Par Omar Mazri,
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La forme du verbe ‘‘ ittakhadat’’ au féminin indique que c’est la femelle qui tisse la toile. Le ménage des araignées est des plus éphémères, car la femelle tue le mâle après l’accouplement pour se nourrir et nourrir sa progéniture. Nous sommes dans un moment de lutte de clans pour la succession des séniles par d'autres séniles et où chacun, une fois de plus s'approprie l'histoire algérienne en tissant des liens partiaux à des fins partisanes et dans des cadres idéologiques construits sur des compromis malsains, sur des paradoxes, sur des confusions, sur des hommes pour faire écran aux idées, aux lignes d'orientation et aux processus socio historiques qui peuvent faire bouger la société. Il est temps d'exprimer une fois de plus notre raz le bol des gouvernants et des intellectomanes qui font semblant de s'opposer entre eux, chacun réclamant une légitimité reposant sur la rente, les arrangements d'appareils, l'interlocuteur utile et l'exclusion du peuple.
En 1970, Bennabi est revenu sur un sujet qui lui tenait à cœur, en publiant dans un ouvrage théorique des passages très critiques sur le rôle de Abane Ramdane qu’il juge beaucoup plus sévèrement que Messali Hadj [Mouchkilat al Afkar fi’l Alam al Islami, Le problème des idées dans le monde musulman, Dar al Fikr, Le Caire, 1970. La traduction française de ce livre est parue à Beyrouth à la fin des années 1970. Sa distribution en Algérie a été interdite également pour les mêmes raisons.]
Les méthodes de celui-ci n’étaient déjà pas bien vues par Bennabi qui l’avait connu de près dans les années 1930 à Paris [Bennabi, qui avait fréquenté, à Paris dans les années 1930, avec H. Bensaï, les trotskistes par le biais du peintre de Constantine, Atlan, partageait l’avis de Khaldi selon lequel « à partir de 1933, avec la parution du journal al Oumma (de Messali), les trotskistes commencent à s’intéresser au mouvement nationaliste nord-africain et particulièrement aux dirigeants qu’ils veulent endoctriner ». Préface à la 2e édition (1965) de A. Khaldi, Le problème algérien devant la conscience démocratique, Alger, 1946.]
C’est au moment de la parution, en 1980, de la traduction française du Problème des idées dans le monde musulman, que j’ai eu une copie d’un texte inédit écrit en arabe au Caire juste après la signature des accords d’Évian, dans lequel l’écrivain énumère ses dures critiques du FLN [Chahada min adjl millioune chahid (Témoignage pour un million de martyrs), par Malek Bennabi, écrivain algérien, texte arabe manuscrit de 8 feuillets. Bennabi, qui est resté au Caire plus d’un an après la fin de la guerre, a confié en 1962 ce texte à Ammar Talbi, qui était alors étudiant en Égypte (et est devenu professeur de philosophie à l’université d’Alger), pour qu’il le remette aux éditions Nahda à Alger, dans le but de le faire publier dans la presse par son ami le Dr Abdelaziz Khaldi (1917-1972), qui avait passé la guerre au Maroc, en tant que chef de service à l’hôpital de Bou-Djaad. Malgré ses entrées, et son courage, Khaldi n’a pas réussi à rendre public ce témoignage.]
En 1983, Salah Bensaï, qui était très lié avec Bennabi, m’a remis des copies d’une partie de la correspondance de l’écrivain avec le FLN, commencée en 1956 et interrompue en 1958 [S. Bensaï (1907-1990) était installé au Maroc depuis 1948 et Bennabi avec lui de nombreux échanges sur l’évolution de la révolution algérienne depuis leur étonnement commun d’avril- mai 1956 provoqué par leurs premiers contacts avec les responsables du FLN au Caire.]
L’examen de ces inédits permet de se faire une idée plus exacte des appréciations négatives de l’auteur sur les dirigeants du FLN, de trouver les raisons de cette sévérité pour dégager des enseignements sur le conflit entre le pouvoir algérien naissant avec un intellectuel engagé, de façon à compléter la connaissance des nombreuses crises internes du FLN. Pour expliquer ce conflit, il convient de mentionner, brièvement, le séjour de Bennabi au Caire de 1956 à 1963.
Après la Deuxième Guerre mondiale, Bennabi publie Le phénomène coranique (Nahda, Alger, 1947) et Les conditions de la renaissance. Problème d’une civilisation (Nahda, 1949). Dans le premier livre, il dit avoir voulu décrire un « ordre spirituel » à l’intention des jeunes musulmans à la recherche d’un équilibre entre leur culture musulmane et leur formation moderne. Dans le second, il aborde un « ordre social ». Il poursuit la réflexion du deuxième ouvrage en publiant Vocation de l’Islam (Seuil, Paris, 1954), où il expose sa thèse sur la « colonisabilité ». De 1948 à 1955, il collabore à La République algérienne de Ferhat Abbas. Il écrit également dans le Jeune Musulman que dirigeait Ahmed Tewfiq al Madani, le secrétaire général de l’association des Oulémas.
