Akim Rouichi avait-il fait des découvertes compromettantes sur Nicolas
Sarkozy et sur d'autres ministres du gouvernement Balladur? Son frère,
François Rouichi, qui a décidé de briser plus de quinze
ans de silence, le laisse entendre aujourd'hui à Mediapart.
Auteur d'écoutes téléphoniques clandestines compromettantes pour
plusieurs personnalités du camp Balladur -écoutes que les enquêteurs
recherchent activement depuis plusieurs jours-, Akim Rouichi a
été retrouvé pendu en août 1995 au domicile de l'une de ses sœurs, à
Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis).
A rebours des conclusions de la police et de la justice, sa famille
n'a jamais cru que le jeune homme s'était donné la mort. Elle continue
aujourd'hui de penser qu'il a été "suicidé", peut-être à
cause des missions secrètes dont il a été chargé en pleine guerre
homérique entre deux clans de la droite, les chiraquiens et les
balladuriens.
D'après les éléments recueillis par les policiers, Akim Rouichi aurait
été "traité" par deux anciens agents des services de renseignements
français, l'un aux RG, l'autre à la DST, qui travaillaient
en sous-main pour le clan Chirac. Pour mener à bien sa mission
clandestine, il s'était vu confier tout l'attirail du parfait espion :
scanner fréquentiel, numéros des téléphones portables
visés, codes de déchiffrement pour les appareils cryptés et les
agendas des "cibles".
Les révélations du frère
«Je n'ai eu aucun retour sur ma note, malgré le fait que je sollicitais des instructions»,
explique M. Brisard à Mediapart, qui confirme avoir reconnu, stupéfait,
les voix de MM. Léotard
et Donnedieu de Vabres dans les enregistrements qu'il a pu entendre.
Le contrat des sous-marins Agosta vendus au Pakistan, au cœur de
l'enquête des juges, et une histoire de livraison de missiles
à l'Iran viaChypre, alimentaient certaines conversations,
selon Jean-Charles Brisard. Devenu consultant international spécialisé
dans le terrorisme, il dit toutefois n'avoir pas
entendu parler de commissions occultes dans les extraits qu'il a
écoutés.
Ce n'est pas le cas de François Rouichi, frère et confident d'Akim,
que Mediapart a rencontré à deux reprises les 27 et 28 octobre. «Je
me souviens très bien d'une discussion entre
Pasqua et Léotard. L'un demandait à l'autre si le contrat était
signé et s'il allait toucher sa commission. L'autre lui a dit que oui.
Puis le premier a dit qu'il ne fallait surtout pas qu'un
troisième soit au courant, comme s'ils se faisaient de l'argent sur
le dos de quelqu'un», avance aujourd'hui le quadragénaire, ancien directeur d'un centre social.
Selon son récit, Akim Rouichi s'est très rapidement pris au jeu et,
au fil des mois, aurait même été destinataires, grâce à ses « sources » policières, de documents
compromettants sur les ventes d'armes françaises. Pour quelles raisons précises ? François Rouichi ne le sait pas.
Les années ont passé et les souvenirs ne sont pas toujours très nets
dans son esprit. Il évoque néanmoins l'existence d'un document de la
Sofresa, office d'armement qui a eu à gérer le versement
au réseau Takieddine des commissions occultes du contrat des
frégates saoudiennes Sawari 2, et d'un autre document lié, lui, à une
société luxembourgeoise. «Mon frère me les a
montrés», jure-t-il.
Puis il lâche ce qui pourrait ressembler à une bombe, si ces allégations venaient à être confirmées. «C'est
là que mon frère a évoqué, alors qu'il était au téléphone avec une de
ses
sources aux RG, un homme qu'il appelait "l'autre de Neuilly", avec
un nom à consonance étrangère qui venait de l'Est. Je pensais à un nom
polonais. Puis il a cité son nom. Il l'a cité au moment
où il a eu entre les mains ce document sur une société au
Luxembourg, qu'il appelait "la tirelire"»,confie François Rouichi. M. Rouichi avoue qu'il ne savait pas à l'époque qui était Nicolas
Sarkozy. Les choses, depuis, ont changé...
