Par Omar Mazri
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J’ai soutenu et je continue de soutenir ce qu’on appelle les révolutions arabes tout en continuant d’exprimer mes réserves et mes craintes sur les suites « démocratiques » et sur l’édification nationale à caractère social. En effet ou bien la révolution fait table rase du passé et fait émerger un ordre nouveau inédit que le rapport de force et le rapport d’intelligence exprimés et portés par la volonté populaire imposent ou bien la révolution est portée par une unité d’orientation idéologique qui définit l’identité, l’appartenance civilisationnelle et les grandes valeurs de la révolution dans laquelle vont se manifester tous les courants politiques sans éradication ni exclusion ni monopole. Sinon nous sommes dans le bricolage et le bouche trou.
La révolution arabe dans sa forme de résistance populaire pacifique ou dans sa forme de résistance armée ne peut faire l'impasse sur ces trois issues que semble d'ailleurs lui imposer la logique de la contre révolution comme si Allah a voulu prolonger le moment mystique qui a fait mouvoir les peuples pour qu'ils transforment l'ordre ontologique social, politique et religieux qui a fabriqué leur Wahn en éveil.
En présence de l’absence du raz de marée qui renverse tout le système et de la défaillence de l’unité d’orientation idéologique qui reconfigure l’unité nationale et les singularités politiques au service de l’identité et de l’appartenance du peuple les révolutions arabes vont reproduire un des scénarios probables :
- Improviser au fur et à mesure un patchwork politique qui ne pourra jamais avoir la consistance idéologique pour fédérer toutes les énergies ni fonder une nouvelle république sur un socle civilisationnelle compris et admis par tous… Un jour prochain il faudrait revenir à la redéfinition du contenu, du sens et de la portée de la liberté, de la démocratie, de la dignité, de la justice...
- Prêter flanc à la contre révolution en créant des diversions idéologiques, politiques et sociales pour détourner le peuple de ses acquis démocratiques…
Celui qui observe la Libye voit sur le terrain des Moudjahiddines livrant un combat dans un rapport de force incomparable : armement léger contre artillerie, blindés, aviation et marine. Malgré quelques reculs les Moudjahiddines sont en train d’améliorer leur combattivité en apprenant sur leur tas la tactique et la stratégie militaire. Les pays arabes veulent briser cette révolution en offrant la Libye à l’OTAN. Ils sont suivis par les taupes laïques qui font de la surenchère en brisant l’unité de rang puisqu’ils ouvrent des canaux de dialogue avec Clinton et son administration hors du conseil national de transition.
La course pour fissurer les rangs est menée par les troupes de Kadhafi et les « opposants » qui ont choisi pour leur pays le scénario irakien et afghan contre le bon sens et la logique militaire qui disent que la victoire est au bout des armes des Moudjahiddines Libyens qu’il faut armer sans passer par l’Occident.
Sans la morale et la patience de l’Islam ces opposant veulent la fin du conflit et leur représentant qui a été reçu par Clinton en France n’a aucune pudeur à afficher son cynisme et son opportunisme en citant Churchill « je ferais alliance avec le diable ». Churchill répondait à ceux qui s’opposaient à sa collaboration avec les services secrets de Staline et les communistes de l’URSS contre l’Allemagne : « « si Hitler envahissait l’enfer, je ferais alliance avec le diable ! ». Nous sommes musulmans nous ne pouvons faire alliance avec Satan dans une bataille qui peut encore être remportée si l’opposition libyenne se met à collecter des fonds et à acheter des armes au lieu de chercher des tuteurs.
L’Imam Ali avait raison de dire qu’il vaut mieux perdre en étant dans le camp des justes que de gagner en étant dans le camp des injustes. La "nature" vient de répondre aux défaitistes en provoquant en une fraction de seconde au Japon 10 000 morts, 600 000 sans abris, 1 millions de maisons détruites, 35 Milliards $ de dégats immédiats et un risque nucléaire grave qui peut devenir catastrophique. Ce peuple, sans foi, nous donne une leçon de courage, de patience, de solidarité sociale et d'unité des rangs. Nous sommes encore a demi réveillés ou à demi endormis nous ne percevons pas encore toutes les leçons de l'histoire et toutes les épreuves que les hommes surmontent pour imposer leur existence et leur génie humain. Les japonais compensent l'absence de foi par leur confiance totale en leurs élites et en leur gouvernement qui font face à une catastrophe unique dans leur histoire. Le contenu du Monothéisme, la rigueur révolutionnaire, le prix du sacrifice et l'unité de rang ne semblent pas être les valeurs fondamentales des Musulmans et en particulier de ceux qui se réclament de la modernité occidentale et qui dans leur errance ne sont même pas parvenus à acquérir les valeurs modernes et l'intelligence des élites occidentales.
