Kadhafi-Sarkozy : la justice tunisienne savait dès octobre 2011
« Oui, en tant que premier ministre, j’ai moi-même supervisé le dossier du financement de la campagne de Sarkozy depuis Tripoli », a
déclaré, il y a sept mois,
Baghdadi Ali al-Mahmoudi. Dès le 25 octobre 2011, l’ancien chef du
gouvernement libyen, actuellement détenu en Tunisie, avait détaillé le
financement par le régime Kadhafi de la campagne de Nicolas
Sarkozy en 2007, lors d’une audience devant la cour d’appel de Tunis,
qui examinait la demande d’extradition déposée par la Libye à son
encontre.
Dans un témoignage accordé à Mediapart, deux avocats ont révélé,
vendredi, avoir pris note, le 25 octobre 2011, des explications de
l’ancien premier ministre sur l’existence d’un circuit occulte de
financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Selon
eux, l’ancien chef du gouvernement libyen a précisé devant la cour
avoir « supervisé » lui-même ces
transferts de fonds, passés selon lui par la Suisse. Leurs témoignages
viennent confirmer les déclarations de deux autres avocats de l'ancien
premier ministre.
Ce matin du mardi 25 octobre 2011, l’audience d’extradition de
Baghdadi Ali al-Mahmoudi se tient devant la Cour d’appel de Tunis, comme le relate à l’époque la presse tunisienne.
M. Baghdadi Ali al-Mahmoudi, en fuite, est arrivé deux mois plus tôt
en Tunisie. Le 22 septembre, il a été arrêté et condamné pour« entrée illégale dans le pays ».
Une dizaine
d’avocats sont présents. Leur nombre important oblige d'ailleurs à
tenir l'audience dans la bibliothèque de la cour d'appel. Parmi eux, des
figures du barreau tunisien et des droits de l’homme,
venues plaider en faveur de l’ancien premier ministre dont la vie
serait, disent-ils, menacée en cas d’extradition. Ils n’ont pas tort :
l’ancien guide libyen Mouammar Kadhafi vient d’être tué
le 20 octobre. Le CNT, nouveau maître de Tripoli, vient de demander
son extradition. Plusieurs associations de défense des droits de
l’homme se mobilisent alors contre cette extradition.
L’audience est présidée par le magistrat Ezzedine Bouzrara. Elle va
durer 2 h 45, selon les notes très précises conservées par un des
avocats présents, Me Mahdi
Bouaouaja.
Celui-ci raconte : « Au bout de deux heures, l’un d’entre nous,
Slim Ben Othman, a pris la parole. Il a demandé au président de la cour
de lui octroyer l’autorisation de poser
deux questions àBaghdadi Ali al-Mahmoudi pour
souligner, a-t-il dit, l’aspect politique de cette affaire. Le président
le lui a accordé. Slim Ben Othman lui a alors demandé
s’il avait eu connaissance des dossiers de financement de politiciens
étrangers, et plus précisément de la campagne électorale de Nicolas
Sarkozy. Il lui a aussi demandé si des pays étaient prêts à
l’accueillir comme réfugié politique. Le président s’est alors tourné
vers Baghdadi, et l’a autorisé à répondre. Baghadi a répondu, en
souriant : “Oui, en tant que premier ministre,
j’ai moi-même supervisé le dossier du financement de la campagne de
Sarkozy depuis Tripoli, des fonds ont été transférés en Suisse et
Nicolas Sarkozy était reconnaissant pour cette aide libyenne et
n’a cessé de le répéter à certains intermédiaires”. »
Interrogé par Mediapart, cet avocat, Me Slim
Ben Othman, qui explique défendre à titre gracieux l’ancien premier
ministre libyen qu’il connaît très bien, confirme les propos de son
confrère. Il précise même que M. Baghdadi Ali al-Mahmoudi les
a répétés en présence de plusieurs de ses avocats lorsque des
émissaires de l’UNHCR, l’agence des Nations-Unies chargée des réfugiés,
lui ont rendu visite dans sa prison de Tunis.
« Baghdadi Ali al-Mahmoudi a dit avoir remis à
une délégation française envoyée par Sarkozy de l’argent, beaucoup
d’argent, des millions d’euros en liasses de
billets, nous déclare-t-il. Il a des documents comptables. On
ne remet pas des millions d’euros sans aucune signature. Il garde en
mémoire les prénoms de la délégation
française. » L’avocat a précisé dans la journée à l’Agence France Presse (AFP) que la remise d’argent avait eu lieu à Genève.
« M. Sarkozy ne dit pas la vérité », accuse Slim Ben Othman,
qui se dit à la disposition de la justice française. Selon lui, l’ancien
premier ministre libyen détient de nombreux
documents, placés en lieu sûr, attestant du financement occulte de la
campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Le coordinateur de la défense de
l’ancien premier ministre, Me Mabrouk
Korchid, évoquait, dès novembre 2011, quelques jours après l’audience de la cour d’appel, les « secrets d'État » que détenait Baghdadi. « Après
la mort de
Kadhafi, c’est le seul qui détient des secrets d’État au plan
intérieur et en ce qui concerne les relations de la Libye avec certaines
grandes puissances », déclarait-il.
Ezzedine Arfaoui, professeur de faculté à la droit de Tunis et avocat à
la cour de cassation, était aussi présent ce jour-là. Lui aussi
confirme la teneur des propos de Baghdadi Ali
al-Mahmoudi : « Il a en effet répondu par l'affirmative sur des relations financières spécifiques à la campagne présidentielle de Sarkozy. »
Réagissant à la conférence de presse de jeudi des avocats tunisiens de
M. Baghdadi Ali al-Mahmoudi, un avocat parisien, haute figure de la
Françafrique, Me Marcel
Ceccaldi, a convoqué à son tour les médias à Paris, à l’initiative
d’un mystérieux gendre de l’ancien chef du gouvernement libyen. Il a
tenté de désavouer ses confrères en se revendiquant d’un
mandat de M. Baghdadi pour « démentir formellement les allégations » portant sur le financement de la campagne de Nicolas
Sarkozy. « Me Ceccaldi
n'est jamais intervenu dans cette affaire », a assuré un avocat tunisien à Mediapart.
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