Elle est souvent trĆØs proche du pouvoir, comme au Gabon, oĆ¹ le prĆ©sident
Omar Bongo est l’Ć©minence grise des obĆ©diences locales. Dans les
multiples crises qui accompagnent la dƩmocratisation en cours du
continent, les francs-maƧons africains s’efforcent souvent de jouer un
rƓle de mƩdiateur.
Au Congo-Brazzaville, l’ancien prĆ©sident congolais Denis
Sassou Nguesso et son successeur Pascal Lissouba sont tous deux
francs-maƧons, mais d’obĆ©diences diffĆ©rentes : M. Lissouba a Ć©tĆ© initiĆ©
au Grand Orient (GO) de France, et M. Sassou Nguesso appartient Ć une
loge sĆ©nĆ©galaise affiliĆ©e Ć la Grande Loge nationale franƧaise (GLNF).
A la suite des rƩcents affrontements entre leurs milices
armƩes dans la capitale, des francs-maƧons franƧais et africains - de
la Grande Loge de France (GLF), de la Grande Loge unie de CĆ“te-d’Ivoire
et des Grands Orients et Loges unies du Cameroun (Goluc) - ont joint
leurs efforts pour rĆ©tablir la paix, sans succĆØs jusqu’ici. Cet exemple
en dit long sur l’influence des francs-maƧons en Afrique francophone.
Depuis la crĆ©ation de la premiĆØre loge par le GO, en
1781, Ć Saint-Louis du SĆ©nĆ©gal, plusieurs francs-maƧons ont illustrĆ©
l’histoire de la colonisation franƧaise.
Tout d’abord les deux promoteurs de l’abolition de
l’esclavage, l’abbĆ© GrĆ©goire sous la RĆ©volution, et Victor Schoelcher,
secrĆ©taire d’Etat Ć la marine sous la IIe RĆ©publique, qui le fit
supprimer dĆ©finitivement en 1848 - l’esclavage avait Ć©tĆ© entre-temps
rƩtabli par NapolƩon Ier.
Puis Abd El Kader, reƧu en 1864 au Grand Orient, lequel
voulait manifester ainsi Ć l’Ć©mir algĆ©rien la reconnaissance des
FranƧais pour la protection qu’il avait accordĆ©e, dans son exil syrien,
aux chrƩtiens de Damas lors des massacres de 1860. Le grand artisan de
l’expansion coloniale franƧaise, Jules Ferry, Ć©tait Ć©galement franc-
maƧon.
Comme le sera le gouverneur des colonies FƩlix EbouƩ, un
Noir originaire de Guyane qui, en 1940, rallia le Tchad Ć la France
libre, entraĆ®nant toute l’Afrique-Equatoriale franƧaise et le Cameroun
aux cĆ“tĆ©s du gĆ©nĆ©ral de Gaulle au moment oĆ¹ le rĆ©gime de Vichy
promulguait les lois antimaƧonniques et antijuives.
Les francs-maƧons (ou « frĆØres de lumiĆØre », comme on
dit parfois) furent assez nombreux dans l’administration coloniale.
AprĆØs la seconde guerre mondiale, ils militĆØrent, pour la plupart, pour
l’indĆ©pendance des territoires africains d’outre-mer, et de plus en plus
d’Africains rejoignirent les loges.
AprĆØs 1960, l’annĆ©e des indĆ©pendances, la
franc-maƧonnerie a continuĆ© Ć essaimer, en s’africanisant et en
s’Ć©mancipant par rapport aux obĆ©diences franƧaises. Dans plusieurs pays
africains francophones, des obƩdiences nationales se sont crƩƩes, qui
ont nƩanmoins conservƩ des liens plus ou moins Ʃtroits avec les
franƧaises, dont elles reflĆØtent parfois les clivages.
Comme on sait, la franc-maƧonnerie est muliple, voire
morcelĆ©e, plus peut- ĆŖtre en France qu’ailleurs. Le clivage le plus net
est celui qui sĆ©pare le Grand Orient des autres loges. A l’opposĆ© des
autres rites, le GO n’invoque pas, dans sa Constitution, le Grand
Architecte de l’Univers, c’est-Ć -dire Dieu, et ses membres ne prĆŖtent
pas serment sur la Bible.