Les Lybiens sur le terrain n'ont pas fait référence au cynisme militaire de Churchill ni à son racisme contre les indiens mais à leur héros Omar Al Mokhtar. Dans ces références à des figures historiques nous devons tirer leçon de l'Histoire dans cette région du globe. La première leçon est la défaite du Maréchal Rommell contre les Anglais qui se sont vus infliger des pertes considérables dans leurs bataillons de chars et dans leurs brigades d'infanterie mécanisée par les blindés allemands et leurs canons de 80 mm. L'intelligence service en étudiant la personnalité de Rommell a découvert qu'il était passionné d'Histoire et tout particulièrement de Hannibal. Ils avaient compris la source d'inspiration de Rommel : l'enfouissement de cuves dans le desert pour alimenter ses chars. Les anglais ont changé de tactique : ils refusaient la confrontation se concentrant à trouver et à détruire les sources d'approvisionnement de Rommel rendant ses blindés inoffensifs.
Les Libyens au lieu de chercher l'aide étrangère doivent couper la chaine logistique des campagnies de Kadhafi. Le second point de l'histoire est commun au Maghreb : Omar al Mokhtar a perdu la guerre non par manque de courage ou de foi mais par l'absence d'un front uni. C'est ce front uni et élargi qui a manqué à l'Emir Abdelkader, à Mokrani, à Bel Haddad, à Abdelkrim al Khattabi... La population de Tripoli doit se soulever et produire des Moussabilines et des Fidaiyines pour élargir et accentuer la lutte et ainsi provoquer davantage de dislocation en plus des coups portés à la garde prétorienne kadhafienne et à ses mercenaires. Ce sont les lois de la guerre, de la guerrilla et de la résistance en tout lieu et tout temps.
{Et combien de Prophètes (il y eut) avec lesquels combattirent un grand nombre de disciples sans jamais perdre courage de ce qui les atteint, pour la cause d’Allah, et sans jamais fléchir ou céder. Allah Aime les persévérants. Et leur parole n’était autre qu’ils dirent : «Notre Seigneur, Absous nos péchés et notre abus dans nos affaires, Affermis nos pas et Fais-nous triompher des gens mécréants ».} Al 'Imrane 140
{Vous souffrez comme ils souffrent mais vous espérez d'Allah ce qu'ils ne peuvent espérer}
Celui qui observe les événements au Bahreïn voit le soutien discret des États-Unis qui appuient une monarchie base aérienne et navale des forces armées américaines. Il voit 30 milliards $ octroyés par les pays du golfe pour corrompre le peuple. Il voit la même rengaine Salafiste du clivage Sunna Chi’âa. Il voit l’intervention des forces armées et des forces de sécurité saoudienne appuyés par les monarchies pour aller au secours d’un monarque qui a perdu toute légitimité autocratique. Les derniers fossiles résistent contre le cours de l’Histoire qui leur annonce leur déclin s’ils ne se transforment pas rapidement en monarchie constitutionnelle ou en République.
Celui qui observe l’évolution de la situation en Tunisie et en Égypte, libéré de la « fierté nationale » mise en kermesse et du patriotisme mis en exacerbation, il constate trois choses : l’ordre ancien n’est toujours pas renversé ; l’orientation idéologique de la révolution n’est toujours pas affichée ; les mesures contre révolutionnaires mené avec intelligence et machiavélisme occupent l’essentiel de la lutte idéologique en faisant des concessions de type cathartique en offrant au peuple quelques boucs émissaires.
