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Guerre civile en France : La Suisse demande la démission de Sarkozy

Pour Eric Woerth, ça passe et ça cash

Par Philippe Le Bé


AFFAIRE BETTENCOURT. En Suisse, rares sont les membres de l’UMP à défendre Eric Woerth. Un homme qui, en 2007, avait récolté auprès des mêmes un demi-million de francs suisses pour la campagne du candidat Sarkozy.

A chaque jour, son lot de révélations. L’affaire Bettencourt secoue la République, l’un de ses ministres les plus en vue, Eric Woerth, et depuis mardi 6 juillet, son président Nicolas Sarkozy. Selon Mediapart et Le Monde, l’actuel locataire de l’Elysée aurait touché en toute illégalité des dizaines de milliers d’euros de l’héritière de L’Oréal pour financer son destin présidentiel. De l’argent qu’Eric Woerth, en charge du financement de cette campagne, aurait recueilli en main propre. Des enveloppes avec entre 50 000 et 150 000 euros en cash. La source citée par la presse n’est autre que Claire T., l’ancienne comptable de la société Clymène qui gère la fortune de Liliane Bettencourt. L’Elysée a beau démentir, l’enquête de Philippe Courroye, le procureur de Nanterre qui a aussi entendu Claire T., ne s’arrêtera pas de sitôt. Un épisode de plus dans cette saga politico-financière qui a le chic de passer par les bords du lac Léman et Genève. Depuis juin dernier, on sait que l’héritière de L’Oréal possédait un très confortable bas de laine de ce côté-ci du Jura. Et au moins trois comptes bancaires. Un premier à Genève avec 12 ou 13 millions d’euros et un deuxième à Vevey où 65 millions y trouvaient refuge l’an passé encore. L’existence de ces comptes a été révélée par les enregistrements clandestins de Pascal B., l’ancien majordome de Mme Bettencourt. Des enregistrements qui laissent apparaître que ces deux comptes n’ont pas été déclarés au fisc et que les proches de la milliardaire – dont son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre – auraient transféré une partie de cet argent hors de Suisse en raison des pressions fiscales de Paris contre Berne l’an dernier. Enfin, affirme une source anonyme reprise par la Tribune de Genève, un troisième compte existerait. Où? Dans les coffres de la filiale UBS de la ville du bout du lac où près de 280 millions d’euros auraient été transférés, sans qu’il soit possible de dire si cet argent a été, ou non, dissimulé à Bercy.

Au centre de l’affaire figure un couple: Eric Woerth, l’actuel ministre du Travail en charge de l’épineux dossier de la réforme des retraites et son épouse, Florence. Une femme active dans la finance dès le début des années 80 et qui, sous la pression médiatique, a démissionné en juin 2010 de Clymène, la société de gestion du patrimoine Bettencourt.

Problème: Eric Woerth a été ministre du Budget entre mai 2007 et mars 2010, alors que Paris faisait de la lutte contre l’évasion fiscale un axe fort de sa politique. Or, lors de cette période et alors que son épouse gérait les deniers Bettencourt – notamment en se rendant en Suisse –, à aucun moment les services fiscaux d’Eric Woerth ne se sont intéressés à l’héritière de L’Oréal, une des premières fortunes de France. Un conflit d’intérêts évident, martèle la presse hexagonale.

Un panier de crabes. En Suisse, l’affaire délie les langues, entre autres, au sein de la communauté française lémanique, proche de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). «C’est normal que certains s’en prennent à Eric Woerth. Ils croyaient s’acheter une protection avec lui, mais le ministre s’en est pris à eux quand il s’est agi de taper sur les exilés fiscaux», explique ce cadre français résidant dans la région zurichoise et membre actif de l’UMP Suisse.

Pour comprendre la rancœur qui anime une partie des adhérents au parti du président Nicolas Sarkozy, il faut revenir quelques années en arrière. En 2006, la délégation helvétique de l’UMP est moribonde. Elle ne compte qu’une vingtaine de membres.

