Que peut–on faire pour l’Algérie en Novembre 2009 ?
Abdelkader Dehbi
Signataire de l’Appel du 19 mars 2009
Le monde à la veille de Novembre 1954 :
– Atmosphère d’immédiate après guerre dans un monde qui vient d’entrer de plain-pied dans la guerre froide, à la suite du blocus soviétique de Berlin auquel les Occidentaux ont répondu en organisant le fameux pont aérien pour approvisionner Berlin-Ouest.
– Effervescence populaire contre le colonialisme un peu partout dans le monde, particulièrement contre le colonialisme français en Indochine où la guerre du valeureux peuple vietnamien bat son plein et en Afrique du Nord où des rebellions armées sont en action en Tunisie et au Maroc, principalement dans la région berbère du Rif.
– Intense activité au sein du mouvement nationaliste en Algérie où le CRUA décide de la date du 1er Novembre 1954, pour le déclenchement de la Guerre de Libération Nationale.
Le monde à la veille de Novembre 2009 :
- Cela fait déjà vingt ans que l’ex-URSS a implosé, entrainant à sa suite d’une manière quasi-mécanique, la dislocation du bloc des pays dits du Tiers-Monde. La chute du Mur de Berlin – 9 Novembre 1989 – marque symboliquement l’avènement d’un monde unipolaire ou Nouvel Ordre, dominé par la toute puissance des Etats-Unis. Un monde unipolaire où les Etats de l’Union Européenne, aujourd’hui élargie aux ex-pays de l’Est, jouent le rôle d’Etats satellites du Nouvel Empire, dont l’OTAN est devenu le bras armé.
- Sous les prétextes les plus mensongers et les plus fallacieux, les troupes d’invasion impérialiste de l’OTAN en Afghanistan, en Irak, puis aujourd’hui au Pakistan et probablement demain en Iran, tentent vainement depuis 2002, d’imposer leur contrôle stratégique sur l’ensemble de la région dans le seul but – inavoué mais évident – de faire main basse sur les gisements énergétiques de ces pays.
– En Palestine occupée, comme dans l’ensemble de la région du Proche et Moyen Orient en général, l’Etat sioniste d’Israël a carte blanche pour donner toute la mesure de son rôle d’Etat mercenaire criminel, facteur de destruction, de dévastation et de déstabilisation permanente, au service des intérêts géostratégiques des nouveaux Croisés de l’Occident – nouvellement rebaptisés de Judéo-Chrétien – contre le monde Musulman, au nom d’une prétendue lutte internationale contre le terrorisme, née de la grande « Conspiration » des attentats de New-York, dits du 11 Septembre 2001.
– La Mosquée d’Al-Qods, troisième Lieu Saint de l’Islam, subit de plus en plus régulièrement des assauts de la part d’extrémistes juifs, encouragés en sous-main par un gouvernement sioniste d’extrême droite qui s’estime au-dessus des lois des Hommes et celles des Cieux, en prétendant mensongèrement que le sanctuaire d’Al-Qods a été édifié sur les ruines historiques du Temple de Salomon.
– Tous ces évènements majeurs ont lieu dans le monde, sans que le pouvoir politique n’ait osé donner de la voix. Et pour cause ! Ces silences impuissants et lâches étant la nécessaire rançon du statut honteux de régime supplétif. Et dire que plus d’un million de martyrs sont tombés entre 54 et 62 pour que notre pays l’Algérie, finisse lui aussi, par aller fermer la marche de toute cette cohorte de régimes arabes illégitimes et corrompus, coupés de leurs Peuples et contraints en conséquence d’éviter d’offenser leurs maîtres et protecteurs de l’ombre que sont les puissances étrangères – les Etats-Unis, la France, voire même Israël, peu importe – en jetant l’opprobre sur une Communauté Musulmane forte de plus d’un milliard et demi d’hommes, prise en tenaille entre le rouleau compresseur de l’impérialisme et la tyrannie des régimes mercenaires en place.
Il m’a semblé utile de rappeler en quelques brefs clichés, la situation générale dans laquelle baigne notre pauvre monde, en cette veille de commémoration du 55ème anniversaire du 1er Novembre, marquant le début de la Guerre de Libération Nationale. Ceci pour souligner l’impérieuse nécessité dans laquelle nous nous trouvons, de faire face en priorité, aux questions de l’heure plutôt que d’épiloguer une fois de plus, sur telle ou telle séquence d’un passé que le simple bon sens nous recommande à tous, de laisser au soin des historiens et des chercheurs, c’est-à-dire à l’œuvre du Temps.
