Le néo-bourguibisme ou la chronique d’un marché de dupes pour confisquer la Révolution.
Par S. El-Ayoubi,
Le néo-bourguibisme ou la chronique d’un marché de dupes pour confisquer la Révolution.
Au lendemain du départ de Ben Ali, je me suis posé la question des forces qui avaient la capacité à prendre le pouvoir, si l’intelligence collective tunisienne ne permettait pas d’amorcer une construction démocratique saine et prometteuse pour tous.
Très rapidement cette réflexion m’a amené à identifier deux mouvements en tête, avec les meilleurs atouts pour cette prise du pouvoir. Il s’agit des islamistes et des néo-Bourguibistes (disons plutôt la branche ‘ancien régime’ du RCD, qui est en train de muer pour se débarrasser de cette peau devenue encombrante).
Les atouts de ces deux mouvements par rapport aux autres sont multiples : une histoire politique, une base sur le terrain, une expérience politique et opérationnelle, etc.
Les Bourguibistes ont en plus l’avantage d’une assise régionale, surtout que le régionalisme a toujours été l’une des bases fondamentales de l’histoire du mouvement et que cette dimension permet aujourd’hui au mouvement de récupérer des pans entiers du RCD. Egalement, ces neo-Bourguibistes maitrisent les rouages du pouvoir et de l‘Etat (Police, ministères, lobby externe, etc.).
De même, les islamistes peuvent capitaliser sur le terreau favorable de l’islam traditionnel, qui prospère en Tunisie, tout comme partout ailleurs dans le monde Arabe.
Les atouts de ces deux mouvements s’accroissent à vue d’œil, au fur et à mesure que la scène politique tunisienne se fragmente et qu’aucune tendance consensuelle ne se dégage pour construire des nouvelles bases démocratiques.
D’ailleurs, cette situation est loin d’être un hasard et semble être favorisée – consciemment et inconsciemment – par une multitude d’acteurs.
Les deux mouvements n’ont pas perdu leur temps depuis mi-janvier, mais depuis plusieurs semaines, les néo-Bourguibistes marquent des longueurs d’avance, par un jeu dangereux d’entretien du chaos politique aux devants de la scène, tout en verrouillant progressivement leur emprise sur le pays dans les coulisses.
Il suffit de prendre un peu de recul pour être frappé par cette réalité, de sa partie la plus visible (M. Fouad Mebazza, Président de la République par intérim, M. Béji Caïd Essebsi, …), à la propagande sur nos chaines de télé, jusqu’à la page d’Habib Bourguiba sur Facebook.
Cette page créée depuis peu, totalise plus de 130 000 fans, dépassant celles de tous les partis politiques, personnalités tunisiennes et même celles du Club Africain ou de l’Esperance Sportive (dont les pages existent depuis bien longtemps). Comme comble, elle dépasse même la page du Martyr Mohamed Bouazizi!
Peu importe qu’il s’agisse de la conséquence de la campagne médiatique en cours, de l’absence de leaders charismatiques, ou d’un usage abusif des codes d’accès Facebook piratés sous Ben Ali. Ce qui est évident c’est que c’est la part visible d’une orchestration bien organisée du Clan Néo-Bourguibiste, ou plutôt du Clan Néo-Ben Aliste, emballé dans un pseudo-Bourguibisme.
Cette réalité est confirmée par les inquiétudes de plusieurs personnalités au fait des arcanes du pouvoir tunisien (diplomates étrangers, hauts gradés de l’armée, hauts fonctionnaires, etc.) et par un nombre croissant de Tunisiens déterminés à ne pas se laisser confisquer la Révolution par un retour en arrière.
Mais en réalité, c’est quoi le Bourguibisme en 2011, ou plutôt qui sont les Néo-Bourguibistes de 2011 ?? Pour ne pas tomber dans le piège des comptines médiatiques qui nous chantent la grandeur du Bourguibisme (non, nos medias ne sont pas encore sortis de l’emprise du Pouvoir en place), il vaut mieux faire pencher l’interrogation vers la question « qui sont les leaders Bourguibistes de 2011 ? », car tout comme le RCD de Ben Ali, la mouture initiale (le Parti Socialiste Destourien (PSD) de Bourguiba) s’était aussi vidée de tout fond idéologique.
Pour répondre à cette question, il convient de commencer par reprendre quelques morceaux de la dernière photo fiable des Néo-Bourguibistes, datée du 6 Novembre 1987, sans les retouches qui se pratiquent actuellement: un clan familial et régional de barons, autour d’un vieux dictateur, un parti unique (le PSD, devenu RCD par la suite) qui domine le pays et l’Etat d’une main de fer, des milices organisées dépendant du PSD, des régions entières abandonnées pour sombrer dans la pauvreté et la misère, absence de toute trace de démocratie, des cellules pleines de prisonniers politiques lorsqu’ils ne sont pas morts sous la torture, une aliénation de tous les Tunisiens par une propagande quotidienne sur le Président sauveur du pays …
Non, il n’y a pas d’erreur dans cette description: il s’agit bien ici de la Tunisie sous le Clan Bourguiba jusqu’au 6 Novembre 1987 et non pas de la Tunisie sous celui de Ben Ali depuis le 7 Novembre 1987!!! Il suffit de creuser un peu dans notre mémoire familiale pour se remémorer à quel point le Clan des Bourguibistes a asservi le pays.