«Le document comportait un texte et un chiffrage, cela
apparaissait comme une sorte de compte bancaire. Mon frère l'appelait
"la tirelire". L'"autre de Neuilly" était dedans, d'après mon
frère», assure François Rouichi, qui ne se sait pas si Nicolas
Sarkozy a fait partie des personnalités écoutées.Aucun élément matériel
ne vient aujourd'hui corroborer ce témoignage, les
enquêteurs recherchant les écoutes pirates réalisées en 1995.
Vrai ou faux suicide ?
C'est la première fois que François Rouichi parle de «l'autre de Neuilly», dit-il. Il n'en avait rien dit aux policiers qui l'ont entendu sur l'affaire, le 13 octobre. Il a
alors hésité à se confier, assure-t-il à Mediapart, mais a préféré «fermer sa gueule». «J'avais peur, glisse-t-il. Cela
fait quinze ans que quand on
parle de cette histoire, on nous prend pour des fous ou des
menteurs. Aujourd'hui il faut que je le dise. Devant les policiers,
j'avais la peur de citer quelqu'un qui est peut-être au-dessus de
tout. Mais je dois le faire pour mon frère et pour que cette
personne (Nicolas Sarkozy, ndlr) sache que quelqu'un sait».
Il se dit prêt aujourd'hui à coucher sur procès-verbal ces nouvelles
confidences, s'il venait à être convoqué de nouveau par les enquêteurs.
L'apparition d'une société luxembourgeoise dans les propos de M. Rouichi est pour le moins troublante.
Selon un rapport de la police luxembourgeoise de janvier 2010,
Nicolas Sarkozy,
ministre du budget, et Nicolas Bazire, alors à Matignon, auraient en
effet supervisé et validé la création au Luxembourg d'une
société-écran, baptisée Heine, par laquelle ont justement transité
les commissions occultes du réseau Takieddine sur le contrat des
sous-marins pakistanais.
Or, Ziad Takieddine est soupçonné d'avoir redistribué une partie de cet argent noir pour des financements politiques.
Dans leur enquête qui prend désormais des allures de thriller
invraisemblable, les juges sont donc partis à la recherche des
enregistrements clandestins d'Akim Rouichi. Car selon François
Rouichi, son frère avait fait des copies sur des disquettes
informatiques. «Ces disquettes ont été remises d'une part à nos avocats, du cabinet Lombard, et d'autre part à la secrétaire
de Jean-Luc Mano, alors directeur de l'information à Antenne 2, qui n'en a rien fait», explique-t-il.
Jean-Luc Mano, cité par Le Point, dément catégoriquement.
Quant au cabinet Lombard, il dément aussi, par la voix de Me Olivier
Baratelli, contacté par Mediapart. «Nous
n'avons jamais entendu parlé de ces enregistrements», affirme l'avocat.
Le mystère reste donc entier ; et ce n'est pas le seul. Les
magistrats ont également chargé les policiers de la Dnif d'éclaircir les
circonstances de la mort d'Akim Rouichi.
La famille Rouichi, persuadée qu'Akim a été "suicidé", avait déjà
chargé en 1996 le cabinet de l'avocat Paul Lombard de déposer plainte
pour «assassinat» devant le doyen des
juges du tribunal de grande instance de Bobigny.
« La République a les pieds dans le sang ».
Une instruction, confiée au juge Noël Miniconi, avait finalement
débouché deux ans plus tard sur un non-lieu et conclu au suicide d'Akim
Rouichi, notamment sur la foi d'un rapport de l'Institut
médico-légal de Paris du 29 août 1995 qui se concluait ainsi : «Il résulte que la mort de M. ROUICHI Akim est consécutive à sa pendaison. L'autopsie n'a pas relevé d'éléments
infirmant la thèse du suicide».