Il suffit, pour se convaincre de la gravité de la situation, de parcourir tout ce flot de publications – tous supports médiatiques confondus – autour de ce qu’il faut bien appeler ici, la crise nationale. En particulier, à la lumière d’une lecture, aussi bien des articles de fond, publiés par Le Quotidien d’Algérie, que des commentaires riches et pertinents, des forums auxquels ils ont donné lieu, dans la foulée de la publication de l’Appel du 19 Mars 2009.
Une Crise nationale multidimensionnelle donc, qui semble s’articuler autour de trois préoccupations essentielles qui sont constamment revenues dans nos débats:
– Comment assumer notre Histoire en tant que Peuple ?
– Comment agir sur notre présent, en tant que citoyens patriotes ?
– Comment construire notre avenir en tant que Société, en tant que Nation ?
Préoccupations dont la tonalité civique et morale témoigne s’il en était besoin, de la maturité politique d’une large frange de citoyens algériens sincères et honnêtes qui, par delà leurs convictions idéologiques ou leurs inclinations politiques, ont clairement exprimé leur rejet d’un régime politico-militaire illégitime, criminel et corrompu.
Comment assumer notre Histoire en tant que Peuple ?
Pour répondre sagement à cette première préoccupation, il suffira de rappeler que l’attachement naturel des hommes à leur passé, c’est à dire à leur « mémoire » collective de sociétés humaines, partageant les mêmes territoires, les mêmes us, coutumes et traditions culturelles, les mêmes desseins et le même destin, a constitué depuis la plus haute Antiquité, une caractéristique sociologique consubstantielle à toute idée d’Histoire, que celle-ci fut écrite ou orale. Ce constat qui est donc immémorial, a été merveilleusement exprimé par l’une des grandes figures de la littérature engagée du siècle dernier, Aimé Césaire, quand il a dit: « Un Peuple sans mémoire est un Peuple sans avenir »
C’est assez dire qu’il ne s’agit pas ici, de faire l’impasse sur la référence à l’Histoire mais bien au contraire, d’en assumer globalement les épisodes, tous les épisodes, des plus glorieux aux moins reluisants et sans aucune « réserve d’inventaire », puisqu’il s’agit pour nous ici, non seulement d’un héritage commun à notre Peuple, mais d’une des conditions essentielles d’appartenance à ce Peuple. Car, qu’il s’agisse des grands faits d’armes contre l’armée coloniale ou des revers militaires subis; qu’il s’agisse des héros et martyrs ou de vulgaires bachaghas, harkis et autres renégats; qu’il s’agisse des conspirations inter claniques ou de dramatiques règlements de comptes entre chefs de guerre, tout cela fait partie intégrante de notre Histoire.
Le seul impératif serait, le moment venu, de veiller, pour l’intérêt de la vérité et de l’authenticité historique, à une écriture rigoureuse de cette Histoire, en particulier la partie relative à la Guerre de Libération Nationale, pour – et à tout le moins au plan moral – en réhabiliter les victimes ou en démasquer les imposteurs.
Comment agir sur le présent en tant que citoyens patriotes ?
Là aussi, on ne saurait mieux résumer les exigences de l’heure que requiert la situation de notre pays, de la part de chaque citoyen, que ce passage de l ‘Appel du 19 Mars 2009:
« L’heure est venue pour changer ce système politique illégitime par les méthodes pacifiques et démocratiques et de rendre la souveraineté politique aux Algériennes et aux Algériens pour qu’ils choisissent librement et démocratiquement, les institutions politiques qui épousent les réalités politiques et socioculturelles de la Nation, en permettant une répartition équitable des richesses nationales, aussi bien entre les collectivités régionales et locales qu’entre les individus. »
Chaque Algérien qui se reconnaît dans l’Appel du 19 Mars 2009, doit avoir à cœur désormais, à tout moment, en toutes circonstances, par la parole, par l’écrit, par l’attitude, faire acte de résistance citoyenne, là où il se trouve: à l’université, au sein des administrations et des entreprises, dans les ateliers, dans les lieux publics, dans la rue:
- en dénonçant sans cesse les infamies de ce pouvoir: ses crimes contre sa propre population, sa corruption, ses pillages du patrimoine national, ses scandales financiers, ses incompétences, ses compromissions politiques, sécuritaires et économiques avec des puissances et des intérêts étrangers;
- en proclamant l’urgente nécessité pour le salut national, d’abolir ce pouvoir par tous les moyens légitimes et non violents et en œuvrant inlassablement pour l’élection d’une Assemblée Constituante issue du suffrage universel, c’est-à-dire authentiquement représentative des aspirations légitimes du Peuple Algérien, dans toutes ses composantes idéologiques, régionales et culturelles.
