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Les facteurs géopolitiques de la guerre impérialiste contre la Syrie : L’Ancien ordre du Moyen-Orient
Deuxième partie
Par Fida Dakroub,
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Les facteurs géopolitiques de la guerre impérialiste contre la Syrie
Première partie : La défaite d’Israël à la deuxième Guerre du Liban (2006) Généralités
Beaucoup
de malheur a surgi de ce monde par la confusion et les choses tues[1].
On publie ouvrage sur ouvrage, article sur article, la plupart même cinq
ou six fois pour qu’ils ne se perdent pas au cours du long chemin de la
prétendue « révolution » syrienne, dont les héros auraient assiégé,
depuis un an et quelque, le « tyran de Damas » dans son Grand sérail de
despotisme et de tyrannie. Analyses préalables, analyses incidentes,
analyses, intérieures, analyses subsidiaires et autres essentielles
sont, à chaque instant, soulevées en très grande prolifération.
À
propos de chacune de ces grandes et petites analyses, les animateurs de
télévision engagent régulièrement, sur les grands écrans, d’entretiens
avec des professeurs en sciences politiques, des experts spécialistes
des affaires syriennes, des présidents de centres de recherche sur le
Proche-Orient, des charlatans orientalistes devenus experts en
géostratégie proche-orientale après avoir lu « Tintin et les cigares du
Pharaon ». Tout ce bruit, ce brouhaha, ce qu’en-dira-t-on, ce
bâillement, ce ronflement, à la radio, à la télé, sur internet, dans les
salles à manger, tous ceux-ci constituent des « grands débats » sur le «
Printemps arabe » et la prétendue « révolution » syrienne, précisément.
Ce sont surtout ces « docteurs » en shamanisme proche-oriental que les
médias de l’ordre ont coutume de consulter chaque fois que l’on veut
reproduire l’imagerie typique du « despotisme » arabe face à la «
démocratie démocratique » de l’Occident. Cependant
cette fois-ci, nous voyons ces mêmes « docteurs », qu’on a tant
consultés, se précipitent devant les caméras des médias de l’ordre,
diffuseurs de la propagande impérialiste, non pour accuser les Arabes
d’un « penchant inné au despotisme », mais au contraire, pour les
glorifier et les féliciter de leur « printemps », considéré par les
fanfarons de l’impérialisme comme l’« incarnation suprême » de
l’achèvement total de la démocratie bourgeoise occidentale. Plaudite,
acta est fabula ![2]
Des deux axes belligérants au Moyen-Orient
Cependant,
derrière cette idylle foudroyante entre médias de l’ordre et «
révolutions arabes », se cachent, avec toute l’hypocrisie du discours «
philanthrope » et « libérateur », les intérêts stratégiques de
l’impérialisme mondial au Moyen-Orient.
Suite à
la défaite d’Israël à la deuxième Guerre du Liban[3], l’Empire s’est
réveillé à la réalité amère que les Iraniens sont déjà aux portes
d’Israël et que l’arche chiite s’est bien établi de l’Iran à l’Est
jusqu’au Liban à l’Ouest, en passant par l’Irak et la Syrie. Cet
axe opposant à l’Empire au Moyen-Orient comprend, en effet, trois pays,
l’Iran, la Syrie et le Liban (ajoutons-y l’Irak du gouvernement Maliki
après le départ des troupes étatsuniennes). Le secrétaire général de
l’organisation du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’a bien décrit lorsqu’il
a dit que cet axe comprend trois «organes » : l’épaule (l’Iran), le
bras (la Syrie) et le coup de poing (le Liban)[4].
Face à
cet axe, se trouve l’axe pro-Empire composé d’Israël, fer de lance de
l’impérialisme mondial au Moyen-Orient, les émirats et sultanats de la
péninsule Arabique, l’Égypte au Sud (avant le détrônement de son
pharaon, Mubarak), et la Turquie au Nord. En effet, l’axe de l’Empire
s’est formé en 1978 avec l’établissement de l’ordre de Camp David[5] qui
avait remplacé l’ordre de l’après deuxième Guerre mondiale.
En ce
sens, nous nous sentons vraiment « embarrassée » de croire au discours «
philanthrope » des fanfarons de la tragédie du « printemps arabe », et
d’interpréter, par conséquent, les évènements qui bouleversent le monde
arabe, dès lors, en tant que faits isolés des plans expansionnistes de
l’Empire dans la région.
