun » de l’histoire. On y trouve en son sein des extrémistes de gauche charriant le mythe des kibboutzim et des ultra-orthodoxes de la droite radicale. C’est la mystique d’Israël comme État juif qui les maintient tous unis. Pour autant, je ne définirai pas le sionisme comme une hybridation, mais plutôt comme un système dégradé et contradictoire qui ne tient en place que dans la glorification d’une entité artificielle « déifiée » qui ne perdure que grâce à la recherche d’un ennemi commun à abattre, qui permet de gommer les antagonismes internes à effet centripète. Dans ce cadre, l’idéologie mondialiste est à la fois le meilleur ami et le pire ennemi du sionisme. L’ami, car Israël reste un État à part, qui se dit prêt à accueillir tous les juifs du monde, quelles que soient leur nationalité d’origine, avec une « loi du retour » beaucoup large que la notion mosaïque, puisque, depuis 1970, elle est étendue « aux enfants et petits-enfants d’un juif, à son conjoint et au conjoint d’un enfant ou d’un petit-enfant d’un juif ». Ennemi, car le métissage des jeunes générations et la démographie galopante de Palestiniens sont des phénomènes qui vont irrémédiablement entraîner l’État juif sur la pente du déclin, comme le note Jacques Attali, qui lui accorde encore un maximum de 50 années d’existence. Je crois qu’il est optimiste.
5) Récemment, les élections européennes françaises ont suscité un certain débat avec la liste antisioniste de Dieudonné et Compagnie cantonnée en Ile-de-France (bel exemple de parisianisme fort peu républicain !). Cette liste a connu un succès certes fort mitigé, mais moins étriqué que ce qu’on avance souvent. Pensez-vous vraiment que l’antisionisme puisse incarner un programme politique cohérent, notamment en France ?
Blanrue : Pour le moment, on n’a pas vu de programme antisioniste réellement cohérent, mais plutôt un mouvement d’humeur catalysant un ras-le-bol face aux prétentions politiques et aux privilèges des représentants de la communauté juive (dîner du CRIF, loi Gayssot et autres), qui entendent parler au nom des juifs, alors qu’ils n’en représentent au mieux qu’un sixième et travaillent essentiellement à la promotion du sionisme sans se soucier des intérêts réels de leurs coreligionaires. Au bilan, les résultats des urnes sont mitigés. Le vote semble plus ethnique que proprement idéologique. J’ignore si aujourd’hui, dans notre société telle qu’elle est, une liste purement antisioniste a quelque chance de succès. Pour susciter l’engouement populaire, un programme positif me paraît nécessaire. Il est certain, par exemple, que des personnalités remarquables comme Roland Dumas ou Dominique de Villepin n’ont pas eu à se revendiquer de l’antisionisme pour réussir à maintenir la souveraineté nationale lorsqu’elle était en péril face aux prétentions d’Israël.
6) Vous donnez quelques conseils aux sionistes pour éviter de possibles violences vengeresses à l’avenir. Pourtant, depuis l’assassinat de Rabin en 1995, la politique israélienne n’a cessé de connaître une surenchère dans la violence et le bellicisme, au point que Sharon a été détrôné dans le paroxysme néo-colonial qu’il incarnait (souvent) par Netanyahou et son improbable ministre des Affaires étrangères. Un LaRouche aux Etats-Unis (énième bouc émissaire accusé d’antisémitisme) explique qu’Israël est pris dans une spirale autodestructrice, contrairement à l’erreur d’optique qui considère la violence israélienne comme toute-puissante, notamment dans la région du Proche-Orient. A l’aune de cette fuite en avant, que pensez-vous de l’alternative à la guerre perpétuelle qui est présentée comme la solution de la sagesse et du progressisme et qui appelle à la création de deux Etats, l’un israélien et l’autre palestinien ? N’est-ce pas une gageure proposant un néo-apartheid moralement inadmissible et concrètement inapplicable ? Soit une fausse solution permettant de différer la résolution d’un vrai problème ?