C’est dans ce champ de ruines que débarque Pierre Condamin-Gerbier. Agé de 36 ans, le Stéphanois a fait carrière dans de grandes enseignes du milieu bancaire. A Paris, à Londres, à Guernesey et désormais à Genève. Elu à la tête du chapitre helvétique de l’UMP, le banquier parvient avec son équipe à faire adhérer près de 500 personnes – qui paient leurs cotisations en direct au siège de l’UMP à Paris – et autant de sympathisants.

Tout cela, en deux ans chrono. Après la fin de son mandat, à la fin de 2008, il rend son tablier. Raison? «Par manque de temps, mais aussi avec beaucoup de regrets et de dégoût face au panier de crabes que représente une certaine frange de la communauté française à Genève», tranche-t-il sèchement. Des mots amers qui reflètent son engagement politique et matériel lors de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Des voix à conquérir. Tout avait pourtant bien commencé. Quelques mois à peine après avoir repris la présidence de l’UMP, Pierre Condamin-Gerbier et les siens réussissent un coup. Porte-parole de l’UMP et proche de Nicolas Sarkozy, Valérie Pécresse se rend à Genève. Aujourd’hui, comme la presse française l’a révélé, l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a touché un chèque de 7500 euros de la part de Liliane Bettencourt. C’était dans le cadre de sa campagne des élections régionales en Ilede-France où elle devait subir une cuisante défaite.

Le 26 octobre 2006, quand Valérie Pécresse vient à Genève, c’est une autre campagne qui a lieu. Nicolas Sarkozy veut l’Elysée et toutes les voix comptent, y compris celles des 100 000 exilés français en Suisse inscrits dans les consulats. Ainsi se déroule une opération séduction en présence de personnalités suisses d’importance comme le président des radicaux-libéraux, Fulvio Pelli. De quoi galvaniser les troupes de l’UMP en Suisse. D’autant qu’une rumeur enfle: Nicolas Sarkozy pourrait venir à Genève, un rêve que caresse Pierre Condamin-Gerbier.

Les conseillers en communication du futur président de la République voient la chose autrement. Le candidat de l’UMP au pays des banques qui hébergent l’argent des évadés fiscaux de France? Impensable répond-on au siège parisien du parti. Reste un problème: comment récupérer l’argent qui attend en Suisse pour financer la campagne de l’ancien maire de Neuilly? En envoyant des proches. Tel sera le rôle d’Eric Woerth et Patrick Devedjian. Des sourires, des mots et des chèques.

La cagnotte suisse. Ce vendredi 23 mars 2007, c’est en jet privé qu’Eric Woerth et Patrick Devedjian atterrissent à 19 heures sur l’aéroport de Cointrin. L’avion, selon nos informations, un Falcon 10, accueille à son bord les épouses des convoyeurs de fonds de l’UMP, Florence Woerth et Sophie Vanbremeersch. Un avion mis à disposition par un compatriote fortuné au bénéfice d’un forfait fiscal en Suisse. Tout ce petit monde dort à Genève chez des amis respectifs. De retour à Paris, Eric Woerth rencontre Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt, qui lui aurait remis ce chèque de 150 000 euros qui agite désormais les esprits de la République.

A l’époque en effet, Eric Woerth récolte les fonds pour alimenter la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. A Paris ou à Genève. Sitôt descendu du Falcon avec Patrick Devedjian, le futur ministre file vers un hôtel cinq étoiles à quelques pas de là, le Crowne Plaza où patientent plus d’une cinquantaine d’adhérents et sympathisants de l’UMP. Avant de rejoindre, vers 21 heures, une petite trentaine d’invités triés sur le volet à la Caviar House, rue du Rhône. Le marathon suisse d’Eric Woerth et de Patrick Devedjian sera bref, mais profitable.