Ce sont deux points qui me paraissent essentiels et d’application immédiate, pour commencer à élargir de plus en plus, le cercle de la contestation citoyenne et du rejet du système, étant entendu qu’il n’y a absolument plus rien à attendre, ni des partis politiques dits d’opposition, ni de ce qu’on appelle la « société civile ». Non pas que ces institutions et organisations seraient moins concernées que nous par l’avenir du pays, mais parce que ces institutions sont tout bonnement enferrées dans des textes législatifs et réglementaires scélérats, conditionnant leur existence administrative et leur interdisant quasiment, tout mouvement de contestation.
C’est pourquoi, la démarche que nous avons adoptée à travers l’Appel du 19 Mars 2009, est une démarche essentiellement citoyenne qui puise sa légitimité ipso facto, dans sa nature-même de mouvement citoyen intégral, proclamant publiquement sa volonté de résister au régime politique illégitime en place et de le combattre par tous les moyens pacifiques et non-violents, afin de le priver de tout prétexte à la répression. Une telle démarche exclut donc logiquement tout recours de notre part, à un quelconque mouvement agréé ou autorisé de par le bon vouloir d’un pouvoir auquel nous contestons toute légitimité et toute crédibilité politique ou morale.
Les Révolutions ne se décrètent pas. Elles ont toujours été l’aboutissement d’un long cheminement des peuples qui ont été soumis, à un moment ou à un autre de leur Histoire, à la domination et à l’injustice, à l’arbitraire et à l’exploitation. Un cheminement qui passe très schématiquement par trois phases essentielles:
– la prise de conscience des « élites morales et intellectuelles » (*) des sociétés opprimées et la ferme volonté de ces élites, de construire la résistance.
– la prise de parole de ces mêmes élites morales et intellectuelles – par l’écrit et par le discours – en vue d’élargir d’une manière pédagogique et méthodique, le cercle de la prise de conscience à la plus grande frange possible de la population.
– l’élaboration d’objectifs socio politiques clairs et les voies et moyens pour leur réalisation. C’est ce qu’on entend généralement par « programme politique ».
La novation introduite par l’Appel du 19 Mars 2008, c’est fondamentalement l’absence de recours à toute forme d’institution officielle ou instrument organique quelconque tels que parti, association ou autre type d’organisation politique. L’Appel du 19 Mars 2009, stipule clairement en effet, que pour ses signataires, il s’agit essentiellement, de susciter parmi la plus grande frange possible du Peuple Algérien, un vaste élan de prise de conscience de la grave crise nationale multidimensionnelle et de la nécessité d’organiser une résistance citoyenne tous azimuts, contre le pouvoir politique en place.
Car, c’est à partir de cette double posture citoyenne, de prise de conscience aigüe des menaces réelles qui pèsent sur l’avenir de la Nation et de volonté déterminée de combattre le pouvoir politique et de lui résister, que nous pourrions déclencher une véritable synergie, une véritable dynamique populaire de contestation permanente contre un pouvoir criminel et illégitime, corrompu et antinational, unique responsable de la déchéance politique, morale et sociale dans laquelle se débat notre pays et qui menace gravement l’unité même et l’indépendance de la Nation.
Comment construire notre avenir en tant que Société, en tant que Nation ?
Une fois notre pays débarrassé du régime usurpateur, par la mise en place subséquente des instances institutionnelles nationales librement et démocratiquement élues, il appartiendra bien entendu à ces instances-là de répondre à cette grande question qui constitue en elle-même, tout un programme. Car, au-delà des actions politiques à mener dans l’urgence, qui seront forcément requises par les nécessités immédiates de la gestion des affaires courantes du pays, il s’agira pour le nouveau pouvoir issu de la volonté populaire, de définir des stratégies à long terme pour le pays, secteur par secteur, dans le cadre d’un véritable Plan de Redressement National, englobant tous les domaines, qu’ils soient d’ordre politique, économique, social ou culturel.
Un Plan de Redressement National où l’Ecole et la Santé, l’Agriculture et les Infrastructures, constitueront des secteurs prioritaires, dans le cadre d’une véritable politique de Régionalisation et de décentralisation administrative des centres de décision et de gestion.
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(*) Il m’a semblé utile de préciser « élite morale », pour qu’il soit clair dans les esprits, que le fait d’appartenir à l’élite intellectuelle ne se suffit nullement à lui-même. Il suffit de rappeler ici que beaucoup d’intellectuels mercenaires, se sont mis délibérément au service du pouvoir en place, à tous les niveaux de ses structures ou institutions civiles ou militaires.
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