La Grande Loge de France et la Grande Loge nationale de
France reconnaissent le Grand Architecte de l’Univers, mais seule la
GLNF est reconnue par la Loge unie d’Angleterre, l’obĆ©dience mĆØre de la
franc- maƧonnerie mondiale.
Les francs-maƧons franƧais continuent, bien sĆ»r, Ć
s’intĆ©resser Ć l’Afrique : sous la Ve RĆ©publique, deux francs- maƧons au
moins ont Ć©tĆ© Ć la tĆŖte du ministĆØre de la coopĆ©ration, le socialiste
Christian Nucci, du GO, et le gaulliste Jacques Godfrain, de la GLNF.
M. Guy Penne, l’ancien conseiller aux affaires
africaines de FranƧois Mitterrand Ć l’ElysĆ©e entre 1981 et 1986, est
membre du GO. Et l’ambassadeur Fernand Wibaux, conseiller personnel pour
les affaires africaines du prƩsident Jacques Chirac (aux cƓtƩs de
Jacques Foccart, rƩcemment dƩcƩdƩ), a ƩtƩ initiƩ au GO.
D’une maniĆØre gĆ©nĆ©rale, les obĆ©diences nationales de
l’Afrique francophone sont issues d’une fusion des loges du GO et de la
Grande Loge de France, qui existaient avant l’indĆ©pendance. C’est le cas
du Grand Rite Ć©quatorial gabonais (GRE), des Grands Orients et Loges
unies du Cameroun, des Grands Orients et Loges associƩes du Congo
(Golac) et du Grand BĆ©nin.
Mais au Gabon, Ć cĆ“tĆ© du GRE, existe une Grande Loge
nationale, affiliĆ©e Ć la GLNF. En CĆ“te-d’Ivoire, coexistent plusieurs
obƩdiences, dont la Grande Loge unie et la Grande Eburnie, proches
respectivement de la GLF et du GO. Au Togo, subsistent des loges du GO
et de la GLF.
Au SƩnƩgal, les loges du GO et de la GLF ont Ʃgalement
conservƩ leur affiliation respective, mais la GLNF est Ʃgalement
prĆ©sente. Si les francs-maƧons du Togo et du SĆ©nĆ©gal n’ont pas crĆ©Ć©
d’obĆ©dience nationale, c’est parce qu’ils craignaient, assure-t-on, que
celle-ci ne soit infiltrĆ©e par le pouvoir en place et n’en devienne un
instrument, ce qui est parfois le cas dans d’autres pays.
Quoi qu’il en soit, la plupart des obĆ©diences plus ou
moins liĆ©es au GO et Ć la GLF participent aux Rencontres humanistes et
fraternelles africaines et malgaches (Rehfram), qui se rƩunissent chaque
annƩe depuis 1992 dans une capitale africaine, et auxquelles sont
invitĆ©es ces loges franƧaises. Les deux derniĆØres rĆ©unions ont eu lieu
en 1996 Ć Libreville, au Gabon (avec 400 participants), et en 1997 Ć
Cotonou, au BƩnin (avec 600 personnes, dont des dƩlƩguƩs de plusieurs
pays d’Europe).
Les loges africaines affiliĆ©es Ć la GNLF - qui fait, en l’occurrence, cavalier seul - ne participent pas Ć ces rencontres.
La GLNF a essaimĆ© ces derniĆØres annĆ©es en Afrique noire,
et cette avancƩe de la seule obƩdience franƧaise reconnue par la Grande
Loge unie d’Angleterre et par la maƧonnerie amĆ©ricaine agace les autres
loges franƧaises, oĆ¹ certains la considĆØrent comme le cheval de Troie
de l’influence anglo-saxonne sur le continent africain, ce dont elle se
dƩfend Ʃnergiquement.
Aucune loge des anciennes colonies britanniques n’est
conviĆ©e aux Rehfram (elles sont aussi divisĆ©es entre obĆ©diences liĆ©es Ć
la Grande Loge unie d’Angleterre, Ć celle d’Ecosse ou celle d’Irlande,
comme par exemple au Nigeria, au Zimbabwe, au Kenya et en Ouganda).
En revanche, le GO du ZaĆÆre (actuellement RĆ©publique
dƩmocratique du Congo - RDC, une Ʃmanation du GO de Belgique, prend part
Ć ces rĆ©unions « humanistes et fraternelles » entre loges d’Afrique
francophone.
