L’AFRICOM des Etats-Unis et la militarisation du continent africain : Le combat contre l’implantation économique chinoise
Par Nile Bowie,
|
|||
Depuis
l’époque de l’Empire Britannique et du manifeste de Cecil Rhodes, la
chasse aux trésors de ce continent sacrifié a montré le peu de valeur
qu’on attache à la vie humaine. Après des décennies d’indifférence de la
part des consommateurs de matières premières, l’influence croissante de
la propagande des médias sociaux a éveillé l’intérêt du public envers
les problèmes sociaux longtemps ignorés de l’Afrique. Suite à des
actions médiatiques de célébrités en faveur de l’intervention, l’opinion
publique aux Etats-Unis est actuellement favorable à une plus grande
présence militaire sur le continent africain. Après le déploiement d’une
centaine de membres du personnel militaire de l’armée étasunienne en
Ouganda en 2011, une nouvelle loi a été présentée au Congrès appelant à
l’expansion des forces militaires régionales pour combattre l’Armée de
Résistance du Seigneur, un groupe rebelle malingre soi-disant coupable
de recruter des enfants soldats et de perpétrer des crimes contre
l’humanité.
Bien
que l’administration Obama affirme accueillir de bon coeur l’ascension
pacifique de la Chine sur la scène mondiale, le récent tournant
politique en faveur d’un Siècle Américain tourné vers le Pacifique (*)
montre que les Etats-Unis veulent garder la capacité de contrôler
militairement la puissance émergente. En plus du maintien d’une présence
militaire permanente au nord de l’Australie, la construction d’une
immense base militaire sur l’île coréenne de Jeju prouve leur
antagonisme croissant contre Beijing. La base a la capacité d’accueillir
20 navires de guerre étasuniens et sud-coréens, y compris des
sous-marins, des porte-avions, et des destroyers une fois qu’elle sera
terminée en 2014 — en plus de la présence du bouclier anti-missiles Aegis. Les Chinois ont répondu en qualifiant la militarisation croissante de la région de provocation flagrante.
Sur
le front de l’économie, la Chine a été exclue du Traité de Partenariat
trans-Pacifique en élaboration ; c’est un accord commercial qui porte
sur une réglementation du commerce international en Asie concoctée par
les Etats-Unis au bénéfice des firmes étasuniennes. Comme de nouvelles
divisions politiques fondamentales émergent suite aux veto chinois et
russes contre l’intervention en Syrie au Conseil de Sécurité de l’ONU,
l’administration Obama s’est mise à utiliser de nouveaux moyens de
pression économique contre Beijing. Les Etats-Unis et le Japon ont
demandé à l’Organisation du Commerce International de bloquer les
projets d’extraction minière financés par Pékin aux Etats-Unis, une
mesure qui s’ajoute au gel du financement des importants projets miniers
chinois par la Banque Mondiale.
Afin
de contrer l’ascension économique de la Chine, Washington a lancé une
croisade contre les restrictions chinoises d’exportations de minéraux
qui sont des composants essentiels de produits de consommation
électroniques comme les écrans plats, les smart phones, les batteries
d’ordinateurs portables et quantités d’autres produits. Dans un livre
blanc de 2010, la Commission Européenne parle du besoin urgent de
constituer des réserves de tantale, cobalt, niobium, et tungstène entre
autres ; le livre blanc du département de l’Energie des Etats-Unis de
2010, "Stratégie pour les minéraux indispensables aux Etats-Unis",
a aussi reconnu l’importance stratégique de ces composants clés. Comme
par hasard, l’armée étasunienne essaie aujourd’hui d’augmenter sa
présence dans le pays qui est considéré comme le plus riche en matières
premières, la République Démocratique du Congo.