Selon nos estimations relues et confirmées par l’ancien président Pierre Condamin-Gerbier, les deux hommes repartent avec des promesses de dons qui frôlent un demi-million de francs suisses. En effet, la trentaine de personnes réunies à la Caviar House paient 3000 euros par personne – limite maximale autorisée par la loi française – en tant que membres du Premier Cercle des donateurs de l’UMP. Mais ce n’est pas tout.

Ce cercle s’étend au-delà des personnes de la réunion privilégiée de la rue du Rhône pour atteindre une centaine de donateurs, toujours selon l’ancien président de l’UMP Suisse. Soit: 300 000 euros au maximum, ce qui demeure une estimation très conservatrice, car elle ne tient pas compte des versements effectués par des adhérents ou des sympathisants de l’UMP qui n’appartiennent pas au prestigieux fameux Premier Cercle.

«Le soutien des proches de l’UMP en Suisse a été conséquent», insiste Pierre Condamin-Gerbier. Et celui-ci de lâcher: «Quand Eric Woerth est venu récolter les chèques pour Nicolas Sarkozy, il avait en face de lui différents représentants de la communauté des grandes fortunes de France qui ont voulu s’expatrier. Quelques mois plus tard, au gouvernement, il a totalement ostracisé les mêmes. Ne pas encourager l’expatriation fiscale, soit, mais aller un pas plus loin en caricaturant les gens qui ont décidé de se délocaliser à l’étranger, en les faisant passer pour des mauvais Français, de mauvais patriotes, cela a été très peu apprécié par cette communauté. Ce que je reproche à M. Woerth c’est une mauvaise foi évidente, une forme de malhonnêteté intellectuelle et de cracher dans une soupe dans laquelle il a été ravi de tremper ses lèvres.» Depuis l’an passé, Pierre Condamin-Gerbier n’est plus que sympathisant du parti de Nicolas Sarkozy.

Mauvais joueurs. Après la victoire en mai 2007 de Nicolas Sarkozy, l’ambiance s’est en effet sérieusement détériorée entre la centrale de l’UMP et sa fédération suisse. D’abord, Paris a refusé de verser le moindre centime pour les activités politiques de son chapitre helvétique. Conséquence, des dizaines de milliers de francs de factures que la Délégation suisse de l’UMP a dû prendre à son compte.

Mais ce n’est que le début. En février 2008, le scandale d’évasion fiscale mis à jour au sein de la banque du Liechtenstein LGT cimente Allemands et Français dans une volonté commune de «faire sauter le verrou suisse». Le secret bancaire ne fait plus sourire, la crise financière mondiale avec son lot de dettes et de déficits publics est passée par là. L’article 26 de l’OCDE qui établit une obligation d’échange d’informations dans les accords bilatéraux de double imposition devient la référence. Au grand dam de la Suisse. Enfin, le vol par un informaticien de la banque HSBC à Genève d’une liste de noms de clients, finalement remise aux autorités fiscales françaises que dirige Eric Woerth, envenime encore les relations franco-suisses. Et fait des exilés fiscaux français une cible favorite du ministre du Budget.

Autant de nuages qui font que, «à côté d’un manque d’ambition, l’activité s’est ralentie au sein de la Délégation suisse de l’UMP», décrit un responsable local. Et ce, alors qu’une échéance d’importance attend les Français de Suisse: l’élection en 2012 d’un député à l’Assemblée nationale.

Nous aurions souhaité confronter Jean-François Pissettaz, le remplaçant de Pierre Condamin-Gerbier à cet état de choses. Mais celui-ci n’a pas désiré répondre aux questions de L’Hebdo et nous a envoyé son chargé de communication, Eric Benjamin: «M. Pissettaz souhaite rester en retrait des polémiques et éviter ainsi de les alimenter.» Et soutenir l’action politique du ministre Woerth? «Aucun commentai re.» Ambiance.