Face Ć la rĆ©pression
LES francs-maƧons n’ont jamais manquĆ© d’ennemis, souvent
peu recommandables, ce qui constitue sans doute leur meilleur
« certificat de moralitĆ© ». Le plus acharnĆ© et le plus impitoyable Ć©tait
Hitler, qui entendait lutter contre un imaginaire « complot
judĆ©o-maƧonnique ».
Les dictatures fascistes (de Mussolini, de Franco, de Salazar et de Pinochet) ont Ʃgalement interdit la franc- maƧonnerie.
A l’autre extrĆŖme, les communistes Ć©taient, eux aussi,
hostiles, du moins Ć l’origine : en 1922, le Parti communiste franƧais
ratifia la dĆ©cision du IVe congrĆØs de l’Internationale communiste
excluant les francs-maƧons de ses rangs.
De fait, les communistes franƧais durent choisir entre
la franc-maƧonnerie et le PC. Plus rƩcemment, les islamistes affichent
Ć©galement leur opposition formelle Ć la franc- maƧonnerie.
Quant au Vatican, sa position a quelque peu ƩvoluƩ. La
premiĆØre condamnation de la franc-maƧonnerie par l’Eglise catholique
remonte Ć 1738 et fut l’oeuvre du pape ClĆ©ment XII. Son hostilitĆ© aux
« frĆØres de lumiĆØre » atteignit son paroxysme lors de la sĆ©paration de
l’Eglise et de l’Etat.
MalgrƩ un certain apaisement de la lutte entre clƩricaux
et laĆÆcs (les francs- maƧons ne sont plus excommuniĆ©s), les loges
restent suspectes aux yeux des catholiques intransigeants. En 1983, la
CongrƩgation pour la doctrine de la foi a encore proclamƩ que les
fidĆØles francs-maƧons sont « en Ć©tat de pĆ©chĆ© grave ».
C’est dans ce contexte que la franc-maƧonnerie africaine
s’est vu interdire dans plusieurs pays du continent et y a Ć©tĆ© parfois
persƩcutƩe. La rƩpression la plus notoire a ƩtƩ celle dont des
francs-maƧons africains ont Ć©tĆ© l’objet en 1963 en CĆ“te-d’Ivoire.
Cette annĆ©e-lĆ , le prĆ©sident FĆ©lix HouphouĆ«t-Boigny
imagina une sĆ©rie de complots qui lui fournirent l’occasion d’Ć©liminer
de la scĆØne politique les dirigeants de l’aile gauche du Parti
dĆ©mocratique de la CĆ“te-d’Ivoire - parti unique Ć l’Ć©poque - soupƧonnĆ©s
de sympathies communistes.
Plusieurs des accusƩs de ces complots Ʃtaient
francs-maƧons, la plupart du Grand Orient, notamment Jean-Baptiste
Mockey, Jean Konan Banny, Amadou Thiam et Ernest Boka. Ils furent
humiliĆ©s, battus, torturĆ©s, parfois en prĆ©sence du prĆ©sident lui-mĆŖme, Ć
Yamoussoukro. Ernest Boka mourut en dƩtention.
La franc-maƧonnerie fut interdite, Grande Loge de France
comprise ; mais, en 1971, le prĆ©sident ivoirien lui-mĆŖme reconnut
solennellement en public que les complots de 1963 n’Ć©taient qu’une
affabulation, dont il accusa un obscur commissaire de police, et les
accusĆ©s furent rĆ©habilitĆ©s. Certains furent mĆŖme nommĆ©s Ć nouveau
ministres, comme Jean-Baptiste Mockey.
Les feux des loges ivoiriennes furent rallumƩs au dƩbut
des annĆ©es 70 aprĆØs une intervention auprĆØs d’HouphouĆ«t de M. Pierre
BiarnĆØs, initiĆ© au GO, qui Ć©tait Ć l’Ć©poque correspondant du Monde en
Afrique de l’Ouest et qui Ć©tait mandatĆ©, pour ce faire, par le grand
maĆ®tre d’alors de cette obĆ©dience, Fred Zeller.
Dans l’ex-ZaĆÆre, le prĆ©sident Mobutu a interdit la
franc-maƧonnerie lors de son arrivƩe au pouvoir en 1965, avant de
l’autoriser Ć nouveau en 1972.