En Égypte l’essentiel est de faire avorter l’idée d’une assemblée constituante et de se contenter de faire du rafistolage à la « Moubarak » sur la Constitution, de pousser quelques figures à se ruer comme candidat à l’élection présidentielle et d’entrer dans un débat byzantin sur qui doit porter la primauté : les élections du parlement ou celles du Président. Dans ce débat tronqué la course anarchique à la création de partis politiques devient une fin en soi : on reproduit la pensée unique de l’ancien système qui donne la priorité aux organes, aux organigrammes et aux appareils au détriment des programmes, des fonctions et des processus. On reproduit la pensée unique dans une dimension anarchique qui exclue le débat d’idée au profit de l’allégeance aux personnes et aux appareils. Les amendements constitutionnels vont sans doute être refusés par le peuple qui va être amenés, sans doute, à exiger une démocratie parlementaire. Les jeunes qui ont mené la révolution ont lancé le mot d'ordre "Nous voulons une nouvelle Constitution et le prolongement de la période de transition avec la création d'un conseil présidentiel". Pour l’instant le nouveau premier ministre, plébiscité par le peuple à la place Tahrir semble subir un déluge de problèmes et avancer sur un terrain miné. Le peuple doit reprendre l'initiative historique mais cette fois c'est à son élite d'aller au charbon et au feu. Le peuple ne peut imaginer des suites qui échappent à son imaginaire et à son imagination. Ce n'est pas la vocation d'un peuple que de se substituer à l'élite. Celle-ci semble rouler moins vite que l'Histoire et à ce rythme le temps et la vitesse vont être des contraintes pour l'élite qui aura raté le rendez-vous avec l'histoire qui les a placé malgré elles au coeur d'un grand destin qu'elles semblent ne pas voir ou redouter...
En Tunisie l’essentiel est de faire porter par un homme probe mais néanmoins inscrit idéologiquement et culturellement comme produit d’une certaine idée de l’indépendance nationale et de la personnalité tunisienne à la Bourguiba. Cet homme annonce l’élection d’une assemblée constituante dans 4 mois. Pour un peuple qui sort d’une révolution sans unité idéologique et qui vient de renaitre après la conjugaison du Protectorat français et la dictature du parti unique de Bourguiba et Ben Ali quelle est la signification et la portée de ces 4 mois dans la reconfiguration idéologique et politique de la Tunisie avant l’élection des membres de l’Assemblée Constituante qui va fixer la nature du pouvoir, l’exercice du pouvoir, l’idéologie du pouvoir, l’identité et l’appartenance civilisationnelle du peuple tunisien.
Que signifie ces 4 mois pour un peuple désorganisé et vivant depuis trop longtemps sous la hantise de la faim, du chômage, de l’insécurité et de l’absence de vision sur l’avenir ? Que signifie ces 4 mois quand l’histoire nous montre comment l’indépendantiste Salah Sidi Youssef fut mis à l’écart puis assassiné pour laisser le champ libre à Bourguiba qui remporta tous les sièges de l’Assemblée constituante ce qui lui permit de gouverner comme un monarque despotique et d’imposer le code du statut personnel rompant définitivement avec la Charia islamique et permettant au nom d’un pseudo féminisme moderniste de traquer et d’éradiquer toute revendication et toute contestation à caractère islamique ? Que signifie ces 4 mois quand le chef du mouvement islamique Ennahda s’empresse de trouver les mots pour ne pas « effaroucher l’Occident » et les éradicateurs tunisiens en proclamant que ni lui ni un des membres d’Ennahda ne seront candidats aux élections présidentielles, qu’il approuve le code du statut personnel et que la Tunisie ressemble à la Turquie ce qui est complètement faux du point de vue historique, sociologique et géostratégique…
La Turquie n’est pas l’objet de notre article et si nous devons y faire référence nous devons y faire référence non à son état actuel mais à son devenir, comment et pourquoi et vers quoi ? Au lieu de faire référence à la Turquie pour dire implicitement notre acceptation de la laïcité il aurait été plus judicieux de se poser deux trois questions fondamentales :
- Où sont le Fiqh des priorités et le Fiqh du réalisme ? Où sont leurs ingénieries, leurs laboratoires, leurs instruments et leurs cadres pour se guider dans un monde complexe où nul n’a le droit, au niveau politique et idéologique, de lancer des thèses sans en évaluer les conséquences stratégiques ou tactiques et sans en analyser les retombées en terme de gain et de pertes dans un monde où il s’agit de ne plus ignorer l’ennemi véritable et les enjeux.