Nos
observations du paysage syrien aboutirent à ce résultat que
l’insurrection armée en Syrie ainsi que l’émergence subite des groupes
islamistes salafistes sur la scène des événements ne peuvent être
comprises ni en suivant le discours des médias de l’ordre occidentaux et
arabes subordonnés, ni en retenant par cœur le discours poétique et
misérable du Conseil national syrien [6], mais bien plutôt en
déterminant 1) les composants ethnico-religieux du paysage interne de la
Syrie ; 2) les conditions historiques de l’émergence de nouveaux États
au Moyen-Orient, au lendemain du démembrement de l’Empire ottoman en
1918 [7] ; 3) l’échec de l’Empire étatsunien suite à la guerre en
Afghanistan et en Irak ; 4) la défaite d’Israël à la deuxième Guerre du
Liban[8].
Ceci
dit, toute analyse portant sur les violences en Syrie – une appellation
que nous trouvons plus réaliste que celle fantastique de « révolution »
syrienne – doit prendre, comme base d’analyse, ces points mentionnés
ci-dessus.
En
plus, ce que nous cherchons à établir, c’est précisément la connaissance
d’un événement historique significatif dans l’histoire du
Proche-Orient, et son effet sur les événements actuels en Syrie ; car
même si on possède la connaissance la plus complète possible de la
totalité des événements du « printemps arabe », nous resterions
désemparés devant les questions suivantes :
premièrement,
comment expliquer le fait qu'à un moment donné de la guerre contre le
terrorisme déclarée en 2011, l’antagonisme Occident / Islam réussit à
former un « front uni » et prétend « défendre » la démocratie et les
droits de l’homme dans le monde arabe ; un « front » qui rassemble,
derrière la même barricade et sous le même étendard de « liberté,
démocratie, justice », l’impérialisme étatsunien, le néo-colonialisme
européen, l'islamisme califal turc et le despotisme obscurantiste
arabique ?
deuxièmement,
comment expliquer le fait que les émirats et sultanats arabes du Golfe
se considèrent menacés par l’Iran, un pays musulman, et non par l’État
hébreu implanté au cœur du monde arabe par l’impérialisme britannique au
lendemain de la Grande guerre ?
troisièmement,
comment expliquer qu’Israël, le pays qui se considère et que l’on
considère comme la « seule démocratie » au Moyen-Orient, devient à un
moment donné la garantie stratégique de la continuité des monarchies
despotiques obscurantistes de la péninsule Arabique ?
quatrièmement,
comment expliquer le fait que malgré la propagande impérialiste et la
désinformation médiatique contre la Syrie, nous constatons que la
majorité des Syriens soutiennent toujours le président Bachar al-Assad ;
et que la majorité des Libanais et des Irakiens, pour ne pas mentionner
les Iraniens, le soutiennent aussi ?
cinquièmement,
comment expliquer le fait que les minorités chrétiennes de l’Orient,
qui s’identifient normalement avec « l’Occident chrétien » se sentent
menacées par la « démocratie démocratique » de ce même Occident, et
préfèrent la « tyrannie» du président syrien Assad sur la « liberté »
promise par l’impérialisme mondiale ?
Il est vrai que le nombre et la nature des causes déterminant un événement singulier quelconque sont toujours
infinis, et qu’il n’y a dans les choses même aucune espèce de critères
qui permettrait de sélectionner une fraction d’entre elles comme devant
seule entrer en ligne de compte ; cependant, nous ne pouvons pas nous
laisser pris « par la confusion et les choses tues » de la propagande
impérialiste, pour la simple raison que les causes sont infinies ; au
contraire, notre travail analytique nécessite la répartition des causes
infinies en groupes de causes finis que nous limitons en deux points
précis : 1) les composants ethnico-religieux du paysage interne de la
Syrie naturelle, ou l’hétérogénéité culturelle syrienne ; et 2) la
concrétisation politique de cette hétérogénéité dans l’émergence de
nouveaux États, au lendemain du démembrement de l’Empire ottoman en
1918, selon des conditions historiques précises.