La
RDC a énormément souffert au cours de son histoire du pillage étranger
et de l’occupation coloniale ; elle a le deuxième plus bas revenu de PIB
par personne malgré ses réserves de minéraux bruts estimées à 2400
milliards de dollars. Pendant les guerres du Congo de 1996 à 2003, les
Etats-Unis ont fourni des armes et ont entraîné les milices du Rwanda et
de l’Ouganda qui ont ensuite envahi les provinces orientales du Congo
pour le compte des Etats-Unis. Les différentes multinationales n’ont pas
été les seules à bénéficier du pillage, les régimes de Paul Kagamé au
Rwanda et de Yoweri Museveni en Ouganda en ont tiré un immense profit
ainsi que des guerres congolaises pour les minéraux comme le
cassitérite, wolframite, coltan (dont le niobium et le tantale sont
dérivés) et l’or. La RDC détient plus de 30% des réserves mondiales de
diamants et 80% du coltan mondial dont la plus grande partie est
exportée en Chine pour en faire des poudres et des fils de tantale pour
la fabrication électronique.
La
transformation économique sans précédent de la Chine ne repose pas
seulement sur les marchés des Etats-Unis, de l’Australie et de l’Europe —
mais aussi sur l’Afrique en tant que source d’une veste gamme de
matières premières. Comme l’influence économique et culturelle chinoise
s’étend exponentiellement avec la construction symbolique des nouveaux
quartiers généraux de l’Union Africaine d’une valeur de 200 millions de
dollars financés uniquement par Beijing, les Etats-Unis en perte de
vitesse et ses dirigeants ont exprimé leur mécontentement de voir leur
rôle dans la région diminuer. Au cours d’un déplacement diplomatique en
Afrique en 2011, la secrétaire d’état étasunienne Hillary Clinton,
elle-même, s’est laissée allée à insinuer que la Chine se rendait
coupable d’un "nouveau colonialisme" rampant.
A
un moment où la Chine détient 1500 milliards de dollars de dette
étasunienne, le commentaire de Clinton a la résonance d’une dangereuse
provocation. La Chine, qui possède les réserves de devises les plus
élevées du monde, commence à proposer des prêts à ses homologues du BRIC
en RMB (Renminbi ou Yuan) et l’éventualité d’une résistance des nations
émergentes au Projet du Nouveau Siècle Américain (**) semble se
préciser. Le succès de l’impérialisme anglo-saxon repose sur sa capacité
militaire à soumettre les pays en ligne de mire, et les leaders
africains d’aujourd’hui ne sont pas obligés de faire des affaires avec
la Chine — bien qu’ils aient sûrement intérêt à le faire. La Chine
investit annuellement environ 5,5 milliards de dollars en Afrique dont
seulement 29% d’investissements directs dans le secteur minier en 2009
—et plus de la moitié dans les usines locales, la finance et la
construction, ce qui est aussi très bénéfique aux Africains— en dépit de
ce qu’on rapporte sur la maltraitance au travail.
De
plus la Chine a consenti 10 milliards de prêts à des taux préférentiels à
l’Afrique entre 2009 et 2012 et opéré des investissements significatifs
dans les zones industrielles de pays pauvres en matières premières
comme la Zambie et la Tanzanie. La Chine est le premier partenaire
commercial de l’Afrique ; elle importe 1,5 million de tonneaux d’huile
d’Afrique par jour, ce qui représente environ 30% du total de ses
importations. Pendant les dernières décennies, 750 000 Chinois se sont
installés en Afrique et des centre culturels financés par l’état chinois
ont été créés dans les campagnes pour enseigner le Mandarin et le
Cantonais. Selon les prévisions, la Chine sera la plus grande économie
mondiale en 2016 et le récent projet de création d’une banque des BRIC
pourrait restructurer la scène financière internationale et représenter
une menace pour l’hégémonie du Fond Monétaire International sur les
économies émergentes stratégiques d’Afrique.