Blanrue : La proposition des « deux États » comme solution au conflit israélo-palestinien n’est déjà plus tenable. Stéphane Hessel, y a déjà répondu. Dans mon livre, je cite cet ancien déporté à Buchenwald, l’un des « pères » de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, qui a déclaré à la fin de 2008 : « À la suite de ce qui s'est passé depuis l'évacuation des colonies israéliennes à Gaza, depuis l'enfermement de ce petit territoire qui n'a plus de contacts avec le monde extérieur, depuis qu'il y a le Hamas d'un côté et le Fatah de l'autre, la seule solution qui apparaissait raisonnable et possible des deux États –israélien et palestinien – vivant côte à côte à la suite d'une négociation, n'est plus d'actualité. Tous nos interlocuteurs sur place nous ont dit : “ C'est out ! Ce n'est plus possible !“ Pourquoi ? Essentiellement à cause de la façon dont les Israéliens ont continué à coloniser la Cisjordanie et n'ont rien fait pour faciliter le travail de Mahmoud Abbas. Aucun de ces problèmes n'ayant évolué ces dernières années, la solution de deux États est devenue caduque. » Il n’y a rien à ajouter.
7) Qu’est-ce que l’antisionisme ? Se montrer antisioniste, est-ce souhaiter la disparition d’Israël ? Si l’antisionisme ne correspond pas à cette dernière option mentionnée, ne doit-on pas en conclure que le sionisme et le pro-israélisme ne correspondent pas, en tout cas tout à fait ?
Blanrue : Il y a autant de types d’antisionistes que de sionistes. Je ne connais personne qui souhaite la disparition physique de l’État d’Israël, et sûrement pas le président Ahmadinedjad dont on a détourné les paroles de leur véritable sens (pour lui, le « régime d’occupation en Israël » devra « être effacé des pages du temps », ce qui n’a rien à voir avec l’élimination d’un État). En revanche, l’un des points communs des antisionistes, c’est de ne pas se satisfaire de la situation qui règne en Israël et à laquelle on nous contraint d’assister en France sans qu’on ait le droit de la critiquer sous peine de nous faire qualifier de noms passibles du tribunal correctionnel. L’une des définitions possibles et raisonnables de l’antisionisme tiendrait, pour reprendre le terme utilisé par Jimmy Carter, dans le fait ne pas accepter qu’Israël continue d’être un État juif pratiquant une politique d’apartheid.
8) Ne pensez-vous pas que la toute-puissance unilatérale du sionisme cache l’affaiblissement obvie, quelque chose comme le chant du cygne de cette idéologie et de la politique pro-israélienne ? La crise systémique actuelle, qui est tout sauf terminée, affecterait en premier lieu les intérêts sionistes – le sionisme comme l’arbre qui cache la forêt mondialiste. Le rempart moral de l’antisémitisme n’empêche plus aussi efficacement qu’autrefois les protestations (de plus en plus nombreuses) contre les dérives et les abus, notamment lors des dernières manifestations de la politique israélienne. Les défenseurs du sionisme sont de plus en plus contestés, surtout les inconditionnels, comme BHL et Consorts, qui passent de plus en plus pour des propagandistes, parfois clairement mensongers (voir notamment le drolatique épisode de BHL en Géorgie).