De l’ancien ordre du Moyen-Orient
Il est
clair d’emblée que le monde arabe passe par une période de
reconstruction majeure de sa carte géopolitique, de ses frontières
extérieures et intérieures, des noms de ses pays et de leur nature. Il
s’agit, en effet, d’une deuxième reconstruction majeure au cours d’un
siècle ; étant donné que la première reconstruction a eu lieu au
lendemain de la Grande guerre et du démembrement de l’Empire ottoman en
1918 par l’impérialisme franco-britannique. Entre la première
reconstruction (1918) et la deuxième (2011), deux révisions ont été
faites :
premièrement,
la révision de l’après deuxième Guerre mondiale qui a été appliquée
dans les années cinquante et soixante. Cette révision a entrainé à deux
grands événements : 1) la chute des monarchies instaurées par
l’impérialisme français et britannique au lendemain de la Grande guerre,
comme la monarchie d’Idris I de Libye (1951 – 1969), le royaume
d’Égypte[9] (1922 – 1953), le royaume d’Irak[10] (1921 – 1958), la
monarchie du Yémen[11] (1918 – 1962) ; et 2) l’indépendance des colonies
françaises et britanniques en Afrique du Nord et au Proche-Orient.
deuxièmement, la révision de
l’ordre du Camp David qui a été établie en 1978 suite à la guerre «
carnavalesque » d’octobre 1974. Cette deuxième révision a mené à
l’émergence des dictatures et des monarchies sanglantes, imposées et
soutenues par l’impérialisme mondial[12]. Pendant trois décennies, des
monstres comme Moubarak, Saddam, les émirs et sultans de la péninsule
Arabique, se réjouissaient de la bénédiction de l’Empire étatsunien et
de ses alliés européens. D’un côté, ce statu quo a imposé Israël au
centre des relations régionales ; de l’autre côté, il a permis aux
despotes et aux monstres arabes dociles à l’Empire étatsunien à
tyranniser leurs peuples et à les terroriser par la torture,
l’oppression et l’extermination. Citons, ici, l’exemple de Saddam
Hussein qui s’est précipité dans une guerre sauvage contre le peuple
iranien (1979 – 1988) causant 1. 5 millions de pertes humaines entre
tués et handicapés[13] ; l’exemple de Moubarak, le pharaon d’Égypte et
fils de Ramsès II, qui s’était élevé sur l’Égypte et a affamé son peuple
pendant trente ans comme aucun autre pharaon ne l’a jamais fait.
De l’accord Sykes-Picot (1916)
Ainsi
qu’en témoigne la carte géopolitique du Proche-Orient, les frontières
des États actuels, furent dessinées en pleine Grande guerre (1914 –
1918), précisément selon un partage colonial, issu de plusieurs accords
et traités imposés par la France et le Royaume-Uni, les deux grandes
puissances colonialistes de l’époque; citons-en l’Accord Sykes-Picot
(1916), la Déclaration Balfour (1917), la Conférence de la Paix (1919),
le Traité de Sèvres (1920) et le Traité de Lausanne (1923). Il en
résulta que les Français et les Britanniques redessinèrent les
frontières intérieures et extérieures des provinces arabes de l’Empire
ottoman, selon leurs propres intérêts coloniaux, et non pas, évidemment,
selon les intérêts des peuples conquis.
Le
premier accord entre puissances colonialistes, portant sur l’avenir des
provinces arabes de l’Empire ottoman, fut celui de Sykes-Picot, en 1916.
Les Grandes puissances étaient en pleine guerre. Le coût de cette
guerre attint déjà des millions
de cadavres et de mutilés, laissés dans les tranchées d’une guerre faite
pour déterminer à quel groupe de brigands financiers reviendrait la
plus grande part du butin des colonies. Cependant, loin du bombardement
lourd de l’artillerie, à Downing Street à Londres, les deux puissances
coloniales, la France et le Royaume-Uni se préparaient pour charcuter et
dépecer la prise de « l’Homme malade de l’Europe ». Pour ces deux
grandes puissances, la chute de l’Empire ottoman était une question de
temps.
Faisant
suite à un travail préparatoire épistolaire de plusieurs mois entre
Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et Sir Edward Grey,
secrétaire d’État au Foreign Office, l’accord Sykes-Picot fut conclu
entre la France et le Royaume-Uni, entre Sir Mark Sykes et François
Georges-Picot, le 16 mai 1916. Cet
accord prévoyait à terme un dépeçage du Levant et de la Mésopotamie ;
plus précisément, l’espace compris entre la mer Noire, la mer
Méditerranée, la mer Rouge, l’océan Indien et la mer Caspienne, alors
partie intégrante de l’Empire ottoman.
En
plus, la Russie tsariste et l’Italie participèrent aux délibérations et
donnèrent leur accord aux termes de l’accord, qui demeurait secret
jusqu’en janvier 1918, lorsque le nouveau gouvernement bolchévique en
Russie le porta à la connaissance du gouvernement de la Sublime Porte,
toujours possesseur des territoires concernés.