A Madagascar, lors de son premier mandat prƩsidentiel,
M. Didier Ratsiraka, Ć l’Ć©poque marxisant mais mariĆ© Ć une catholique,
avait interdit la franc-maƧonnerie - celle-ci est cependant redevenue
trĆØs active dans la Grande Ile depuis le tournant dĆ©mocratique qui
prĆ©luda Ć l’Ć©lection du prĆ©sident Albert Zafy, en 1993.
Une Grande Loge nationale malgache, parrainƩe par la
GLNF, a ƩtƩ crƩƩe en 1996, et concurrence le Grand Rite Malgache, proche
du GO.
L’avĆØnement de rĆ©gimes marxistes ou marxisants - en
GuinƩe sous Sekou TourƩ, au Mali sous Modibo Keita et au BƩnin sous
M. Mathieu KĆ©rĆ©kou - entraĆ®na aussi l’interdiction de la franc-
maƧonnerie dans ces pays.
Fily Dabo Cissoko et Hammadoun Dicko au Mali, Barry
Diawandou et Barry III en GuinƩe, francs-maƧons et opposants aux rƩgimes
en place, furent arrĆŖtĆ©s et moururent en dĆ©tention. Au BĆ©nin, il fallut
une intervention du conseiller Guy Penne, au dƩbut des annƩes 80, pour
que M. Mathieu KĆ©rĆ©kou consente Ć la rĆ©ouverture des loges.
C’est cependant au Liberia que des francs-maƧons ont Ć©tĆ©
le plus fƩrocement ƩliminƩs, lorsque le sergent-chef Samuel Doe prit le
pouvoir par un coup d’Etat en 1980.
Depuis des gƩnƩrations, la prƩsidence de la RƩpublique
et le gouvernement avaient ƩtƩ accaparƩs par des Afro-AmƩricains, en
gĆ©nĆ©ral affiliĆ©s Ć la grande obĆ©dience noire de la franc-maƧonnerie
amƩricaine, dite de Prince Hall.
Le palais prĆ©sidentiel arborait d’ailleurs des armoiries
maƧonniques. Le prƩsident Tolbert (franc-maƧon comme son prƩdƩcesseur
William Tubman) fut assassinƩ, et Samuel Doe fit ensuite exƩcuter en
public tous les membres du gouvernement.
La franc-maƧonnerie est aussi dans le collimateur de
l’islamisme, ce qui n’empĆŖche pas des musulmans d’Afrique noire d’y
adhƩrer (les Libanais, chrƩtiens ou musulmans, Ʃtablis sur le continent
sont d’ailleurs relativement nombreux dans les loges d’Afrique
occidentale).
La rĆ©fĆ©rence au Grand Architecte de l’univers est trĆØs
oecumƩnique, et les francs-maƧons musulmans peuvent donc, en principe,
prĆŖter serment sur le Coran, comme les juifs sur la Torah et les
chrƩtiens sur la Bible.
L’un des plus illustres francs- maƧons musulmans est
sans aucun doute le prƩsident gabonais El Hadj Omar Bongo, dont la
conversion Ć l’islam, en 1973, avait suscitĆ© d’autant plus d’Ć©tonnement
que la grande majoritƩ de la population gabonaise est soit animiste,
soit chrƩtienne.
Au SĆ©nĆ©gal, on trouve des francs-maƧons dans les sphĆØres
du pouvoir, bien que la trĆØs grande majoritĆ© de la population soit de
confession musulmane. La franc- maƧonnerie s’y heurte Ć la vive
hostilitĆ© d’une frange intĆ©griste islamiste.
« Non, un musulman ne peut pas ĆŖtre franc-maƧon », a
titrƩ la revue Etudes islamiques, tandis que le pƩriodique Wal Fadjiri
reprenait un article de la revue Ć©gyptienne Al Lewa’ Al Islami affirmant
que « la franc-maƧonnerie et le mouvement BahaĆÆ ainsi que leurs clubs
de services (Rotary, Lions, etc.) sont issus du judaĆÆsme et clairement
incompatibles avec l’islam ».
Cette hostilitĆ© n’empĆŖche pas diffĆ©rentes obĆ©diences de
faire du prosƩlytisme en pays musulman - ainsi la GLNF, qui a rƩcemment
crĆ©Ć© trois loges Ć Djibouti, oĆ¹ l’on prĆŖte serment sur le Coran.
