L'information selon laquelle le mouvement Hamas serait une émanation du Mossad vise aussi à déposséder les Palestiniens de leur histoire, écrit Ramzy Baroud.
Par Ramzy Baroud
Ahmad Yassin et Abdel Aziz Rantissi, principaux et successifs dirigeants hitsoriques du mouvement Hamas, tous deux assassinés par les sionistes.
Par Ramzy Baroud
Ahmad Yassin et Abdel Aziz Rantissi, principaux et successifs dirigeants hitsoriques du mouvement Hamas, tous deux assassinés par les sionistes.
Tandis que les divers gouvernements occidentaux s’escriment à trouver une voie possible de communication avec le mouvement palestinien du Hamas, quelques milieux progressistes et de gauche sont tout aussi mal à l’aise concernant leur propre perception du mouvement islamique. Certains ont même été jusqu’à prétendre que le Hamas était, plus ou moins, le résultat d’une cuisine israélienne.
En fait, l’accusation selon laquelle le Hamas serait une création des services secrets israéliens est devenue si banale qu’elle ne demande souvent aucune argumentation sérieuse. Bien que cette affirmation prise telle quel soit incorrecte, il y a certainement une raison et une histoire à son origine. Le Hamas est-il oui ou non l’œuvre du Mossad ?
La seule idée qui vient à l’esprit concernant cette affirmation est liée à ses conséquences, non seulement parce que c’est une façon de discréditer une organisation mais aussi parce qu’elle implique que les Palestiniens ont été floués et qu’ils n’ont réellement aucun contrôle sur leur destin collectif. Cette idée — que le Hamas serait une création d’Israël — est tout simplement fausse.
Si on ne dispose d’aucune connaissance de l’histoire sociale, économique et religieuse de la bande de Gaza, le lieu de naissance du mouvement Hamas, il peut être réellement difficile de comprendre comment un tel mouvement a pu y prendre pied et s’épanouir en disposant d’un tel soutien populaire.
Durant des années les Palestiniens ont souffert sous l’occupation israélienne de la pauvreté, de la faim et des humiliations. Et tandis que l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) jouait un rôle important en représentant et en parlant au nom du peuple palestinien à l’extérieur de la Palestine, sa fonction dans les territoires occupés était au mieux insuffisante.
Il y a des raisons à cela et pas des moindres, l’OLP ayant alors des priorités régionales et internationales complexes et manquant de l’implantation sur le terrain dont bénéficiait le mouvement islamique. Dans le cadre d’une réaction normale, l’institution religieuse a comblé le vide dû à l’absence de gouvernement, un rôle qu’elle a rempli avec sérieux.
Mais examinons avec un peu plus de soin l’évolution et la croissance du Hamas et en particulier à Gaza, une présence qui avait un fort impact dès 1967.
Dans les premières années de l’occupation, le mouvement islamique à Gaza a défini une stratégie qui exigerait une base puissante et bien établie. Le mouvement a initialement rejeté la notion de lutte armée, ce pour quoi il a été fréquemment critiqué et ridiculisé par les mouvements laïcs de libération l’accusant de dissimuler sa faiblesse derrière son « pacifisme ».
La vérité est que le mouvement islamique dans Gaza ne rejetait pas la lutte armée en tant que telle ; il estimait que cette nation constituée surtout de réfugiés était dans un situation trop vulnérable et avait besoin d’années de préparation avant de se tranformer en une force réelle avec laquelle il faudra compter. Pour cette raison, ce mouvement a consacré des décennies à renforcer les liens sociaux dans la société gazaouite en construisant des mosquées, des centres de soins pour les enfants, des hôpitaux, des écoles et ainsi de suite.
Les années entre 1967 et 1975 ont été présentées par le mouvement islamique comme l’étape de « construction de la mosquée ». La mosquée a été l’institution centrale qui a exalté la société islamique dans Gaza. Ce n’était pas simplement un lieu de culte mais aussi un carrefour pour l’éducation, l’action sociale et culturelle et l’organisation politique à venir.
Dans la période allant de 1967 à 1987, le nombre de mosquées à Gaza a triplé, passant de quelques 200 à environ 600. Les années allant de 1975 au milieu des années 80 ont vu l’étape de « construction de l’institution sociale », ce qui comprenait la formation de clubs islamiques, d’organisations caritatives, de sociétés d’étudiants etc..., toutes ces organisations servant de lieux de rencontre à la jeunesse musulmane.