L’implication
économique de la Chine en Afrique s’accroît, et son rôle crucial dans
le développement du secteur des minéraux, de l’industrie des
télécommunications et des projets d’infrastructures indispensables,
commence à susciter "beaucoup de nervosité" en Occident selon
David Shinn, l’ancien ambassadeur des Etats-Unis au Burkina Faso et en
Ethiopie. Dans un livre blanc du Département de la Défense de 2011
intitulé "Les développements militaires et sécuritaires en relation avec le peuple de la république chinoise",
les Etats-Unis reconnaissent que la technologie militaire et
informatique chinoise est arrivée à maturité et qu’on peut s’attendre à
ce que Beijing soit hostile à l’élargissement de l’alliance militaire
des Etats-Unis avec Taiwan. Le document indique aussi que "L’ascension de la Chine sur la scène internationale sera un élément déterminant du paysage stratégique du début du 21ième siècle".
De plus, le département de la Défense admet ne pas savoir comment la
croissance de la Chine affectera la scène internationale.
Bien
que la présence militaire des Etats-Unis en Afrique, (sous le prétexte
de combattre le terrorisme et de protéger les Droits Humain) pour
contrecarrer spécifiquement l’autorité économique de la Chine dans la
région, ne soit pas à même de susciter les mêmes inquiétudes que la
présence étasunienne en Corée du Nord ou à Taiwan, elle pourrait
engendrer des tensions. La Chine a la plus grande armée du monde (2 285
000 personnes) et se prépare à défier l’hégémonie militaire sur la
région du "Siècle Américain dans le Pacifique" avec ses capacités
navales et conventionnelles, et en développant entre autres le premier
missile balistique anti-navire. De plus la Chine a commencé à tester des
systèmes de pointe anti-satellite (ASAT) et anti-missile balistique
(ABM) afin d’amener la rivalité étasuno-chinoise sur le terrain de la
Guerre Spatiale.
La
raison invoquée par les Etats-Unis, à savoir désarmer l’Armée de
Résistance du Seigneur (ARS), pour intervenir en République Démocratique
du Congo, dans le Sud du Soudan, en République Centrafricaine et en
Ouganda est une escroquerie. La ARS opère depuis plus de deux décennies
mais demeure extrêmement faible et ne comporte que 400 soldats. Selon le
site LRA Crisis Tracker (http://www.lracrisistracker.com/)
lancé par le groupe des Enfants Invisibles pour documenter la crise sur
le terrain, la ARS n’a pas fait une seule action en Ouganda depuis
2006. La vaste majorité des attaques répertoriées ont actuellement lieu
dans la région de Bangadi au nord-est de la République Démocratique du
Congo, au pied d’une bande de terre qui a trois frontières entre la
République Centrafricaine et le Soudan du Sud.
L’existence
de l’Armée de Résistance du Seigneur doit être sérieusement remise en
cause car les cas d’activité de l’ARS rapportés par le groupe des
Enfants Invisibles soutenu par le Département d’Etat étasunien reposent
sur des témoignages non vérifiés — il s’agit plutôt de présomptions et
de soupçons que de certitudes. Etant donné l’extrême instabilité qui
règne au nord de la RDC après des décennies d’invasion étrangère et
d’innombrables insurrections rebelles, le pays n’a pas les moyens de
mener une enquête qui permettrait de confirmer la présence de l’ARS.
Joseph Kony mérite peut-être d’être traité en scélérat mais on ne dira
jamais assez que la menace que représente l’ARS a été complètement
déformée dans les derniers textes de lois étasuniens en faveur de
l’intervention. L’augmentation de la présence étasunienne dans la région
a pour but de contrecarrer l’expansion de la présence économique de la
Chine dans un des secteurs les plus riches en minéraux et autres
ressources.
L’Armée
de Résistance du Seigneur a été créée en 1987, au nord-ouest de
l’Ouganda, par des membres du groupe ethnique Acholi autrefois exploité
par les colons britanniques pour du travail forcé et marginalisé après
l’indépendance par le groupe national dominant des Bantous. L’Armée de
Résistance du Seigneur avait au départ pour but de renverser le
gouvernement du Président Ougandais actuel, Yoweri Museveni - -à cause
d’une campagne de génocide menée contre le peuple Acholi. Les groupes
Acholi et Langi du nord de l’Ouganda ont été historiquement maltraités
et ostracisés par les administrations successives soutenues par les
Anglo-Américains. En 1971, les agences de renseignement israéliennes et
britanniques ont fomenté un coup d’état contre le président socialiste
Milton Obote, qui a conduit au désastreux régime de Idi Amin.
