Abu Suleyman
islamic-intelligence
« La seule chose qu’on lui reproche est d’avoir eu des contacts douteux sur des forums. Tout le reste n’est qu’invention. Un officier des services de renseignement français me l’a confirmé », dit Jean-Pierre Lees, vice-directeur du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique des particules.
Anti-terrorisme. En octobre, ce chercheur de l’EPFL [Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne] et du CERN [Organisation européenne pour la recherche nucléaire] était suspecté de terrorisme et incarcéré. Il l’est toujours. Son avocate et quatre collègues, dont un Prix Nobel, s’en offusquent et donnent de ses nouvelles.
Qui est Adlène H. ? Un chercheur talentueux parti d’une banlieue difficile pour arriver jusqu’au CERN et à l’EPFL ou un Dr Jekyll et Mr Hyde mi-scientifique mi-terroriste ?
Quatre de ses collègues, dont le Prix Nobel de physique Jack Steinberger, répondent à cette question dans un récent courrier de soutien : « Adlène est un physicien considéré, brillant, motivé, qui a obtenu des résultats extrêmement utiles et qui s’occupait très bien de ses étudiants. »
En octobre, le Franco-Algérien était mis en examen par le Parquet de Paris pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En janvier, sa détention préventive a été reconduite pour quatre mois.
D’après les enquêteurs, le physicien aurait eu des contacts internet avec Al-Qaida dans le Maghreb islamique et aurait envisagé d’attaquer le 27e Bataillon de chasseurs alpins d’Annecy.
Ceux qui l’ont côtoyé au CERN et à l’EPFL n’y croient pas une seconde. « La seule chose qu’on lui reproche est en réalité d’avoir eu des contacts douteux sur des forums. Tout le reste n’est qu’invention. Cela m’a été confirmé par un officier des services de renseignement proche du dossier », précise Jean-Pierre Lees, vice-directeur du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique des particules.
Le Ministère public de la Confédération, qui avait ouvert une enquête, ne souhaite pas commenter cette affirmation. Même silence du côté de la France, qui avait demandé l’entraide judiciaire à la Suisse, et de Christophe Teissier, juge antiterroriste en charge du dossier.
« Des fantasmes d’enquêteurs »
« Si j’avais fait quoi que ce soit qui justifie d’être traité ainsi, je ne me plaindrais pas », écrit Adlène H., depuis sa prison, à des amis scientifiques, dont la physicienne cernoise Monica Pepe-Altarelli. D’après Jean-Pierre Lees, qui correspond avec lui très régulièrement, l’homme assume « des surfs gênants à partir desquels les enquêteurs ont tissé des fantasmes et des accusations ». Quand ses correspondants lui demandent comment il envisage son avenir depuis sa « cellule froide et humide », le physicien cite Bob Dylan : « The answer, my friend, is blowin’in the wind. »
Congé maladie
Dans un autre courrier, il s’interroge : « A Vienne (ndlr : sa ville natale, en Isère), je conseillais les jeunes pour le travail, l’orientation et le respect de l’ordre. Que vont-ils penser d’un système prompt à saccager une vie irréprochable au nom de présomptions d’intentions basées sur des connexions internet ? » L’homme de 32 ans est incarcéré depuis maintenant cinq mois et demi. Voici une semaine, l’accélérateur de particules LHC sur lequel il travaillait depuis des mois redémarrait. En grande pompe, mais sans lui. Même s’il venait à être innocenté, le scientifique se relèverait difficilement, professionnellement, de cette affaire.
A Fresnes, il a été hospitalisé quatre mois pour une hernie discale. Laquelle l’avait déjà obligé à prendre six mois de congé maladie, juste avant son arrestation. Cela avait alors contribué à éveiller les soupçons des enquêteurs. Tout comme un retrait de 13 000 euros, destiné, selon son frère, Halim, à acquérir un bien immobilier en Algérie.
« A la Saint-Glinglin » ?
« Adlène souffre psychiquement et physiquement, précise Me Dominique Beyreuther. Dans ce dossier, on nous fait prendre des vessies pour des lanternes, et la présomption d’innocence est foulée aux pieds. Des expertises, informatiques notamment, devaient être diligentées. A ce train-là, elles le seront à la Saint-Glinglin ! » L’avocate du scientifique, qui travaille désormais en duo avec le célèbre avocat Henri Leclerc, a fait cinq demandes de remise en liberté. Toutes ont été rejetées. Sa requête en nullité de procédure, déposée en novembre, recevra une réponse le mois prochain.
Une détention « provisoire » qui pourrait durer quatre ans
Dans un souci de prévention des attentats, la législation antiterroriste en vigueur en France depuis 1986 est l’une des plus sévères du monde. L’accusation « d’association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction terroriste » y tient une place centrale. Deux personnes suffisent à former un groupe terroriste. Connaître de près ou de loin l’un de ses membres suffit à être inquiété. Contrairement au droit commun, qui incrimine les actes, la pratique antiterroriste se satisfait d’intention ou de « simple » relation avec un groupe problématique. Dans ces affaires, la durée de garde à vue double, passant ainsi à nonante-six heures. La personne concernée doit attendre la 72e pour voir son avocat. Lequel n’a alors pas accès au dossier. En attendant un éventuel procès, le prévenu peut passer jusqu’à quatre ans en détention provisoire.
Le Prix Nobel soutient son collègue
Jack Steinberger, Prix Nobel de physique 1988, et trois collègues professeurs ou docteurs au CERN ou à l’EPFL soutiennent Adlène H., dans un courrier envoyé à son avocate. « Je continue à manger mon pain noir sans aucune perspective, avec des dommages sur ma santé qui vont en s’accroissant avec le temps », écrit de son côté, depuis sa cellule, le physicien franco-algérien à ses collègues.
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