Pourquoi la franc-maƧonnerie a-t-elle prospƩrƩ en
Afrique noire ? On peut avancer sans doute que les sociĆ©tĆ©s secrĆØtes
sont familiĆØres aux Africains : il en existe dans la plupart des
communautĆ©s villageoises, oĆ¹, selon des ethnologues comme le PĆØre Eric
de Rosny, elles reprĆ©sentent un contrepoids efficace Ć la puissance des
chefs traditionnels.
Il est probable aussi que, Ć l’Ć©poque coloniale, les
Africains qui « entraient » en maƧonnerie - et qui appartenaient, pour
la plupart, Ć l’intelligentsia - y voyaient un moyen de promotion
sociale, puisque leur admission dans une loge les plaƧait Ć Ć©galitĆ© avec
les Blancs au sein de l’obĆ©dience.
L’aspect Ć©sotĆ©rique et quasi mystique de la
franc-maƧonnerie a aussi attirƩ des intellectuels, tel le grand Ʃcrivain
malien HampatĆ© Ba (musulman), qui y voyait une Ć©cole d’oecumĆ©nisme et
de rƩconciliation entre les religions monothƩistes, mais qui ne resta
pas longtemps franc- maƧon.
Les obĆ©diences, tout en cultivant la spiritualitĆ©, n’en
inscrivent pas moins leur action dans le siĆØcle. Comme sur les autres
continents, les loges d’Afrique entendent jouer un rĆ“le dans les
affaires de la nation et interviennent Ć l’occasion sur la scĆØne
politique, souvent pour jouer les mƩdiateurs.
Ce fut le cas, notamment, au BĆ©nin, lors de la
confƩrence nationale de 1989 qui accompagna le rƩtablissement du
multipartisme. Le Grand BĆ©nin publia Ć cette occasion un texte qui
appelait Ć la tolĆ©rance et contribua Ć Ć©viter des affrontements
violents.
Les francs-maƧons du Togo tentĆØrent Ć©galement, en 1993,
de rƩconcilier le Rassemblement populaire du Togo du prƩsident Eyadema
(qui fit fermer les loges en 1972 avant de les rƩ-autoriser quelques
annĆ©es plus tard) et ses opposants lors d’une rencontre organisĆ©e Ć
Paris au siĆØge du GO : le dialogue ainsi instaurĆ© ne dĆ©boucha sur rien
de concret. Ce fut Ć nouveau le cas rĆ©cemment, on l’a vu, au
Congo-Brazzaville.
Une sourde lutte avec les Rose-Croix.
CES interventions dans la vie politique suscitent, bien
entendu, de sƩrieuses rivalitƩs, non seulement entre obƩdiences plus ou
moins concurrentes, mais aussi avec d’autres organisations plus ou moins
vaguement apparentĆ©es, du moins dans l’esprit du public. C’est le cas
au Cameroun, oĆ¹ s’est apparemment dĆ©veloppĆ©e une sourde lutte
d’influence entre les maƧons et les Rose-Croix.
Longtemps, la rumeur publique a prƩtendu que le
prĆ©sident Paul Biya Ć©tait rosicrucien, d’autant plus que le grand maĆ®tre
des Rose-Croix du Cameroun, M. Titus Edzoa, ancien ministre, avait
accƩdƩ au poste de secrƩtaire gƩnƩral de la prƩsidence.
Un vĆ©ritable coup de thĆ©Ć¢tre s’est produit en 1996
lorsque le grand maĆ®tre de la branche franƧaise de l’Ancien et Mystique
Ordre de la Rose- Croix (Amorc), M. Serge Toussaint, venu Ć Douala en
juin 1996 pour une visite de travail, annonƧa que le nom du prƩsident
camerounais ne figurait pas dans les fichiers de l’Ordre.
Quelques mois plus tard, M. Titus Edzoa quittait son
poste Ć la prĆ©sidence et, en juillet 1997, Ć©tait arrĆŖtĆ© pour une affaire
concernant la liquidation d’une banque. Entre-temps, le grand maĆ®tre
des Rose-Croix avait annoncĆ© sa candidature contre M. Paul Biya Ć la
prochaine Ʃlection prƩsidentielle .