Avant
de déposer Obote et de se déclarer chef de l’état, Amin était un membre
du régiment colonial britannique chargé d’administrer des camps de
concentration au Kenya pendant la révolte Mau Mau qui s’est déclenchée
en 1952. Amin a massacré le peuple Acholi parce qu’il le soupçonnait
d’être loyal à l’ancien président Obote qui est d’ailleurs revenu au
pouvoir en 1979, après qu’Amin ait essayé d’annexer la province de
Kagera de la Tanzanie voisine. Museveni a fondé le Front du Salut
National qui a contribué à renverser Obote avec le soutien étasunien en
1986, en dépit du fait que son armée utilisait des enfants soldats.
Museveni a d’abord pris le pouvoir puis il a été accusé de génocide
parce qu’il avait enfermé le peuple Acholi dans des camps pour
s’approprier la terre fertile du nord de l’Ouganda.
Le
régime de Museveni a déplacé environ 1,5 million d’Acholis et tué au
moins 300 000 personnes en prenant le pouvoir en 1986 selon la Croix
Rouge. En plus d’être accusé d’utiliser le viol comme arme de guerre et
d’avoir laissé mourir des milliers de personnes dans des camps
d’internements insalubres, Museveni a été accusé de terrorisme d’état à
l’encontre du peuple Acholi dans un rapport d’Amnisty International de
1992. Au cours d’une interview en 2006, Joseph Kony a nié avoir mutilé
et torturé qui que ce soit et a, au contraire, accusé les forces de
Museveni d’avoir commis de tels actes pour s’en servir comme propagande
contre l’Armée de la Résistance du Seigneur.
Dans un rapport détaillé sur les atrocités commises par Museveni, l’écrivain ougandais, Herrn Edward Mulindwa écrit : "En
22 années de guerre, l’armée de Museveni a tué, estropié et mutilé des
milliers de civils tout en accusant les rebelles de ces crimes. Dans le
nord de l’Ouganda, au lieu de défendre et de protéger les civils contre
les rebelles, les soldats de Museveni estropiaient, mutilaient et
commettaient les pires atrocités en se faisant passer pour des rebelles,
puis revenaient et prétendaient que les gens leur devaient leur salut."
Malgré tant de preuves de brutalité, Museveni est un fidèle allié des
Etats-Unis depuis l’administration Reagan et il a reçu 45 millions de
dollars en aide militaire de la part de l’administration Obama pour la
participation de l’Ouganda dans la guerre contre la milice somalienne al
Shabaab. Depuis le terrible échec de l’intervention étasunienne de 1993
en Somalie, les Etats-Unis y défendent leurs intérêts par
l’intermédiaire des armées du Rwanda, de l’Ouganda et de l’Ethiopie.
Depuis
l’époque coloniale, l’Occident à l’habitude d’exploiter les différences
ethniques d’Afrique pour faire avancer ses intérêts. Au Rwanda,
l’administration coloniale belge a exacerbé les tensions entre les
Hutus, réduits à une sorte de servage, et les Tutsis qui étaient
considérés comme le prolongement du pouvoir belge. Dès le début de la
guerre civile au Rwanda en 1990, les Etats-Unis ont essayé de renverser
Juvénal Habyarimana, le président Hutu en place depuis 20 ans, pour
mettre en place un gouvernement tutsi à leurs ordres au Rwanda, une
région historiquement sous l’influence de la France et de la Belgique. A
cette époque antérieure à la guerre civile rwandaise, le Front
Patriotique des Tutsis du Rwanda (FPR) dirigé par l’actuel président du
Rwanda, Paul Kagame, faisait partie des Forces de Défense du Peuple Uni
de Museveni (FDPU).