Selon l’accord Sykes-Picot, le Levant et la Mésopotamie, c'est-à-dire la Syrie naturelle[14], seront découpés en cinq zones :
1. Zone française, d’administration directe formée du Liban actuel et de la Cilicie ;
2. Zone arabe A, d’influence française comportant le nord de la Syrie actuelle et la province de Mossoul ;
3. Zone britannique, d’administration directe formée du Kuweit actuel et de la Mésopotamie ;
4. Zone
arabe B, d’influence britannique, comprenant le sud de la Syrie
actuelle, la Jordanie actuelle et la future Palestine mandataire ;
5. Zone
d’administration internationale comprenant Saint-Jean-D’acre, Haïfa et
Jérusalem. Le Royaume-Uni obtiendra le contrôle des ports de Haïfa et
d’Acre[15].
De l'opposition étatsunienne à l’accord Sykes-Picot
Sur un
autre plan, les États-Unis, qui se présentaient encore au début du XXe
siècle comme force « libératrice », ne participèrent pas aux délégations
de Sykes-Picot ; et le président Woodrow Wilson se tentait de mettre en
avant l’argument de l’auto-détermination des peuples. Par conséquent,
il exposa, le 8 janvier 1918 devant le Congrès américain, les quatorze
points qui, selon lui, devraient aider au règlement de l’après guerre.
Dans la logique de ces quatorze points, l’idée d’envoyer une commission
d’enquête dans la province syrienne fut avancée.
Le douzième point donne la position de Wilson sur le partage de l’Empire ottoman :
Aux
régions turques de l’Empire ottoman actuel, devraient être assurées la
souveraineté et la sécurité ; mais aux autres nations qui sont
maintenant sous la domination turque on devrait garantir une sécurité
absolue de vie et la pleine possibilité de se développer d'une façon
autonome ; quant aux Dardanelles, elles devraient rester ouvertes en
permanence, afin de permettre le libre passage aux vaisseaux et au
commerce de toutes les nations, sous garantie internationale[16].
En
effet, les principes de Wilson ne rejetèrent pas totalement,
l’occupation française et britannique des provinces arabes de l’Empire
ottoman ; au contraire, ils la légitimèrent. Les principes de Wilson
reconnurent seulement la souveraineté des régions turques de l’Empire ;
quant aux régions arabes, ces principes garantirent seulement, sans
assurer, « une sécurité absolue de vie et la pleine possibilité de se
développer d'une façon autonome ». Cela veut dire, sous entendu, que les
points de Wilson considéraient les Syriens incapables de décider de
leur propre sort ni de leur propre futur ; et par conséquent, ils
devaient rester sous une sorte de protectorat colonial avant qu’ils
pussent avoir leur indépendance.
Du
point de vue de son contenu et non de celui de sa forme, le discours «
libératrice » de Wilson ne diffère pas beaucoup de celui déclaré par les
puissances coloniales à la Conférence de Berlin en 1884 justifiant le
dépeçage de l’Afrique[17]. Si la
Conférence de Berlin (1884) adopta un discours « civilisateur » pour
justifier le pillage de l’Afrique[18], la Conférence de la Paix (1919)
préféra un discours « libérateur » pour régler le saccage du
Proche-Orient. Nous rappelons aussi, en passant, du discours «
démocratiste » de l’Empire étatsunien à la veille de l’invasion de
l’Irak en 2003.
Au
contraire de ce que la Conférence de la Paix propageait, les Syriens[19]
étaient bien déterminés d’obtenir leur indépendance et de se gouverner
indépendamment des puissances coloniales. Cela se justifie par la
présence, depuis le XIXe siècle, de grands partis politiques, de
mouvements, d’organisations, de
clubs, de journaux, d’imprimeries, de publications, dont l’objectif
principal visait à réaliser l’indépendance des provinces arabes de
l’Empire ottoman. En effet, il
n’est pas vrai que les Turcs, vaincus à la Grande guerre, laissèrent des
broussailles et de terrains boisés, occupés par des populaces
primitives, comme il plait au discours colonialiste d’en propager ; au
contraire, les villes arabes de l’Empire ottoman eurent achevé, à cette
époque, un niveau bien avancé dans le domaine de l’organisation urbaine.
