Les documents Takieddine, l'enquête Livré par le clan Sarkozy, le 4×4 français qui protège Mouammar Kadhafi
Par Mediapart.fr,
Mouammar
Kadhafi, l'introuvable «leader» libyen, est-il encore protégé par la
France ? C'est un détail que Nicolas Sarkozy n'a pas osé évoquer lors
de son voyage «triomphal» à Tripoli la semaine dernière. Mis en examen
mercredi dernier par le juge Renaud Van Ruymbeke
dans l'affaire des ventes d'armes à l'Arabie saoudite et au Pakistan,
Ziad Takieddine a fourni au régime lybien, en 2008, un 4×4 furtif
fabriqué par la société française Bull-Amesys (ex-i2e) afin
de sécuriser les déplacements de Mouammar Kadhafi. Un véhicule qui
peut être aujourd'hui extrêmement utile pour la fuite du leader déchu.
La vente de ce matériel a bénéficié, dès 2007, de l'appui du ministre
de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, et de son directeur de cabinet d'alors,
Claude Guéant. L'engin a finalement été livré à partir
de 2008, avec le feu vert, cette fois, de l'Elysée.
Contrat à l'appui, Mediapart peut dévoiler les spécifications
techniques de ce concentré de technologie livré aux Libyens, pour la
somme de 4 millions d'euros. Il s'agit d'un 4×4 ML blindé de chez
Mercedes équipé d'une cage de Faraday – qui protège les occupants des
champs électriques extérieurs – et d'un dispositif électronique de
brouillage capable de neutraliser toutes les fréquences
radio dans un rayon de cent mètres autour du véhicule.
Depuis, l'électronique du 4×4 de Kadhafi est commercialisée par Bull-Amesys sous le nom de « système Shadow ». Il s'agit d'un brouilleur « intelligent
(...) basé sur une technologie unique au monde », qui couvre à la fois « l'interception, le brouillage et la neutralisation » des engins explosifs
télécommandés, peut-on lire dans un document de présentation d'avril 2011. Un matériel également « capable de détecter instantanément plus de 2.000 menaces ».
« Shadow est destiné aux forces armées et répond également aux besoins en matière de sécurité intérieure, signale
Bull. Il permet non seulement la protection de passagers de
véhicules et de zones critiques contre les engins explosifs
télécommandés mais aussi l'identification de communications
ennemies et le contrôle des radiocommunications. »
Shadow « n'émet que sur présence d'une menace et se reconfigure
automatiquement en fonction de sa localisation – en tenant compte des
plans de fréquence internationaux »,
précise encore Bull.
La mise au point de la voiture de Kadhafi n'a pas été sans frayeur chez Amesys. « On ne pouvait plus téléphoner au siège quand ils testaient le système: les portables ne
fonctionnaient plus, se souvient un cadre. La voiture émet comme un four à micro-ondes à l'extérieur. Il ne vaut mieux pas s'en approcher. »
Des virements offshore pour Takieddine
Selon des documents en notre possession, la vente de ce véhicule a été
l'un des volets du contrat d'ensemble de sécurisation du régime,« Homeland Security Program »,
signé en
2007 pour 26,5 millions d'euros, par Philippe Vannier, l'actuel PDG de
Bull – alors dirigeant de la filiale Amesys –, grâce aux bons soins de
M. Takieddine. Ce contrat inclut la vente d'équipements
de cryptage des communications du régime (3 millions d'euros), mais
aussi d'espionnage d'internet (12,5 millions d'euros).
Le 1er septembre,
Amesys avait confirmé la vente d'un « matériel d'analyse portant sur une fraction de connexions internet existantes », mais avait aussitôt fermé son propre site commercial.
Le site Amesys.fr est depuis ce jour officiellement « en rénovation ».
Ziad Takieddine, qui travaillait de concert avec Claude Guéant,
directeur de cabinet du ministre de l'intérieur puis secrétaire général
de l'Elysée, a reçu 4,5 millions d'euros de commissions
d'Amesys (ex-i2e) entre 2007 et 2008 pour ces ventes en Libye. En
interne, Philippe Vannier a confirmé le paiement « de services commerciaux » effectués, selon
lui, « dans la légalité ».
En réalité, ces versements, qui n'ont pas encore été retrouvés dans la
comptabilité de l'entreprise, ont transité par les comptes de sociétés offshore, avant d'être reversés au nom de
M. Takieddine, à la Al-Ahli international Bank de Beyrouth. S'agissant d'un pourcentage aussi élevé d'un contrat, ces « services commerciaux »devraient tomber sous le coup
de la loi de juin 2000 qui sanctionne la corruption d'agents publics étrangers et prohibe ce type de commissions.
Mais ce n'est pas tout. La question est aujourd'hui posée à la justice de savoir si le contrat « Homeland Security » avait obtenu toutes les autorisations gouvernementales
nécessaires avant sa conclusion en 2007 avec le régime Kadhafi. Comme l'a évoqué Libération, l'association Sherpa, spécialisée dans la lutte contre les « crimes
économiques », a déposé une plainte la semaine dernière entre les
mains du procureur de la République de Paris concernant le volet
«espionnage électronique» de ce vaste marché.
« A ce jour, aucune autorisation du gouvernement n'aurait été
délivrée afin de permettre à la société Amesys de vendre le système de
surveillance » à la Libye, note l'avocat William
Bourdon dans sa plainte.
De fait, le type de matériel de défense contenu dans le contrat «Homeland Security» doit,
selon la loi française, faire l'objet d'autorisation expresse délivrée
par le premier
ministre, après avis de la commission intergouvernementale dédiée aux
marchés d'armement. Pour l'heure, ni Bull-Amesys ni le gouvernement
français n'ont démenti cette absence d'autorisation.
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