- Avons-nous le droit après les échecs cumulés de l’Islah, de la Nahda, des indépendances nationales et de la Sahwa de continuer à nous poser les mêmes questions sans leur trouver les réponses les plus efficaces socialement et politiquement : faut-il que les islamistes soient représentés politiquement avec tous les risques de confusion de l’Islam avec sa représentation politique et de perte de la vision globale et dynamique de l’islam ? Faut-il se contenter d’éduquer la société et d’être présent dans la société civile pour que l’Islam soit présent dans l’État, les lois de l’État et la conscience sociale et populaire.
- Quel est le clivage fondamental de l’étape ? Clivage sur la liberté et la démocratie ou clivage sur l’islamité ? Quels sens, quels contenus, quelles dimensions, quelles configurations et quels interactions donnons nous à la liberté, à la démocratie, à l’islam. Quels dénominateurs communs construire avec les autres ?
- Peut-on importer la démocratie de l’Occident ou devons-nous lui donner un autre sens plus proche de l’Islam en terme de références et de normes juridiques, de représentativité et de souveraineté populaire, de participation à la vie politique et économique, de justice sociale, de vertu et d’éthique, de bonne gouvernance, de rapport entre l’argent et le pouvoir, l’argent et l’information…
- A-t-on le droit de refuser un parti athée et communiste ou un parti libéral pro occidental ? Comment faire que l’idéologie dominante soit le respect des valeurs du peuple musulman de telle manière que les non Musulmans vivent comme des minorités sociales, politiques, culturelles et religieuses jouissant de tous leurs droits sans porter atteinte à l’Islam et à l’unité nationale…
Laissons de côté les déclarations sincères ou politiciennes, claires ou confuses d’Ennahda et observons quelques mesures concrètes, observables et vérifiables sur la champ politique tunisien et qui annoncent déjà le futur « démocratique » de la Tunisie en dépit du « vent de liberté » que les Tunisiens semblent sentir comme si la Démocratie est une odeur de jasmin emportée par les courants d’air et non une volonté populaire cultivée, portée et transportée par les idées les plus nobles, les plus généreuses mais aussi les plus lucides et les plus efficaces. Ces mesures sont celles annoncées par les agences de presse :
« Le ministère tunisien de l’Intérieur a annoncé l’autorisation pour la constitution de trois nouveaux partis politiques. Dans un communiqué rendu public samedi soir, le ministère tunisien a précisé que les nouveaux partis sont : "le Parti de la Justice et de la Liberté", le "Parti de l’Avenir pour le développement et la démocratie" et le "Mouvement des Patriotes démocrates" . Par ailleurs, le ministère tunisien a prononcé des décisions portant sur le refus d’une autorisation à la formation de cinq partis politiques qui sont en infraction avec les dispositions de la Loi organique n°32, en date du 3 mai 1988 et relative à l’organisation des partis politiques, notamment les articles 5-6-9- 11. Selon le communiqué ministère tunisien, le refus des autorisations concerne le parti "Attahrir" de Tunisie, le parti " Assalam" , le parti "sunnite tunisien" , le "parti libre populaire démocratique" et le "parti démocratique libéral tunisien". Le ministère de l’Intérieur a précisé que le nombre total des partis politiques en Tunisie s’élève à ce jour à 34 partis »
Nos remarques sont simples :
- Il serait dramatique, sur le plan politique et idéologique, de se confiner à la chansonnette romantique de « vent de liberté ». La démocratie est le résultat d’un processus de démocratisation. C’est un processus complexe et pluriel : commencer de fait l’apprentissage de pratique des libertés individuelles et publiques, identifier et comprendre les garanties de protection de ces libertés à mettre en place, faire émerger, après l’euphorie de l’insurrection, le sentiment démocratique c'est-à-dire la conscience sociale et politique que plus jamais le gouvernant ne puisse s’autoriser à opprimer et que le gouverné ne puisse tolérer subir une oppression ou une injustice. Ce sentiment qui devient le regard social du peuple est le regard par lequel le rédacteur et le lecteur des constitutions, des chartes, des lois, des règlements prend en charge les textes qui répondent aux processus de démocratisation ou qui institutionnalisent le processus de démocratisation arrivé à maturité juridique et à efficience sociale. Ce travail de conscientisation ne peut se faire en 4 mois. Tout ce qui s’élabore à l’issue de cette courte période ne peut que porter le risque d’une contre révolution, conserver les germes de l’ancien régime ou se limiter, une fois de plus, à n’être que de la vile imitation de ce que fait l’Occident qui arrive à comprendre que son système a atteint ses limites et ses performances.