L’armée
ougandaise a envahi le Rwanda en 1990 sous prétexte de libérer les
Tutsis malgré le fait que Museveni ait refusé d’accorder la nationalité
aux réfugiés tutsis-rwandais qui vivaient en Ouganda à ce moment-là, une
décision qui a contribué au déclenchement du génocide rwandais de 1994.
Kagame lui-même avait été entraîné au U.S. Army Command and Staff College
(CGSC) de Leavenworth au Kansas avant de revenir dans la région pour
diriger l’invasion de 1990 du Rwanda comme commandant du FPR (l’armée
d’opposition au gouvernement rwandais de Habyarimana ndt) qui était
approvisionné à partir de bases militaires des FDPU (l’armée ougandaise ndt)
financées par les Etats-Unis en Ouganda. L’invasion du Rwanda était
soutenue sans réserve par les Etats-Unis et l’Angleterre, et les Forces
Spéciales étasuniennes assuraient l’entraînement des soldats avec le
concours de la firme de mercenaires étasunienne, Military Professional
Resources Incorporated (MPRI).
Une
étude publiée en 2000 par le Professeur canadien Michel Chossudovsky et
l’économiste belge, Pierre Galand, montre que les institutions
financières occidentales comme le FMI et la Banque Mondiale ont procuré
des fonds aux deux camps de la guerre civile rwandaise grâce à un
système de financement des dépenses militaires par la dette extérieure
des régimes de Habyarimana et de Museveni. En Ouganda, la Banque
Mondiale a imposé, dans l’intérêt de Washington, des mesures d’austérité
seulement sur les dépenses civiles tout en veillant à ce que les
revenus de l’état soient consacrés à l’armée ougandaise (FDPU). Au
Rwanda, les nombreux prêts de développement consentis par des filiales
de la Banque Mondiale comme l’Association de Développement
International, le Fond de Développement Africain et le Fond de
Développement Européen ont été détournés au profit de la milice Hutu
extrémiste Interhamwe, principal acteur du génocide rwandais.
Plus
troublant encore peut-être, la Banque Mondiale a supervisé d’énormes
achats d’armes qui ont été enregistrés comme des dépenses
gouvernementales bona fide en violation flagrante des accords signés
entre le gouvernement rwandais et les institutions donatrices. Sous le
contrôle de la Banque Mondiale le régime de Habyarimana a importé
environ un million de machettes par l’intermédiaire de diverses
organisations reliées à Interhamwe sous prétexte d’importer des
marchandises civiles. Pour assurer leur règlement, un fond de placement
multilatéral de 55,2 millions de dollars a été assigné aux efforts de la
reconstruction d’après guerre mais l’argent, au lieu d’être envoyé au
Rwanda, a été remis à la Banque Mondiale pour rembourser les dettes
créées par le financement des massacres.
De
plus, quand Paul Kagame est arrivé au pouvoir, Washington a fait
pression sur lui pour qu’il reconnaisse comme légitime les dettes
contractées par l’ancien régime génocidaire de Habyarimana. L’échange
d’anciens prêts contre de nouvelles dettes (sous l’égide de la
reconstruction d’après guerre) a été conditionné à l’acceptation d’une
nouvelle vague de réformes dictées par le couple FMI/Banque Mondiale, et
des fonds extérieurs ont été détournés de la même manière au profit des
dépenses militaires qui ont précédé l’invasion du Congo (alors appelé
Zaïre) dirigée par Kagame. Au moment où les législateurs actuels de
Washington tentent d’intensifier la présence militaire étasunienne dans
la RDC sous des prétextes humanitaires, le comportement ignoble -et
amplement documenté- des services secrets et des paramilitaires
occidentaux au Congo depuis son indépendance, prouve s’il en était
besoin que le but de l’intervention occidentale est l’exploitation pure
et simple et rien d’autre.