Blanrue : Le sionisme touche à sa fin. Tous les indicateurs montrent que nous sommes à un tournant de l’histoire. C’est pourquoi les sionistes sont si nerveux, commettent tant d’impairs et sont dans une politique de fuite en avant désespérée. Si je prends mon cas personnel, le fait que l’on ne me laisse pas la parole en France, qu’on « black-oute » mon livre (le diffuseur français de mon éditeur belge a refusé de le distribuer dans les librairies françaises, alors qu’il n’est ni interdit ni poursuivi), est révélateur du délabrement du sionisme français, qui est paradoxalement au pouvoir depuis Sarkozy. Aux États-Unis, le lobby pro-israélien est encore fort et sûr de ses prérogatives, même si l’affaire Madoff l’a quelque peu ébranlé : du coup, il laisse un espace de liberté à ses opposants. En France, les réseaux pro-israéliens, certes influents, sont dans un état de décrépitude avancée, s’étripent et doutent d’eux-mêmes, avouant ainsi leur faiblesse latente : voilà pourquoi ils laissent moins de liberté d’expression à leurs adversaires. Ils craignent qu’on montre en plein jour leurs incertitudes, leurs égarements, qui sont autant de signes avant-coureurs de leur défaite annoncée. Je leur demande de reprendre l’initiative, puisqu’ils ont contribué à mettre au pouvoir leur homme-lige, et de nous démontrer qu’ils ont encore capables de supporter la discussion. C’est pourquoi j’appelle, dans mon ouvrage, à une nouvelle « nuit du 4 août » : que les privilégiés, mis en difficulté, renoncent à un certain nombre de leurs privilèges et prouvent qu’ils sont enfin prêts à faire baisser des tensions qui ne peuvent qu’être préjudiciables à terme pour la communauté qu’ils sont censés représenter ainsi qu’à la nation tout entière. « La régénération nationale exigera la destruction de nombreux privilèges », écrivait Che Guevara. Cet enseignement est plus que jamais à méditer !
) Vous faites (justement) la distinction entre judaïsme et sionisme, quasiment pas entre sionisme et engagement pro-israélien. Pensez-vous vraiment que l’idéologie sioniste s’est dissoute avec la création d’Israël ou ne faut-il pas estimer que la création de cet Etat a renforcé le sionisme, avec (notamment) un nouveau combat : la défense des valeurs israéliennes ?
Blanrue : On peut gloser à l’infini sur la définition des mots, mais je préfère rester simple et concret. Le sionisme d’antan (disons celui de Herzl, qui consistait à créer un « foyer national pour les juifs ») n’est plus le même que celui d’aujourd’hui, ne serait-ce que parce qu’il y a eu entre-temps, en 1948, la création de l’État d’Israël. C’est un fait. Certains universitaires construisent des théories sur le « post-sionisme ». Pour ma part, je considère que le vocable d’origine est toujours pertinent, puisque les militants pro-israéliens eux-mêmes l’utilisent et s’en revendiquent, comme la Wizo (Women’s international zionist organisation), la Fédération des sionistes de France, des personnalités éminentes comme Patrick Klugman, cofondateur de SOS Racisme et ancien président de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), ou encore, pour l’Amérique, un personnage tel que Joe Biden, l’actuel vice-président des États-Unis. Maintenant, que mettre dans ce mot ? Je définis le sionisme présent comme l’idéologie politique de l’État d’Israël, étant compris comme l’État juif (ou des juifs), quels que soient les gouvernants qui se succèdent à sa tête. C’est une mystique laïque qui double la religion juive traditionnelle - ce qui amène, à juste titre, certains rabbins à se déclarer antisionistes, à l’image des religieux juifs de l’époque de Herzl qui avaient compris d’instinct la dérive qu’allait entraîner cette nouvelle idéologie. Le sionisme d’aujourd’hui réside donc selon moi, essentiellement, dans le fait de lier intimement son identité personnelle au destin de l’État juif. Il n’est ainsi nul besoin d’être d’origine juive pour être sioniste : on le constate avec les évangélistes américains, dont certains sont même de farouches antisémites qui nourrissent des attentes eschatologiques. Il faut ainsi reconnaître que la création d’Israël a considérablement renforcé le sionisme tel que je le définis, en lui conférant une orientation nouvelle, celle de renforcer l’assise d’un État et son expansion par tous les moyens.