- La seconde remarque est le recours à des lois et des règlements qui sont caduques sur le plan de la légalité constitutionnelle et de la légitimité révolutionnaire. Dans des articles précédents j’ai montré comment l’ancien système va se battre pour imposer une légalité constitutionnelle ou juridique contre la légitimité révolutionnaire. Ce problème est lié une fois de plus à l’absence d’unité idéologique et d’unité organique politique qui donne un encadrement de gouvernance pour la révolution et du fait d’une part des arrangements d’appareils entre le régime et les partis d’opposition qui sont en réalité des partis de collaboration et d’autre part des élites en hors jeu social car elles ont tardé à rejoindre la révolution et à l’encadrer.
- La troisième remarque est la dominance de l’esprit éradicateur et d’exclusion qui est contraire à l’esprit démocratique revendiqué par la Révolution. Le peuple tunisien, sans orientation idéologique, peut et doit dès maintenant réagir et refuser la persistance bureaucratique et totalitaire du clivage politique. Il doit donc dans son orientation idéologique inscrire le refus du clivage idéologique et politique dans le droit à l’exercice des libertés publiques et le droit à s’associer en parti politique ou social.
- La quatrième remarque qui confirme les points précédents est relative aux prérogatives du Ministère de l’Intérieur et son rapport aux partis politiques. Nous voyons les mêmes réflexes sécuritaires car c’est le même système qui continue de gouverner. Ce système montre déjà l’impasse démocratique vers laquelle il va conduire la Tunisie. Le processus de démocratisation doit dès maintenant se manifester dans son authenticité. La création d’un parti est processus de création d’une personnalité morale juridique et à ce titre elle relève du même processus de création d’une entreprise avec la différence que si la première a un caractère politique la seconde a un caractère économique. La reconnaissance légale et l’inscription des registres de « naissance » doit relever de l’institution judiciaire qui doit connaitre la désignation sociale, les membres fondateurs, les statuts, le siège social. La promulgation au journal officiel est la finalisation du processus. Le récépissé de dépôt de création auprès du greffier du tribunal doit permettre au parti de commencer son action militante et partisane. Il appartient à la Justice par la suite de refuser ou de prononcer la fin de l’existence juridique d’un parti selon des procédures légales à venir plus tard. L’urgence étant de donner à l’état de droit son ébauche institutionnelle et fonctionnelle, de donner au citoyen le droit d’exercer ses libertés politiques et aux partis politiques de s’organiser pour communiquer avec le peuple, de débattre sur les idées, de chercher les alliances.
- La cinquième remarque est relative à l’information, à la culture et aux médias. Le processus de démocratisation n’aura de sens et de garanties réelles que si l’État ne conserve aucun monopole sur la production intellectuelle et n’exerce aucune tutelle ni censure sur l’information et l’activité médiatique. Les Ministères de la Culture et de l’Information doivent disparaitre et céder le pas aux syndicats et aux associations créés et liquidés par voie de justice tout en fonctionnant sur des bases démocratiques. Plus tard la Constitution et la loi des finances mettraient le cadre institutionnel et légal pour le financement et les subventions des partis politiques, des syndicats, des associations et des organes d’information. Le processus démocratique ne sera atteint qu’une fois les garanties seront mises pour protéger l’information et la vie intellectuelle du pouvoir politique et du pouvoir de l’argent.