ERIC WOERTH, DISCIPLE D’ALAIN JUPPÉ

Né le 29 janvier 1956 à Creil (Oise), Eric Woerth est issu d’un milieu modeste. Après ses études (HEC puis Sciences Po à Paris), il fait ses premières armes au cabinet Arthur Andersen.

En 1995, il devient l’attaché parlementaire d’Alain Juppé, son mentor. Fort d’une carrière d’élu local en Picardie (il est notamment maire de Chantilly), il est nommé secrétaire d’Etat à la réforme de l’Etat en 2004, puis ministre du Budget en 2007, avant de recevoir le 22 mars 2010 le portefeuille de ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique.


RELATIONS FISCALES FRANCO-SUISSES

Plus d’un siècle de tensions

«Le problème de la fiscalité a toujours été un contentieux plus ou moins discret entre la France et la Suisse.» Ancien ambassadeur de Suisse à Paris jusqu’en 2007, François Nordmann ne croit pas si bien dire. A l’image d’Eric Woerth l’an passé, le Gouvernement français cherche depuis au moins un siècle à mettre la main sur les fortunes dissimulées au fisc et réfugiées en Suisse. Or, jusqu’ici les autorités fédérales et les banquiers helvétiques sont parvenus à contenir les visées de Paris. Surtout en raison de la faiblesse de l’adversaire.

Cette thèse, l’historienne Janick Schaufelbuehl(1) la soutient dans un article paru il y a peu et qui s’appuie sur un travail de doctorat sur les relations économiques entre la Suisse et la France au siècle dernier (La France et la Suisse, ou la force du petit, Presses de Sciences Po, 2009).

Ainsi, après un scandale bancaire dans les années 30, une offensive massive contre la place financière suisse prend place avec l’arrivée à l’Elysée du Front populaire. L’enjeu? Inclure dans un traité entre ces Etats une clause d’assistance administrative en cas d’évasion fiscale. Berne refuse. Pour que Paris comprenne, les autorités suisses menacent de bloquer un emprunt de 200 millions de francs auprès du Crédit Suisse et de la Société de banque suisse par le Trésor français pour bâtir ses chemins de fer.

A d’autres occasions, l’usage de l’arme du crédit et de l’accès au marché des capitaux suisses va convaincre Paris d’oublier Berne. Mais, tout au long du siècle dernier, un second facteur joue en faveur des Suisses: «Etant donné que les très grandes fortunes, les élites économiques et politiques et des membres du Gouvernement français étaient impliquées dans la fraude fiscale, le prix politique à payer pour une attitude rigoureuse à l’égard des banques suisses était important», affirme l’historienne. Bref, difficile pour les locataires de l’Elysée ou de Matignon de vilipender une place financière qui héberge une partie des fortunes qui les soutiennent matériellement.

Affabulation? Le 20 juillet 1962(2), après un entretien avec Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères de Charles de Gaulle, l’ambassadeur suisse à Paris écrit ceci: «Les hauts fonctionnaires et même le personnel politique ressortissent à des milieux qui eux-mêmes utilisent cet état de fait (le secret bancaire suisse). Il est probablement peu d’hommes d’influents, issu d’un milieu moyen ou élevé, représentatifs pour les partis du centre ou de la droite (même du centre gauche), qui n’utilisent ce système de fait.» Une lettre très confidentiellement adressée aux Affaires étrangères à Berne qui craignaient de nouvelles pressions contre le secret bancaire. YS ET PLB

(1) «L’évasion fiscale: une longue tradition entre la Suisse et la France», de Janick Schaufelbuehl, dans L’Economie Politique, n° 46, 2010, 46-58. (2) Ambassade de Suisse en France au Département politique fédéral, 20 juillet 1962, disponible en ligne: www.dodis.ch/30740.

http://www.hebdo.ch/pour_eric_woerth_ca_passe_et_ca_cash_page1_47785_.html

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