2) Que pensez-vous du travail de l’historien Shlomo Sand, qui dissocie la mythologie sioniste s’appuyant sur les récits du Pentateuque de l’histoire factuelle, notablement différente (et plus compréhensible) ? Sand confirme en particulier deux processus capitaux : le judaïsme des premiers siècle chrétiens était prosélyte ; les origines des deux principaux foyers du sionisme émanent de ces conversions, via les Ashkénazes d’Europe centrale et les Sépharades issus pour partie de foyers germains. En gros, le judaïsme serait un monothéisme enraciné dans l’histoire occidentale plus qu’orientale…
Blanrue : Avant d’évoquer les travaux de Sand, il convient de rappeler qu’il est déraisonnable et absurde de réclamer la restitution d’un territoire prétendument perdu il y a 2000 ans : si chaque peuple entretenait de telles chimères, la géographie politique du monde serait bouleversée à chaque instant et une nouvelle guerre éclaterait à chaque seconde. L’intérêt des travaux de Sand est d’en appeler à la raison : il démontre que la revendication sioniste du « retour » est illégitime d’un point de vue factuel. À s’en tenir aux données historiques, les véritables descendants des juifs du Ier siècle sont les actuels Palestiniens. On peut aller plus loin que Sand dans la déconstruction, pour employer le mot fétiche de Jacques Derrida ; je vous engage à lire, à ce propos, les livres de l’archéologue Israël Finkelstein, qui réduit à néant les prétentions historiques de la Thora (La Bible dévoilée, par exemple), ou ceux de l’universitaire Thomas Thompson (The Mythic Past, The Messiah Myth, etc.), qui démontre que le Temple de Salomon ou les aventures du roi David ne sont que de pieuses légendes compilées tardivement. « Monothéisme occidental », dites-vous : c’est à voir… Il n’y a certes pas de pureté des origines dans la religion juive. Orientale de prime abord, la religion juive antique est un phénomène syncrétique. Ainsi, la prétention de cette religion à être le berceau du monothéisme n’est pas acceptable d’un point de vue historique. La Thora amalgame des mythes sumériens, égyptiens, mésopotamiens, sans oublier l’apport grec et perse pour ce qui est, précisément, de la construction du Dieu unique : dans la Thora, on ne passe que progressivement d’un polythéisme implicite, à tendance monolâtrique, à un monothéisme explicite. La tendance la plus universaliste du judaïsme, celles de Prophètes, a engendré le christianisme ; la tendance antigréciste a donné le judaïsme talmudique, qui s’éloigne du judaïsme mosaïque ancien et a créé une forme nouvelle de religion, celle des rabbins et des synagogues, qui aura tendance à se refermer sur elle-même. Les rabbins de l’époque médiévale ne lisent pas le Nouveau testament et n’ont qu’une faible connaissance de la civilisation chrétienne. « L’occidentalisation » de la culture juive est donc très relative. Le judaïsme des 2000 dernières années est aussi une ablation de « l’Occident ». Sand, lui, parle de la fabrication du concept de « peuple juif ». C’est autre chose. Il démontre qu’il n’existe pas de « peuple juif » d’un point de vue objectif. Cette idée apparaît, comme le sionisme, à une époque récente et se forge dans le cadre « occidental ». Ce qui démontre que le concept de peuple juif n’a rien à voir avec celui de religion juive, plus ancienne et orientale-syncrétique. Cela ne fait pas pour autant du judaïsme un occidentalisme. Pour moi, qui suis rationaliste, le judaïsme doit d’abord et avant tout être considéré comme une religion, contrairement à ce que prétendait Herzl hier ou BHL aujourd’hui, car c’est ce qu’il est objectivement. Herzl lui-même était agnostique et considérait que les croyances ancestrales de ce qu’il définissait comme son peuple, son ethnie ou sa race, ne constituaient qu’un outil de propagande utile destiné à encourager les juifs à quitter leurs pays pour rejoindre un « foyer juif » (qui n’était d’ailleurs pas forcément situé en Palestine à l’origine). Le sionisme a peu à peu effacé la religion juive des pères. L’Israël politique n’a pas sécularisé une religion : il l’a détournée de son sens.