Ceci dit comment envisager avec optimisme le processus de démocratisation dans un délai si court en continuant d’exercer la tutelle sur les partis politiques en voie de création sans leur donner le temps de s’organiser et d’initier un débat en interne avant de le mener avec le peuple en public. Avec cette façon de faire on peut soit pousser le peuple à se détacher de la politique soit à lui faire croire que sa mission révolutionnaire est achevée et qu'il ne lui reste qu’à voter pour « un saut dans l’inconnu ». La contre révolution ou plus exactement les partisans de l'ancien régime ou d'un nouveau régime en opposition avec les intérêts du peuple arabe et musulman vont bénéficier de cinq soutiens :
1 - l'expertise internationale juridique (à titre d'exemple disposer du réseau international des partis socialistes, des partis de droite et des USA pour contrer les islamistes)
2 - la presse et les médias déjà en place avec leur lectorat et leur audience. En quatre mois il est impossible de mettre en place une ligne d’édition, un financement et une diffusion équitable
3 - les moyens économiques et financiers locaux et étrangers qui peuvent financer les médias, les conférences et la campagne dans le sens libéral et laïc. Les islamistes ayant vécu des décades d’éradication et de clandestinité ne bénéficient ni de l’expérience de commis de l’état ni de réseaux de collecte pour financer leur presse, leur séminaires et leur campagne.
4 - Les élites traditionnelles dans l'administration et l'enseignement qui ont les réseaux de communication et un certain niveau de connaissance pour comprendre les enjeux des clauses juridiques. Les islamistes poussés à l’exil, à l’infiltration des services, à la peur et à la vie en retrait ont très peu de réseaux actifs dans la société « utile » qui détient le savoir, l’argent, les relations, la société implantée dans les sites côtiers loin de la misère de l’intérieur frondeur et conservateur
5 - Les éradicateurs en lien avec l’ancien régime ou avec les Usa et la France vont bénéficier d'un coaching spécialisé en communication et en manipulation pour configurer le découpage électoral et le discours politico idéologique.
6 – La France abrite une forte population tunisienne alors les élites islamiques, par nécessité historique, ont vécu dans les pays anglo saxons hors de leur population et de leur émigration. Les débats sur l’avenir de la Tunisie en France, pris en charge par l’ancien régime, les lobbies, les ONG et les partis politiques français ont une incidence sur le caractère idéologique et politique du débat démocratique tunisien. Dans quelques mois les émigrés qui vont voter et qui sont nombreux peuvent changer la donne car ils vont être soumis au débat orienté et aux reflexes traditionnels de la peur du consulat et de l'allégeance au pouvoir incarné dans l’appareil diplomatique ancien et ses bureaucrates.
La Tunisie comme l'Algérie et le Maroc, pour le colon comme pour l'indigène, reste une (ex) colonie française. La partie se joue en France et pas seulement en Tunisie. Les "élites" en France ne semblent ni préparées ni disposées à jouer le rôle que l'Hisoire a choisi pour eux.
Le peuple tunisien doit donc rester vigilant et impliqué sur les mois à venir. Il doit continuer son militantisme en participant au débat faudrait-il qu'il y ait en face de lui des partenaires qui lui explique que déconstruire l'ancien régime est le petit jihad alors que construire le nouveau régime est le grand Jihad. Il ne s’agit pas de débattre sur les principes généraux de l’Islam car les 4 mois ne permettent pas d’expliquer à un peuple dépossédé des aspects idéologiques, sociaux, politiques, culturels et religieux de sa foi le contenu, la pratique et l’institutionnalisation de la liberté, de la justice, de la démocratie, de la justice sociale, de la fraternité, de l’égalité, de la civilisation… Il s’agit surtout de lui montrer le plan de construction de la souveraineté du peuple, de la démocratie et de l’état de droit pour qu'il adhère à la construction et en comprennent tous les corps d'états qui vont se mettre en œuvre en sa faveur ou contre lui. Il faut faciliter au peuple la compréhension des mécanismes attendus ou proposés et leur perversion possible en allant au delà du discours moralisateur et des bonnes intentions. Le peuple qui a mené une révolution est capable de produire son élite ou du moins la choisir le plus rapidement à condition que :
- Les partis en création n’oublient pas l’essentiel : ils sont eux-mêmes dans un processus de transition. Ils doivent donc disposer d’une vision à long terme mais surtout d’une grande capacité d’adaptation aux exigences de l’heure. Il ne s’agit pas pour l’instant d’édifier un état islamique ni de poser la première pierre du Khalifat mais de mettre en place l’état de droit en rupture avec l’ordre ancien et promouvant la liberté qui permet de s’inscrire pacifiquement et méthodiquement dans un projet civilisationnel… Le fameux mythe de la chose facile qui interdit l'effort et le fameux mythe de la chose difficile qui anesthésie l'action ne doivent pas être les paravents pour rester dans l'apologie du passé glorieux ou la polémique avec les autres. Le Khalifat est un processus historique qui ne s'édifie pas sur le Wahn ni sur la confusion idéologique ni sur la dépendance politique et économique. Il doit s'édifier par la volonté des peuples et des élites qui effacent progressivement les frontières, d'abord dans l'esprit ensuite dans la vie politique, économique, sociale, scientifique et diplomatique pour parvenir à la disparition totale de toutes les frontières dans une aire civilisationnelle commune...