En
1961, Patrice Lumumba, le premier Premier Ministre du Congo à être élu
légalement, a été assassiné avec l’appui des services secrets belges et
de la CIA, pavant le chemin au règne de 32 ans de Mobutu Sese Seko. Pour
essayer de purger le Congo de l’influence culturelle coloniale, Mobutu a
renommé le pays Zaïre et a instauré un régime autoritaire étroitement
allié à la France, la Belgique et les Etats-Unis. Mobutu était considéré
comme un allié fidèle des Etats-Unis pendant la Guerre Froide à cause
de son positionnement anti-communiste ; le régime a reçu des milliards
d’aide internationale, notamment étasunienne. Sous son administration
les infrastructures se sont détériorées et la kleptocratie zaïroise a
détourné les aides et les prêts internationaux ; Mobutu lui-même aurait 4
milliards de dollars sur un compte suisse.
Les
relations entre les Etats-Unis et le Zaïre se sont réchauffées à la fin
de la Guerre Froide quand ils n’ont plus eu besoin de Mobutu comme
allié ; Washington a plus tard utilisé le Rwanda et l’Ouganda pour
envahir le Congo, renverser Mobutu et installer à sa place un régime
complaisant. Suite au conflit du Rwanda, 1,2 millions de civils hutus
(dont beaucoup avaient pris part au génocide) sont passés dans la
province Kivu de l’est du Zaïre pour échapper aux poursuites de l’Armée
Patriotique du Rwanda (APR) tutsi de Paul Kagame. Les forces spéciales
étasuniennes ont entraîné les troupes rwandaises et ougandaises à Fort
Bragg aux Etats-Unis et ont soutenu les rebelles congolais du futur
président Laurent Kabila. Sous prétexte de sauvegarder la sécurité
nationale au Rwanda contre la menace des milices hutus, des troupes du
Rwanda, d’Ouganda et du Burundi ont envahi le Congo et se sont
déchaînées dans les camps de réfugiés hutus, massacrant des milliers de
civils hutus rwandais et congolais dont beaucoup de femmes et d’enfants.
Les
rapports de brutalité et de meurtres de masse au Congo ont rarement été
pris en compte par l’Occident parce que la communauté internationale
appréciait Kagame et avait pitié des victimes tutsis rwandaises du
génocide. Halliburton et Bechtel (des firmes militaires privées qui ont
tiré un énorme profit de la guerre d’Irak) ont participé aux opérations
d’entraînement et de reconnaissance destinées à renverser Mobutu et
mettre Kabila à sa place. Après avoir déposé Mobutu et pris le contrôle
de Kinshasa, Laurent Kabila a éradiqué toute opposition et est devenu un
leader tout aussi despotique ; il s’est détourné de ses alliés rwandais
et a appelé les civils congolais à purger par la violence la nation des
Rwandais, en conséquence de quoi les forces rwandaises se sont
regroupées à Goma pour tenter de conquérir les terres riches en
ressources du Congo oriental.
Avant
de devenir président en 1997, Kabila a envoyé des représentants à
Toronto pour discuter de projets miniers avec American Mineral Fields
(AMF) et la multinationale canadienne Barrick Gold Corporation ; il a
octroyé à AMF, qui avait des liens directs avec le président étasunien
Bill Clinton, un permis d’exploitation exclusif pour le zinc, le cobalt
et le cuivre de la région. Les Guerres Congolaises menées par le Rwanda
et l’Ouganda ont fait 6 millions de victimes, le plus grand génocide
depuis l’holocauste juif. L’occident a soigneusement entretenu le
conflit par de l’aide financière et militaire pour s’approprier les
énormes ressources minières de l’est et du sud du Congo ; l’industrie de
la Défense étasunienne a besoin d’alliages de métaux de haute qualité
de cette région pour la construction de moteurs de jets de haute
technicité.
En
1980 des documents de Pentagone signalaient le manque de cobalt, titane,
chrome, tantale, béryllium et nickel ; c’est principalement pour s’en
procurer que les Etats-Unis ont participé au conflit congolais. La seule
loi que le président barak Obama a initiée quand il était sénateur est
S.B. 2125, l’Acte sur la libération, la sécurité et la promotion
démocratique de la République Démocratique du Congo, en 2006. Dans cet
acte Obama dit que le Congo représente un intérêt à long terme pour les
Etats-Unis et il fait référence à la menace des milices hutus comme le
meilleur prétexte à l’ingérence continuelle dans la région ; La section
201(6) de l’acte appelle spécifiquement à la protection des ressources
naturelles de la RDC orientale.