Certainement,
le positionnement des États-Unis face aux projets de découpage du
Levant, à la veille de la Conférence de la Paix (1919), ne s’explique
pas par la nature alors « libératrice » des États-Unis, ni par la «
bonne volonté » et le « libre arbitre » du président américain Woodrow
Wilson, « paix à ses cendres », mais plutôt par l’analyse objective de
l’« abstinence » étatsunienne, vue dans le contexte du rapport de force
alors établi entre deux puissances coloniales chevronnées, ayant été sur
le point de perdre la guerre en Europe, la France et le Royaume-Uni,
d’un côté, et une puissance impérialiste ascendante, précipitée à leur
secours en 1917, les États-Unis, de l’autre côté. Autrement
dit, les États-Unis voulaient, à cette époque, ralentir les ambitions
coloniales de la France et du Royaume-Uni, qui se préparaient pour une
colonisation complète du Proche-Orient, selon le modèle alors appliqué
en Afrique. En plus, les intérêts étatsuniens exigeaient que les
provinces arabes de l’Empire ottoman ne fussent pas sous occupation
directe menant à une colonisation complète, telle qu’elle était exercée
en Afrique, mais plutôt sous occupation indirecte, contrôlée par la
Société des Nations.
Selon
cette volonté de refuser l’impérialisme britannique et français, et ses
manifestations, un nouveau système juridique fut progressivement mis en
place. La Société des Nations organisa dans le cadre d’une commission
une consultation des peuples concernés. La commission d’enquête
King-Crane fut ainsi envoyée en 1919 en Palestine, au Liban, en Syrie et
en Cilicie, afin d’enquêter les souhaits des populations quant à leur
avenir. En Irak également, les Britanniques lancèrent une consultation populaire entre décembre 1918 et janvier 1919.
Sentant
la situation leur échapper, les Français et les Britanniques, qui
eurent participé à la prise de Damas en 1918, quittèrent la commission
et imposèrent précipitamment sur les territoires concernés de nouvelles
frontières telles qu’elles furent précisées par l’accord Sykes-Picot.
L’année suivante, les forces britanniques se retirèrent de la zone
d’influence revenant à la France, cédant son contrôle aux troupes
françaises.
Incapable
de faire face à la volonté des puissances coloniales, la Société des
Nations leur confia, en 1920, un mandat sur les provinces arabes de
l’Empire ottoman, lesquels devaient rapidement aboutir, au moins
théoriquement, à l’indépendance des deux territoires. Toutefois, les
nationalistes syriens, organisés depuis la fin du XIXe siècle, ayant
espéré la création d’une Syrie indépendante, incluant la Palestine et le
Liban, rejetèrent le mandat.
En
mars 1920, le Congrès national syrien, élu en 1919, refusa le mandat
français et proclama unilatéralement l’indépendance du pays. Néanmoins,
en avril 1920, la conférence de San Remo confirma les accords
Sykes-Picot, et légitima l'intervention militaire française. Par
conséquent, les troupes du général Gouraud entrèrent à Damas en juillet,
et écrasèrent brutalement l’indépendance de la Syrie. Des milliers de
nationalistes syriens furent exécutés par les autorités d’occupation
françaises. Ce fut alors l'effondrement du «grand projet arabe» de
rassembler, autour de Damas, les provinces arabes autrefois parties de
l’empire ottoman. Alors qu'elle avait été hostile envers les Turcs, la
population syrienne développa rapidement un sentiment antifrançais.
Ainsi,
en découpant la Syrie naturelle, émergèrent de nouveaux États, qui
n’ont jamais existés avant l’occupation franco-britannique : l’Irak, la
Jordanie, le Kuwait, le Liban, la Palestine, la Syrie, ainsi que deux
autres États qui ne durèrent pas longtemps, grâce au rejet complet de la
part du peuple syrien – ce rejet mena à la révolution syrienne (1925 –
1927) – nous parlons ici de l’État druze et de l’État alaouite.
Fida Dakroub, Ph.D
Pour communiquer avec l’auteure : http://bofdakroub.blogspot.com/
Notes
[1] Citation de Fédor Dostoïevski.
[2]
Sur son lit de mort, l'Empereur romain August, se sentant de plus en
plus faiblir, demanda un miroir, se fit peigner les cheveux et raser la
barbe. Après quoi, il dit : N'ai-je pas bien joué mon rôle ? » ; Oui,
lui répondit-on ; Battez donc des mains, dit-il, la pièce est finie !
Plaudite, acta est fabula !