- La souveraineté du peuple ne soit pas mise en opposition avec la Souveraineté divine. Le peuple doit choisir librement ses représentants comme il doit pouvoir les destituer. L’accès au pouvoir doit être pacifique par des voies démocratiques. L’exercice du pouvoir doit se réaliser dans la bonne gouvernance et le respect de l’alternance et du pluralisme politique. L'éradication à cause des idées, de l'opinion doit être impossible. Le musulman et la musulmane, et les autres citoyens laïcs ou juifs ou chrétiens doivent pouvoir se déplacer librement dans le monde et jouir des bienfaits que Dieu a déposé dans cette terre qui appartient à tous
- La Tunisie s’inscrive dans le rôle que sa place géographique, historique et religieuse ont configuré pour elle. Elle a joué le rôle d’avant-garde civilisationnelle en ouvrant ses portes à ‘Okba Ibn Nafa’â fondateur de Kairouan et aux arabo berbères Bani Aghlab qui ont pacifié puis civilisé la Sicile faisant ainsi de l’Italie le second vecteur après l’Espagne le premier vecteur de la Renaissance européenne.
Il est vrai que c'est une grande victoire que d'obtenir la fin de la sureté de l'étet, de la police politique et de l'ancienne constitution mais on peut les recréer sous d'autres formes. Regarde l'astuce du régime égyptien qui voulait duper le peuple en lui proposant une constitution avec un président nommé pour 4 ans et une seule fois sans qu'il y ait un débat réel sur la nature du pouvoir, ses véritables détenteurs et les mécanismes de son exercice, et les garanties de la souveraineté du peuple et de son controle sur les institutions et les gouvernements. Le processus de démocratisation qui enracine dans la personnalité, la conscience et la pratique sociale et politique comme sentiment d'avoir honte d'opprimer ou d'être opprimé est le regard social qui doit être perçant au niveau de la société mais aussi le regard politique qui doit être vigilant au niveau des gouvernants qui doivent savoir qu'il n'y a plus d'impunité ni d'arbitraire ni d'incompétence.
Il faudrait continuer à s'appuyer sur la forte mobilisation du peuple et sa conscientisation car c'est le facteur décisif. s'il s'agit juste de remplacer un tel par un tel autre et prendre l'habit de l'Occident sans le façonner nous mêmes selon nos besoins réels et notre vocation ce sera encore une fois un ratage même s'il apporte au début quelques libertés illusoires. Le vrai travail qui nous attend tous est de comprendre le sens de la 'Ouboudiya lillah, l'adoration de Dieu. Le jour où nous lui donnerons son sens d'humilité, de reconnaissance, de quête de la satisfaction d'Allah et de recherche à aider et soutenir et promouvoir les droits de ses créatures en accomplissant ses propres devoirs alors le sentiment démocratique islamique n'a plus besoin de références occidentales ni greco romaines ni judéo chrétiennes ni agnostiques. Chacun de nous sera au service de son frère. Chacun de nous aura suffisamment de piété, de pudeur et de droiture pour ne jamais se permettre d'opprimer, d'asservir, d'exploiter, de spolier, de voler, de tricher, de trafiquer des élections ou de ruser pour avoir des privilèges et des passes droits.
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