Le
rapport "Cobalt : les options politiques pour la stratégie minérale" du
Bureau du Budget du Congrès publié en 1982 indique que les alliages à
base de cobalt sont absolument indispensables aux industries de
l’armement et aérospatiales et que 64% des réserves de cobalt se
trouvent dans la Copperbelt (ceinture de cuivre) katangaise, qui
va du sud-est du Congo au Nord de la Zambie. Pour cette raison, l’avenir
du complexe militaro-industriel étasunien dépend largement du contrôle
des ressources stratégiques de la RDC orientale. En 2001, Laurent Kabila
a été assassiné par un membre de la sécurité, et son fils Joseph Kabila
a usurpé la présidence. La légitimité du jeune Kabila repose uniquement
sur le soutien de chefs d’état étrangers et de la communauté d’affaires
internationale en échange de sa complaisance à les laisser piller son
pays.
Pendant
les élections générales du Congo de novembre 2011, la communauté
internationale et l’ONU n’ont évidemment pas fait état des irrégularités
massives observées par le comité électoral. La Mission de l’ONU pour la
stabilisation et l’organisation de la République Démocratique du Congo
(MONUSCO) a été si tellement soupçonnée de corruption que le leader de
l’opposition Étienne Tshisikedi lui a demandé d’arrêter de couvrir le
système international de pillage et de nommer quelqu’un "de moins corrompu et de plus crédible"
à la tête de la mission. MONUSCO a été salie par le fait que beaucoup
de soldats de l’ONU faisaient la contrebande de minéraux comme la
cassitérite et vendaient des armes aux groupes de miliciens.
Sous
le jeune Joseph Kabila, les activités commerciales entre la Chine et la
RDC ont augmenté de manière significative, non seulement dans le
secteur minier mais aussi énormément dans le domaine des
télécommunications. En 2000, la firme chinoise ZTE a finalisé un contrat
de 12,6 millions de dollars avec le gouvernement congolais pour mettre
en place la première entreprise de télécommunications sino-congolaise ;
de plus, la RDC a exporté du cobalt pour une valeur de 1,4 milliards de
dollars en 2007-2008. La plus grande partie des matières premières,
comme le cobalt, le cuivre et différents bois durs, sont exportées en
Chine pour y être traitées et 90% des usines de traitement du sud-est de
la province Katanga appartiennent à des Chinois. En 2008, un consortium
d’entreprises chinoises a obtenu des permis d’extraction minière dans
la province Katanga en échange d’un investissement de 6 milliards de
dollars pour la construction de deux hôpitaux, quatre universités et un
projet d’énergie hydraulique.
Dans
le cadre du contrat, 3 millions supplémentaires étaient alloués au
développement de l’extraction du cobalt et du cuivre dans la province
Katanga. En 2009, le FMI a exigé la renégociation du contrat sous
prétexte que l’accord entre la Chine et la RDC violait la programme
d’aide pour la dette étrangère des pays qualifiés de PPTE (pays pauvres
très endettés). La vaste majorité des 11 milliards de dollars de la
dette étrangère que la RDC doit au Club de Paris a été détournée par le
précédent régime de Mobuto Sesi Seko. Le FMI a réussi à bloquer l’accord
en mai 2009 et a demandé que soit réalisée une meilleure étude des
concessions de minerais de la RDC.
les
Etats-Unis sont en train de mobiliser l’opinion publique en faveur
d’une plus grande présence étasunienne en Afrique, sous prétexte de
capturer Joseph Kony, de mettre fin au terrorisme islamique et de régler
des problèmes humanitaires anciens. Les campagnes émotionnelles des
médias sociaux réussissent à convaincre les Américains qu’il faut
empêcher ces atrocités mais peu d’entre eux se rendent compte du vrai
rôle que jouent les Etats-Unis et les institutions financières
occidentales dans le déclenchement des tragédies qu’ils prétendent
maintenant solutionner. Beaucoup de personnes sincèrement inquiètes
s’engagent naïvement dans des organisations qui militent pour la guerre,
en oubliant que l’armée qui sera installée au coeur de l’Afrique
utilisera des drones Predator et tirera des missiles qui, on le sait,
font énormément de victimes civiles.