3) On glose souvent sur le sionisme qui dominerait l’Occident, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne. Le boycott de votre dernier ouvrage semble confirmer cette tendance. Le silence complice des instances occidentales lors de l’opération honteuse et sanglante de Gaza également. Pourtant, quand on analyse l’histoire du sionisme, on se rend compte que le sionisme a d’abord été créé par des hérésies protestantes comme les restaurationnistes. Vu votre connaissance des réseaux sionistes français, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait plutôt de renverser l’analyse et de proposer que le sionisme est l’enfant – ingérable, capricieux et gâté – de l’Occident impérialiste ? Israël serait ainsi l’un des visages du néocolonialisme occidental et l’une des incarnations territoriales de cet impérialisme occidentaliste travesti en libéralisme universaliste. Israël manifesterait sans doute un comportement égocentrique et indépendant, mais les Occidentaux se serviraient au moins autant d’Israël que l’inverse ? La servilité des Occidentaux s’expliquerait moins par la lâcheté ou la subordination que par la complicité, voire la manipulation… À l’appui de cette thèse, mentionnons le refus récent de l’administration Obama de suivre les Israéliens sur le terrain d’une guerre préventive contre l’Iran : on a constaté le résultat…
Blanrue : Il n’y a pas à douter 1° que le sionisme est la création de son époque, celle du « fait national » et du colonialisme du XIXe siècle, 2° que sa naissance a lieu en Europe et 3° enfin que le judaïsme n’en est pas la seule composante. L’esprit colonial européen l’a donc bercé. Le sionisme se résout-il toutefois à n’être qu’une extension de l’esprit colonial européen ? Le sionisme est certes une tentative d’imiter le mouvement colonial européen. Il a été appuyé à cet égard par l’une des principales puissances coloniales, la Grande-Bretagne, à des fins politiques. On remarquera en revanche que c’est une forme originale de colonisation, sans métropole, qui la distingue radicalement des autres formes de colonisations européennes. Par ailleurs, le concept « d’Occident » est depuis longtemps périmé : je ne vois pas quels intérêts ont en commun la France et les États-Unis (que certains voudraient confondre dans la trop vaste et trop vague notion d’Occident) sur la question d’Israël, ni en quoi Israël est un relais de l’Europe au Moyen-Orient ou contribue à y défendre ses intérêts. Cette vue de l’esprit était celle de Herzl, qui cherchait à convaincre les financiers de l’aider dans son projet de conquête en leur promettant que son pays de cocagne serait le « bastion avancé de la civilisation contre la barbarie » : ce n’est pas pour autant que son slogan publicitaire correspond à la réalité ! En fait, on remarquera que les mouvements de capitaux se font plutôt de l’Europe ou de l’Amérique vers Israël que l’inverse. Les États-Unis ont un intérêt géostratégique certain dans la région, inutile de le démontrer à nouveau : Israël leur permet de contrôler le gaz et le pétrole au Moyen et au Proche-Orient. Mais l’Europe ? Songez, par exemple, aux sommes faramineuses que l’Allemagne doit payer comme répération aux rescapés des camps de concentrations réfugiés en Israël : à quoi cela lui sert-il ? N’oublions pas que la servilité des « occidentaux » à l’égard de l’État juif, pour reprendre votre expression, s’explique en majeure partie par la Seconde Guerre mondiale et l’immense sentiment de culpabilité qui s’en est suivi, nourri chaque jour par l’idéologie sioniste, dont les relais, face à toute contestation, procèdent à la reductio ad hitlerum afin d’écraser leurs adversaires comme des mouches. L’Union des patrons juifs de France (UPJF) promeut déjà l’idée d’une loi « Martin Luther King », qui vise à assimiler légalement l’antisionisme à l’antisémitisme. C’est totalement aberrant. Pour en revenir à l’objet de mon livre, je montre que Nicolas Sarkozy