Entendue le 21 janvier 1997 par le juge Miniconi, l'une des sœurs
d'Akim Rouichi, Suzanne (aujourd'hui décédée), avait cependant évoqué
les enregistrements clandestins sur le camp Balladur et
s'était étonnée que «que le cartable de son frère soit vide alors qu'il contenait des disquettes», selon le procès-verbal de son audition obtenu par Mediapart. Les révélations de la
jeune femme ne semblent pas avoir beaucoup piqué la curiosité du magistrat, à la lecture du PV de deux pages.
«Il y avait notamment des documents concernant des conversations
téléphoniques entre M. Pasqua et M. Léotard, faisant état de missiles
vendus à l'étranger, que mon frère avait pu
écouter, avait pourtant assuré le témoin devant le juge. Mon frère avait reçu la visite de fonctionnaires du ministère de l'intérieur lui demandant de ne pas en parler (...)
C'est à la suite de ces problèmes d'écoutes que mon frère m'a dit qu'il craignait pour sa vie, qu'il se sentait épié».
«Convaincue qu'on a aidé (son) frère à mourir», Suzanne
Rouichi avait indiqué au juge ne pas savoir si la mort de son frère
était directement liée aux écoutes ou à un différend avec
une famille de leur quartier.
Mais pour Suzanne, comme pour sa mère, Rachida, ou ses frères, une
chose semble certaine : Akim ne s'est pas suicidé. Deux éléments les
interpellent. D'abord, l'une des lettres retrouvées
sur les lieux de la découverte du corps, adressée à une certaine
Sophie (qui serait l'ex-secrétaire de Jean-Luc Mano), ne comporte aucune
faute d'orthographe. «C'est l'écriture de mon
frère (...) Il a dû faire des efforts car il n'y a pas de faute alors qu'il en faisait dix à la ligne».
La lettre, qui fait état de problèmes sentimentaux, se termine ainsi : «Je prends le temps de t'écrire avant de partir. Ils m'ont tué et toi tu m'as achevé». François
Rouichi est formel, la "Sophie" en question n'a jamais été la petite amie de son frère. Une deuxième lettre a également été retrouvée près du corps. Elle commence par les
mots «mes dernières volontés» et comporte la mention «Je regrette le suicide».
Ensuite, Suzanne a dit au juge Miniconi avoir découvert - et photographié - à l'emplacement du cadavre «des traces de sang» et «une grande flaque au sol qui avait
coulé jusqu'aux toilettes et des projections aux murs». La mère du d'Akim Rouichi a même évoqué dans le cabinet du magistrat l'existence de «tâches sur le haut des
portes».
D'après les résultats d'une expertise médicale en date du 24 novembre 1997, signée par le Dr Jean-Pierre Campana (voir ci-dessous), la flaque en question «évoque les liquide
brunâtres qui s'écoulent des corps putréfiés, la décomposition provoquant toujours une liquéfaction de tissus». De fait, le corps d'Akim Rouichi a été découvert plusieurs jours après la
pendaison, vraie ou fausse.
«Une flaque de l'importance de celle que l'on voit sur les
photographies, à supposer qu'elle était sanguine, aurait impliqué une
hémorragie externe très importante et donc une plaie bien
visible», précise encore le rapport, dont les constations finales «sont en faveur d'un suicide».
Contacté, le juge de l'époque, Noël Miniconi, aujourd'hui en poste à Lyon, dit se souvenir «difficilement» de l'affaire, mais garde en mémoire qu'il n'y avait «pas
d'éléments dans le dossier qui permettaient de conclure à autre chose qu'un suicide».
Pour le frère d'Akim Rouichi, il faut reprendre l'enquête du début. «Mon
frère était menacé. Il est allé trop loin dans son "enquête". Ses
sources lui avaient demandé d'arrêter. Il ne
l'a pas fait. Il soupçonnait l'une d'entre elles de jouer un double
jeu. Il avait tellement peur qu'il était allé se planquer chez l'une de
nos sœurs, là où on l'a retrouvé
pendu», raconte-t-il.
Puis il ajoute : «La République a les pieds dans le sang».
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