La
consolidation de la présence étasunienne dans la région fait partie d’un
programme plus large qui a pour but d’étendre le pouvoir d’AFRICOM, le
commandement militaires des Etats-Unis pour l’Afrique, à travers un
archipel de bases militaires dans la région. En 2007, le conseiller du
Département d’Etat, J. Peter Pham, a défini ainsi l’objectif stratégique
d’AFRICOM : "Protéger l’accès aux hydrocarbures et autres ressources
stratégiques que l’Afrique possède en abondance, ce qui signifie d’une
part protéger ces richesses naturelles fragiles et d’autre part
s’assurer qu’aucune autre nation telle que la Chine, l’Inde, le Japon ou
la Russie n’obtienne de monopole ou de traitement de faveur." De
plus, pendant une conférence d’AFRICOM à Fort McNair le 18 février 2008,
le vice-amiral Robert T. Moeller a ouvertement déclaré que le principe
directeur d’AFRICOM était d’assurer "la libre circulation des ressources naturelles africaines sur le marché mondial"
avant d’ajouter que la montée en puissance de la Chine représentait une
menace majeure pour les intérêts étasuniens dans la région.
L’intensification
de la présence étasunienne en Afrique centrale, n’est pas seulement
destinée à s’assurer des monopoles sur les réserves de pétrole
nouvellement découvertes en Ouganda ; la légitimité de Museveni repose
sur le soutien de l’étranger et son aide militaire massive — les forces
étasuniennes au sol n’ont pas pour mission d’obtenir de juteux contrats
de pétrole de Kampala. La pénétration dans le coeur de l’Afrique a pour
but de déstabiliser la République Démocratique du Congo et de mettre la
main sur des réserves de cobalt, tantale, or et diamants. Plus
précisément, les Etats-Unis se proposent d’utiliser la politique de la
terre brûlée en créant une situation de guerre au Congo qui chassera
tous les investisseurs chinois. A l’image du conflit libyen, où les
Chinois, quand ils sont revenus après la chute de Kadhafi, ont trouvé un
gouvernement fantoche qui ne voulait faire des affaires qu’avec les
pays occidentaux qui les avaient portés au pouvoir.
D’une
part les Etats-Unis usent de leur influence pour favoriser l’émergence
d’états séparatistes comme le Soudan du Sud et d’autre part, les
activités de al Shabaab en Somalie, de Boko Haram au Niger et de plus
grands groupes de AQMI en Afrique du nord offrent aux Etats-Unis un bon
prétexte pour s’ingérer davantage dans les affaires de la région. La
mission dévolue au premier président noir des Etats-Unis est d’exporter
ostensiblement la guerre théâtrale contre le terrorisme sur le continent
africain pour exploiter les tensions tribales, ethniques et religieuses
existantes. Comme les théoriciens de la politique étasunienne tels que
Henry Kissinger le proclament volontiers, "La dépopulation du tiers-monde devrait être la priorité essentielle de la politique étrangère étasunienne" ;
les vastes espaces de désert et de jungle du nord et du centre de
l’Afrique serviront sans nul doute de scène de théâtre aux guerres pour
les ressources naturelles de la prochaine décennie.
Nile Bowie
Article original en anglais :
Traduction : Dominique Muselet pour Le Grand Soir Note : Nile Bowie est journaliste, photographe et écrivain indépendant. Il est basé à Kuala Lumpuren Malaysie. http://nilebowie.blogspot.fr/ |
0 Comments