a utilisé les réseaux sionistes pour réaliser ses ambitions politiques : de manière démagogique, il a repris les thèmes de Le Pen pour être élu à la présidence en 2007 et s’est assuré une immunité en s’associant avec le lobby pro-israélien américain et ses relais français, qui l’ont préservé de toute attaque d’envergure sur ce plan. Ces réseaux sont devenus son plus ferme soutien. Résultat : aujourd’hui, Sarkozy va encore plus loin qu’Obama dans la critique d’Ahmadinedjad ou dans la vénération d’Israël. Il est devenu, avec une guerre de retard, un « Bush à la française », comme l’a dit récemment l’hebdomadaire Marianne. Mais en quoi la France est-elle gagnante dans cette politique ? Elle subit elle aussi les pressions sionistes de toute sorte. Ses hommes politiques reçoivent des consignes des associations pro-israéliennes, qu’il ne leur serait pas pardonné de ne pas respecter scrupuleusement. Où est passée notre indépendance nationale, notre souveraineté ? La politique de Sarkozy, fracture dans l’histoire de la France contemporaine, conduit notre pays dans le mur en l’associant à la politique irrationnelle de l’État juif qui a besoin de guerres pour assurer sa cohésion interne et qui tente de résister à la décadence en s’auto-illusionnant sur sa force. La politique précédente des gouvernants français, dénoncée comme « arabe » par ses ennemis, mais qui était en réalité neutre, prudente et équilibrée, était plus conforme aux intérêts de notre pays, ainsi qu’à la justice et à la morale.
4) Pour poursuivre dans cette veine interprétative, ne croyez-vous pas que le sionisme serait une sous-idéologie, un hybride entre communisme et libéralisme (pour synthétiser) et que le vrai ennemi de la liberté ne serait pas cette sous-idéologie, mais ce que le géopoliticien Hillard a appelé le mondialisme par distinction avec le processus de la mondialisation ? La mondialisation suivrait le cours de l’histoire humaine, qui tend vers la globalisation et l’expansion, quand le mondialisme serait cette idéologie issue des cercles appelant à stopper le processus d’expansion au niveau de la domination du monde.
Blanrue : Le sionisme est le premier mouvement « rouge-brun » de l’histoire. On y trouve en son sein des extrémistes de gauche charriant le mythe des kibboutzim et des ultra-orthodoxes de la droite radicale. C’est la mystique d’Israël comme État juif qui les maintient tous unis. Pour autant, je ne définirai pas le sionisme comme une hybridation, mais plutôt comme un système dégradé et contradictoire qui ne tient en place que dans la glorification d’une entité artificielle « déifiée » qui ne perdure que grâce à la recherche d’un ennemi commun à abattre, qui permet de gommer les antagonismes internes à effet centripète. Dans ce cadre, l’idéologie mondialiste est à la fois le meilleur ami et le pire ennemi du sionisme. L’ami, car Israël reste un État à part, qui se dit prêt à accueillir tous les juifs du monde, quelles que soient leur nationalité d’origine, avec une « loi du retour » beaucoup large que la notion mosaïque, puisque, depuis 1970, elle est étendue « aux enfants et petits-enfants d’un juif, à son conjoint et au conjoint d’un enfant ou d’un petit-enfant d’un juif ». Ennemi, car le métissage des jeunes générations et la démographie galopante de Palestiniens sont des phénomènes qui vont irrémédiablement entraîner l’État juif sur la pente du déclin, comme le note Jacques Attali, qui lui accorde encore un maximum de 50 années d’existence. Je crois qu’il est optimiste.
5) Récemment, les élections européennes françaises ont suscité un certain débat avec la liste antisioniste de Dieudonné et Compagnie cantonnée en Ile-de-France (bel exemple de parisianisme fort peu républicain !). Cette liste a connu un succès certes fort mitigé, mais moins étriqué que ce qu’on avance souvent. Pensez-vous vraiment que l’antisionisme puisse incarner un programme politique cohérent, notamment en France ?