En 1973 a été construit le Centre Islamique à Gaza, réellement au coeur des activités de tout le mouvement. Il a été assez largement considéré que le centre était une émanation de l’ancien mouvement des Frères Musulmans d’inspiration égyptienne. Israël a volontairement fait peu de choses pour stopper l’enracinement de l’organisation, comme il a également peu agi pour aider à sa croissance.
La curieuse attitude d’Israël a pu s’expliquer en tant qu’élément de sa politique maniant la carotte et le bâton.
Du fait que les Islamistes avaient à ce moment particulier renoncé à la lutte armée et fournissaient les services qui allégeaient le budget israélien d’un grand nombre de millions, il semblait y avoir eu peu de raisons d’interrompre ce qui paraissait être d’inoffensives activités. Mais plus important, Israël était soucieux de l’augmentation à l’étranger du nombre d’institutions liées à OLP et de son influence croissante sur la société palestinienne dans les territoires occupés.
De même, les difficultés croissantes entre le mouvement islamique conduit par cheik Ahmad Yassin, et d’autres mouvements de libération dans Gaza ont donné l’espoir à Israël que ces hostilités grandissantes auraient comme conséquence la paralysie de tous les groupes en question, épargnant à Israël la tâche difficile de les contenir. On peut aussi soutenir que n’importe quelle action israélienne dans cette période pour stopper la croissance et l’évolution du mouvement islamique dans Gaza, aurait simplement accéléré sa radicalisation plutôt que de réussir à totalement l’annihiler.
Les années 70 et les années 80 ont été des années de grands boulversements pour les Palestiniens avec les accords de Camp David, l’invasion israélienne du Liban, les nombreux massacres commis par Israël et qui ont culminé en 1982 avec celui commis par un groupe de miliciens chrétiens des Forces Libanaises dans les camps de Sabra et Chatila.
C’était durant cette période que le mouvement islamique gazaouite a connu une importante métamorphose. Des décennies de travail de terrain étaient maintenant mis à l’épreuve alors que le mouvement évoluait pour adopter la lutte armée. Ce n’était certainement pas une transformation brutale, mais plutôt une évolution entamée depuis dès 1967.
Les courants religieux peuvent être rationnels ou non dans leurs narrations, mais la croissance, le changement de stratégie et l’évolution du mouvement islamique palestinien dans ses manifestations dans la bande de Gaza, ont suivi un processus logique qui est unique à Gaza et à son histoire.
Aucune autre place en Palestine n’était autant qualifiée que la bande de Gaza pour y voir naître un mouvement islamique important. Le territoire était désespérément pauvre, sa population essentiellement composée de réfugiés et de leurs descendants. Les dirigeants islamistes étaient eux-mêmes des réfugiés vivant dans les camp de réfugiés.
C’est alors que le « Hamas » a finalement fait son apparition officielle en 1987, faisant passer au mouvement islamique dans Gaza une nouvelle étape avec la naissance de la première Intifada palestinienne. Presque deux décennies plus tard, le Hamas a obtenu une victoire écrasante lors des élections palestiniennes, une autre démonstration de sa croissance échelonnée et calculée.
Plutôt que de vouloir comprendre et évaluer l’histoire qui est à l’origine de ce mouvement populaire, les pays occidentaux ont répondu par des sanctions, des blocus, et un siège prolongé et suffocant maintenu par Israël qui a culminé avec le massacre le plus sanglant depuis 1948 de civils palestiniens sans défense.
Les analystes, hommes politiques, critiques et autres peuvent bien se quereller au sujet des origines et de l’histoire de ce mouvement qui a parmi beaucoup d’autres choses donné à une grande partie de la société palestinienne un sentiment d’amour-propre et de puissance face à leurs occupants. Mais prétendre que le Hamas ait été monté de toutes pièces par quelques agents israéliens voulant à tout prix la disparition de la cause palestinienne n’est que foutaise.
* Ramzy Baroud est écrivain et rédacteur en chef de « PalestineChronicle.com ». Ses écrits ont été publiés dans de nombreux journaux, magazines et anthologies dans le monde entier.
Son dernier livre est « The Second Palestinian Intifada : A Chronicle of a People’s Struggle » (Pluto Press, London).
Site Internet : www.ramzybaroud.net
5 mars 2009 - Communiqué par l’auteur
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach
http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article
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