Les rĆ©centes Rehfram ont fait l’objet d’une large
couverture dans la presse locale, avec confƩrences de presse des grands
maƮtres africains et franƧais. A Cotonou, en 1997, ces derniers ont tenu
une confƩrence de presse conjointe, dont un quotidien bƩninois a rendu
compte.
L’un des dignitaires francs-maƧons minimise les
« incomprĆ©hensions » qui subsistent entre l’Eglise catholique et la
franc-maƧonnerie, tout en ajoutant : « Avec les autres religions,
protestante et musulmane par exemple, il n’existe aucun problĆØme. »
Les Rehfram de 1997 donnĆØrent, par ailleurs, lieu Ć un
affrontement sĆ©vĆØre entre le GO de France et les obĆ©diences africaines.
La dĆ©lĆ©gation du GO y prĆŖcha implicitement une laĆÆcitĆ© agnostique Ć la
franƧaise, ce qui dƩclencha une vive riposte de la ConfƩrence des
puissances maƧonniques africaines (CPMAF, qui regroupe la plupart des
loges africaines francophones).
La CPMAF souligna, dans une dĆ©claration, que l’Afrique
avait « trop souffert des ingĆ©rences de toutes sortes », prĆ©cisant que
les Rehfram « ne sauraient ĆŖtre ni le thĆ©Ć¢tre de rivalitĆ©s (...), ni une
tribune de joutes dƩmagogiques, ni un enjeu des hƩgƩmonies avouƩes ou
non ».
Le troisiĆØme terme de cette mise en garde visait la
tentative du Grand Orient d’amener les obĆ©diences africaines Ć
abandonner le Centre de liaison et d’information des puissances
maƧonniques signataires de l’appel de Strasbourg (Clipsas) pour
rejoindre l’Association maƧonnique intercontinentale libĆ©rale (AMIL),
crĆ©Ć©e Ć l’initiative du GO.
Lors d’une rĆ©union Ć Santiago du Chili, en 1996,
celui-ci a, en effet, quittĆ© le Clipsas, qu’il accusait de se comporter
comme une « super- obĆ©dience ».
FondƩ en 1961 (et actuellement prƩsidƩ par
Mme Marie-France Coquard, ancienne grande maƮtresse de la Grande Loge
fĆ©minine de France), le Clipsas laisse Ć chaque obĆ©dience la libertĆ©
d’exiger ou non la croyance en Dieu, mais critique la franc-maƧonnerie
anglo-saxonne, Ć laquelle il entend plus ou moins faire contrepoids. Il
regroupe prĆØs d’une cinquantaine d’obĆ©diences (europĆ©ennes, africaines
et sud-amƩricaines).
L’AMIL - qui comptait, au dĆ©part, moins d’une dizaine
d’obĆ©diences - se veut encore plus laĆÆque que le Clipsas, et on peut
sans doute inscrire la dĆ©marche du GO Ć Cotonou dans le contexte plus
gƩnƩral de la rivalitƩ entre la France et les Etats-Unis sur le
continent africain.
Mais cette dƩmarche (outre la rƩaction nƩgative des
obĆ©diences africaines) a provoquĆ© quelques dĆ©fections au sein de l’AMIL.
D’autres loges franƧaises n’ont pas cachĆ©, de leur cĆ“tĆ©, qu’elles
partageaient la position de la CPMAF.
Sans doute des sociologues verront- ils, dans la
rĆ©action de la CPMAF et dans son rejet des propositions des laĆÆcs du GO,
la preuve que les sociƩtƩs africaines restent profondƩment imprƩgnƩes
de religiositƩ, que ce soit celle des cultes ancestraux ou celle des
confessions chrĆ©tiennes ou musulmanes. Mais peut-ĆŖtre est-ce moins
simple.
La laĆÆcitĆ© telle que l’entend le GO n’exclut nullement
la libertĆ© de conscience, comme en atteste l’adhĆ©sion de francs- maƧons
africains catholiques, protestants et musulmans Ć cette obĆ©dience,
illustration de l’attirance un peu Ć©trange qu’exerce la franc-maƧonnerie
sur le continent.
Par Claude Wauthier, Journaliste, auteur avec HervƩ Bourges des Cinquante Afrique, Le Seuil, Paris 1979.
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