Blanrue : Pour le moment, on n’a pas vu de programme antisioniste réellement cohérent, mais plutôt un mouvement d’humeur catalysant un ras-le-bol face aux prétentions politiques et aux privilèges des représentants de la communauté juive (dîner du CRIF, loi Gayssot et autres), qui entendent parler au nom des juifs, alors qu’ils n’en représentent au mieux qu’un sixième et travaillent essentiellement à la promotion du sionisme sans se soucier des intérêts réels de leurs coreligionaires. Au bilan, les résultats des urnes sont mitigés. Le vote semble plus ethnique que proprement idéologique. J’ignore si aujourd’hui, dans notre société telle qu’elle est, une liste purement antisioniste a quelque chance de succès. Pour susciter l’engouement populaire, un programme positif me paraît nécessaire. Il est certain, par exemple, que des personnalités remarquables comme Roland Dumas ou Dominique de Villepin n’ont pas eu à se revendiquer de l’antisionisme pour réussir à maintenir la souveraineté nationale lorsqu’elle était en péril face aux prétentions d’Israël.
6) Vous donnez quelques conseils aux sionistes pour éviter de possibles violences vengeresses à l’avenir. Pourtant, depuis l’assassinat de Rabin en 1995, la politique israélienne n’a cessé de connaître une surenchère dans la violence et le bellicisme, au point que Sharon a été détrôné dans le paroxysme néo-colonial qu’il incarnait (souvent) par Netanyahou et son improbable ministre des Affaires étrangères. Un LaRouche aux Etats-Unis (énième bouc émissaire accusé d’antisémitisme) explique qu’Israël est pris dans une spirale autodestructrice, contrairement à l’erreur d’optique qui considère la violence israélienne comme toute-puissante, notamment dans la région du Proche-Orient. A l’aune de cette fuite en avant, que pensez-vous de l’alternative à la guerre perpétuelle qui est présentée comme la solution de la sagesse et du progressisme et qui appelle à la création de deux Etats, l’un israélien et l’autre palestinien ? N’est-ce pas une gageure proposant un néo-apartheid moralement inadmissible et concrètement inapplicable ? Soit une fausse solution permettant de différer la résolution d’un vrai problème ?
Blanrue : La proposition des « deux États » comme solution au conflit israélo-palestinien n’est déjà plus tenable. Stéphane Hessel, y a déjà répondu. Dans mon livre, je cite cet ancien déporté à Buchenwald, l’un des « pères » de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, qui a déclaré à la fin de 2008 : « À la suite de ce qui s'est passé depuis l'évacuation des colonies israéliennes à Gaza, depuis l'enfermement de ce petit territoire qui n'a plus de contacts avec le monde extérieur, depuis qu'il y a le Hamas d'un côté et le Fatah de l'autre, la seule solution qui apparaissait raisonnable et possible des deux États –israélien et palestinien – vivant côte à côte à la suite d'une négociation, n'est plus d'actualité. Tous nos interlocuteurs sur place nous ont dit : “ C'est out ! Ce n'est plus possible !“ Pourquoi ? Essentiellement à cause de la façon dont les Israéliens ont continué à coloniser la Cisjordanie et n'ont rien fait pour faciliter le travail de Mahmoud Abbas. Aucun de ces problèmes n'ayant évolué ces dernières années, la solution de deux États est devenue caduque. » Il n’y a rien à ajouter.
7) Qu’est-ce que l’antisionisme ? Se montrer antisioniste, est-ce souhaiter la disparition d’Israël ? Si l’antisionisme ne correspond pas à cette dernière option mentionnée, ne doit-on pas en conclure que le sionisme et le pro-israélisme ne correspondent pas, en tout cas tout à fait ?