[3]
Dakroub, Fida. (2012, 14 mai). La défaite d’Israël à la deuxième Guerre
du Liban (2006). Centre de recherche sur la mondialisation. Récupéré le
21 mai 2012 de : http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30846
[5]
Les accords de Camp David furent signés le 17 septembre 1978, par le
Président égyptien Anouar el-Sadate et le Premier Ministre israélien
Menahem Begin, sous la médiation du Président des États-Unis, Jimmy
Carter. Ils consistent en deux accords-cadres qui furent signés à la
Maison Blanche après 13 jours de négociations secrètes à Camp David. Ils
furent suivis de la signature du premier traité de paix entre Israël et
un pays arabe : le traité de paix israélo-égyptien de 1979.
[6] Voir l’article de l’auteur, « Le 11-Vendémiaire de la Sainte-Révolution syrienne ou L’Échec du Conseil national syrien » :
[7]
Nous désignons par conditions historiques l’ensemble des accords et des
traités entre puissances coloniales et impériales sur le découpage et le
partage du Levant en plusieurs États antagonistes au lendemain de la
Grande guerre (1914 – 1918).
[8] Dakroub, Fida. La défaite d’Israël à la deuxième Guerre du Liban (2006). loc. cit.
[9] Le
royaume a été créé en 1922 lorsque le gouvernement britannique a
reconnu l'Égypte indépendante. Le sultan Fouad I devint ainsi le premier
roi du nouvel État. Farouk I succéda à son père comme roi en 1936.
Avant la France, l'Égypte avait été occupée et contrôlée par le
Royaume-Uni à partir de 1882.
[10]
Le royaume est d'abord proclamé le 23 août 1921, durant la période du
Mandat britannique de Mésopotamie. Le Mandat de la Société des Nations
exercé par le Royaume-Uni est juridiquement annulé en 1922, mais la
tutelle britannique reste partiellement en place dans les faits jusqu'en
1932, date à laquelle l'Irak voit sa pleine indépendance reconnue de
droit par son adhésion à la SDN.
[11] Le Royaume du Yémen est un État ayant existé de 1918 à 1962, dans la partie nord de l'actuel Yémen.
[12] Özhan, Taha. (2011, 10 octobre). The Arab “Spring”. Hürriyet. Récupéré le 21 mai 2012 de
http://www.hurriyetdailynews.com/default.aspx?pageid=438&n=the-arab-8216spring8217-2011-10-27
[13] Karsh, Efraim. (2002). The Iran-Iraq War 1980-1988, Osprey: London.
[14]
Il s'agit ici de la Syrie naturelle qui correspond grosso modo à la
Syrie gréco-biblique, située entre l'Anatolie, la Mésopotamie, la
Méditerranée et le Sinaï (actuellement : Syrie, Liban, Palestine,
Jordanie, Irak, Kuwait et l’État hébreu).
[15] Laurens, Henry. Comment l’Empire ottoman fut dépecé, dans Le Monde Diplomatique, avril 2003.
[16]
Les quatorze points du Président Wilson, message au Congrès exposant le
programme de paix des Etats-Unis, le 8 janvier 1918.
[17]
La Conférence de Berlin marqua l’organisation et la collaboration
européenne pour le partage et la division de l’Afrique. Cette conférence
commença le 15 novembre 1884 à Berlin et finit le 26 février 1885. À
l’initiative du Portugal et organisée par Bismarck, l’Allemagne,
l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, le
Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, le
Suède-Norvège et la Turquie ainsi que les États-Unis y participèrent. La
conférence de Berlin n'a pas partagé l'Afrique entre les puissances
coloniales, elle ne fait qu'établir les règles de ce partage.
[18]
En 1876, la conférence de géographie de Bruxelles (12 – 19 septembre
1876) avait été convoquée par le roi des Belges Léopold II afin
d’envoyer des expéditions au Congo pour les motifs présumées d’y abolir
la traite des Noirs maintenue par les Arabes et, selon ses propre
termes, de « civiliser » le continent africain.
[19] Par Syriens, nous désignons les habitants de la Syrie naturelle précédant l’Accord Sykes-Picot.
Docteur en Études françaises (UWO, 2010), Fida Dakroub est
écrivaine et chercheure, membre du « Groupe de recherche et d'études
sur les littératures et cultures de l'espace francophone » (GRELCEF) à
l’Université Western Ontario. Elle est l’auteur de « L’Orient d’Amin
Maalouf, Écriture et construction identitaire dans les romans
historiques d’Amin Maalouf » (2011).
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30994
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