Maintenant, que sont devenus depuis le 6 Novembre 1987 les leaders de ce Clan de Bourguibistes (le ‘Clan du 6 Novembre’)? En dehors de ceux qui se sont retirés en raison de l’âge, bon nombre d’entre eux se sont bien convertis sous Ben Ali (M. Abdelaziz Ben Dhia, M. Fouad Mebazaa, M. Béji Caïd Essebsi (jusqu’à 1994) et bien d’autres), preuve que le RCD n’est autre que la continuité naturelle du Bourguibisme, sous la direction de bons vieux Bourguibistes.
Ben Ali lui-même était parmi l’élite du Bourguibisme, puisqu’il était au cœur du système depuis 1978, lorsqu’il a pris la charge de la Sureté Nationale ! En d’autres termes, Ben Ali nous a changé l’emballage du système Bourguibiste une fois et voila que le Clan du 6 Novembre veut nous remballer la même nourriture avariée une nouvelle fois (pour plus de détails, lire « Habib Bourguiba: la trace et l’héritage » par Michel Camau et Vincent Geisser et « La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali » par Mohsen Toumi).
En 2011, ces barons du Clan du 6 Novembre ont besoin de s’appuyer sur des cadres et une base pour verrouiller un pouvoir qui est déjà entre leurs mains et qu’ils sont loin de vouloir céder aux tunisiens, comme l’exigent la Révolution et la mise en place d’un processus démocratique.
D’où la mobilisation qui est en train de s’opérer dans les rangs du RCD, après avoir écarté certains concurrents internes (ce qui explique les règlements de comptes en cours entre anciens du RCD). A ce titre, la nomination de M. Habib Essid comme ministre de l’intérieur est une illustration audacieuse de l’avancée de ce verrouillage du pouvoir et un affront à la Révolution. En effet, M. Essid est à l’image de cette continuité du Pouvoir, sous Bourguiba, puis Ben Ali, puis le Clan du 6 Novembre, d’autant plus que ce ministère est clé pour cadenasser le pays et empêcher les vérités du passé de ressortir.
Au delà des cadres recrutés dans l’appareil RCD, les barons du Clan du 6 Novembre s’appuient de plus en plus sur la base du RCD, moyennant un renouvellement des effectifs sous la bannière d’un régionalisme actualisé et de la fameuse majorité silencieuse. Pour le reste, les journalistes et les medias sous la houlette du Pouvoir relaient la propagande.
Quant aux partis politiques qui se morcellent de jour en jour, ils s’annulent entre eux et rendent toute émergence d’une lucidité collective capable de contrer le Clan impossible.
Le clan du 6 Novembre a bien compris l’utilité de cette situation et la favorise sans ménagement, en négociant des places au soleil avec certaines personnalités et en remontant les Tunisiens les uns contre les autres. Pour souffler sur les braises de la discorde, tous les moyens sont bons : faux débats sur la laïcité et la peur des islamistes, chasse aux sorcières (ou plutôt concurrents internes), ‘révélations’ sur les syndicalistes, etc.
Il est malheureux de constater à quel point nous tombons collectivement dans ces pièges bien pensés, relayés efficacement sur Facebook. En effet, après avoir aidé à faire tomber Ben Ali, Facebook sert aujourd’hui à clouer la Tunisie pour empêcher le changement.
Maintenant, que devons nous faire face à cette confiscation rampante de la Révolution ??
Dans un premier temps et d’une manière urgente, il faut une grande mobilisation collective contre ce Clan du 6 Novembre, et ce sur tous les terrains : Facebook, journaux, télévision, la rue, etc. Il ne s’agit pas de contrer quelques individus, mais plutôt un système de rouages ancré dans différents pilliers du pouvoir (les Ministères – en particulier celui de l’intérieur, les medias, etc.).
Comme forces démocratiques soucieuses de l‘avenir du pays et de l’intérêt commun, nous devons collectivement et massivement rejeter tout retour à l’ère des barons du bourguibisme et leur système – même avec une peinture démocratique de façade, tout comme nous avons rejeté la dictature de Ben Ali et son système. Il convient de le dire haut et fort sur Facebook, dans les medias et partout ailleurs.
Mais ne pouvons pas nous contenter de rejeter ce clan sans construire et proposer une alternative valide, car d’autres forces anti-démocratiques peuvent prendre leur place. En effet, il devient urgent d’amorcer un processus réel de transition démocratique qui évite la confiscation de la Révolution, tout en sortant le pays du chaos politique, social et économique grandissants que nous connaissons actuellement.
Il nous reste à définir comment y parvenir faute d’une armée garante de telles avancées, faute d’un consensus intelligent entre les leaders des partis politiques, faute de l’émergence de leaders charismatiques et en tenant compte des limites des actions locales et individuelles pour définir l’avenir du pays.
A cet effet, il faut se remettre en question et dresser un bilan des semaines passées depuis le 14 Janvier 2011, mais aussi tirer les leçons de l’expérience Egyptienne, comme celles d’autres pays … dont plusieurs ont rebasculé après leurs révolutions sous la mainmise des caciques des anciens régimes réemballés pour la circonstance.
Il est clair que la situation est grave, mais c’est déjà un bon début d’en prendre conscience, de se mobiliser pour ne pas se laisser faire et de mettre l’élite du pays au travail – tout comme chacun de nous – devant ses responsabilité.
Personne ne se pardonnera un retour en arrière, après des années de plomb sous Bourguiba puis Ben Ali et une Révolution glorieuse, au prix du sacrifice des Martyrs.
1 Comments
Voilà qu'ils se remettent au matraquage médiatique sur les chaines tunisiennes... il n'y en a que bourguiba c'est affligeant
wa aleykom salam wa rahmatollah wa barakatoh