Blanrue : Il y a autant de types d’antisionistes que de sionistes. Je ne connais personne qui souhaite la disparition physique de l’État d’Israël, et sûrement pas le président Ahmadinedjad dont on a détourné les paroles de leur véritable sens (pour lui, le « régime d’occupation en Israël » devra « être effacé des pages du temps », ce qui n’a rien à voir avec l’élimination d’un État). En revanche, l’un des points communs des antisionistes, c’est de ne pas se satisfaire de la situation qui règne en Israël et à laquelle on nous contraint d’assister en France sans qu’on ait le droit de la critiquer sous peine de nous faire qualifier de noms passibles du tribunal correctionnel. L’une des définitions possibles et raisonnables de l’antisionisme tiendrait, pour reprendre le terme utilisé par Jimmy Carter, dans le fait ne pas accepter qu’Israël continue d’être un État juif pratiquant une politique d’apartheid.
8) Ne pensez-vous pas que la toute-puissance unilatérale du sionisme cache l’affaiblissement obvie, quelque chose comme le chant du cygne de cette idéologie et de la politique pro-israélienne ? La crise systémique actuelle, qui est tout sauf terminée, affecterait en premier lieu les intérêts sionistes – le sionisme comme l’arbre qui cache la forêt mondialiste. Le rempart moral de l’antisémitisme n’empêche plus aussi efficacement qu’autrefois les protestations (de plus en plus nombreuses) contre les dérives et les abus, notamment lors des dernières manifestations de la politique israélienne. Les défenseurs du sionisme sont de plus en plus contestés, surtout les inconditionnels, comme BHL et Consorts, qui passent de plus en plus pour des propagandistes, parfois clairement mensongers (voir notamment le drolatique épisode de BHL en Géorgie).
Blanrue : Le sionisme touche à sa fin. Tous les indicateurs montrent que nous sommes à un tournant de l’histoire. C’est pourquoi les sionistes sont si nerveux, commettent tant d’impairs et sont dans une politique de fuite en avant désespérée. Si je prends mon cas personnel, le fait que l’on ne me laisse pas la parole en France, qu’on « black-oute » mon livre (le diffuseur français de mon éditeur belge a refusé de le distribuer dans les librairies françaises, alors qu’il n’est ni interdit ni poursuivi), est révélateur du délabrement du sionisme français, qui est paradoxalement au pouvoir depuis Sarkozy. Aux États-Unis, le lobby pro-israélien est encore fort et sûr de ses prérogatives, même si l’affaire Madoff l’a quelque peu ébranlé : du coup, il laisse un espace de liberté à ses opposants. En France, les réseaux pro-israéliens, certes influents, sont dans un état de décrépitude avancée, s’étripent et doutent d’eux-mêmes, avouant ainsi leur faiblesse latente : voilà pourquoi ils laissent moins de liberté d’expression à leurs adversaires. Ils craignent qu’on montre en plein jour leurs incertitudes, leurs égarements, qui sont autant de signes avant-coureurs de leur défaite annoncée. Je leur demande de reprendre l’initiative, puisqu’ils ont contribué à mettre au pouvoir leur homme-lige, et de nous démontrer qu’ils ont encore capables de supporter la discussion. C’est pourquoi j’appelle, dans mon ouvrage, à une nouvelle « nuit du 4 août » : que les privilégiés, mis en difficulté, renoncent à un certain nombre de leurs privilèges et prouvent qu’ils sont enfin prêts à faire baisser des tensions qui ne peuvent qu’être préjudiciables à terme pour la communauté qu’ils sont censés représenter ainsi qu’à la nation tout entière. « La régénération nationale exigera la destruction de nombreux privilèges », écrivait Che Guevara. Cet enseignement est plus que jamais à méditer !
1 Comments
Vous serait-il possible d'indiquer s'il-vous-plaît le nom du questionneur, Koffi Cadjehoun, ainsi que son blog d'expression, Au Cours du réel?
Merci et bien à vous.