En 1955, Bennabi rédige L’Afro-asiatisme. Conclusions sur la conférence de Bandoeng que les Éditions du Seuil acceptent de publier en suggérant toutefois d’y introduire quelques modifications que l’auteur refuse. En partant au Caire, il prend avec lui le manuscrit qu’il destinait à l’ambassadeur de l’Inde en Égypte dans le but de le faire éditer sous l’égide de Nehru.]
À la fin du mois d’avril 1956, Malek Bennabi décide de quitter la France où il vivait depuis 1930 pour se rendre au Caire où était installée la Délégation extérieure du FLN. Cet intellectuel difficilement classable qui partageait le sentiment nationaliste depuis 1925 [Mémoires d’un témoin du siècle, t. 1, L’enfant, SNEd, Alger, 1965.] et que les rapports du SLNA (Service des liaisons nord-africaines) du colonel Schœn citaient à la rubrique « réformisme », faute de mieux,- avait derrière lui un quart de siècle d’activités intellectuelles et politiques qui l’avaient mis en contact avec les cheikhs Ben Badis et Tébessi, le Dr Bendjelloul et Messali Hadj, et des membres clandestins de l’OS du Constantinois, où il a été interpellé lors du démantèlement de cette organisation para-militaire du MTLD en 1950. Son départ a lieu après son refus d’occuper un poste politique important proposé par le gouvernement Guy Mollet
[Lors d’une des séances de son séminaire hebdomadaire (qui continuait à Alger, à l’intention des étudiants, à partir de 1964, celui commencé au Caire en 1956), Bennabi a révélé : « Le colonialisme m’a proposé d’accepter un poste qui n’avait jamais été occupé par un musulman. » Par ailleurs, l’ancien délégué de Khenchela à l’Assemblée algérienne Abdelkader Barakrok dit avoir été choisi parmi une dizaine d’autres personnalités algériennes reçues par G. Mollet lors de sa fameuse et mouvementée visite à Alger en février 1956. Selon ce témoignage, le président du Conseil socialiste songeait déjà à faire entrer un musulman dans le gouvernement. A. Barakrok, qui a fini par être nommé secrétaire d’État dans le gouvernement de Bourgès-Maunoury en mai 1957 sur proposition de G. Mollet, affirme avoir été préféré aux autres personnalités pressenties parce qu’il avait abondamment cité, au cours de son entretien avec celui-ci, des passages du livre de Bennabi, Les conditions de la renaissance. Problème d’une civilisation (Nahda, Alger, 1949). Les autres délégués à l’Assemblée algérienne reçus par G. Mollet firent état de leurs connaissances de Montesquieu, de Tocqueville et de Renan. Cela faisait partie des tentatives de constitution d’une « Troisième force » qui rappelait celle qui visait à multiplier le nombre des « élus indépendants » aux élections de 1948 et de 1951 notamment. Mohamed Arkoun, qui venait d’être reçu à l’agrégation d’arabe en juin 1956, s’est vu proposer le poste de préfet par le cabinet du ministre-résident Robert Lacoste qui tenait beaucoup à l’émergence d’un courant aussi éloigné des « colonialistes » que des « séparatistes » (entretien avec M. Arkoun en juillet 2001).]
Il est accompagné par son ami de toujours, l’agronome Salah Bensaï. Frère de Hamouda, Salah Bensaï (1907-1990), venu spécialement du Maroc pour l’aider à traverser les Alpes, puis la Méditerranée via Gênes pour Alexandrie.
[Frère de Hamouda, Salah Bensaï (1907-1990) était natif de Batna. Après des études d’agronomie à l’École d’agriculture de Maison Carrée, il se spécialise dans l’agriculture tropicale à l’École d’application de Nogent-sur-Marne de l’Institut national d’agronomie de Paris. Après avoir travaillé à l’OFALAC d’Oran, il est nommé, en 1937, directeur de l’Agriculture en Guyane. En 1943, il fait partie des collaborateurs du gouverneur de l’AOF. Il est candidat à Batna aux élections pour la Constituante de 1945, sur la liste du Dr Boumali, de l’avocat Benbahmed et de l’instituteur Tahrat. Après avoir représenté en Amérique la Société Amal de Tiar et de Abbas Turki, il se met à son compte en ouvrant en 1948 une usine de traitement du crin végétal à Ouezzan au Maroc. Après l’indépendance de l’Algérie, il refuse le poste de directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Ammar Ouzzegane, en raison d’un désaccord sur la nationalisation des terres des colons, puis celui de conseiller de Boumédiène pour les questions agraires, et préfère rester au Maroc jusqu’à sa mort en août 1990. Voir S. Sellam, « Disparition de Salah Bensaï, un ancien compagnon de Bennabi », Mottamar, Paris, 1er trimestre 1991. L’agronome R. Miette le mentionnait encore en 1986 dans une étude sur la crise de l’agriculture algérienne qu’il impute en partie à l’absence d’un expert aussi qualifié que l’ « Aurésien S. Bensaï » (revue du CHEAM, Afrique et Asie Modernes, numéro de 1986]
Les deux intellectuels avaient le sentiment d’une certaine légitimité nationaliste, malgré une attitude critique vis-à-vis des partis algériens et également de l’association des Oulémas dont ils étaient proches, tout en déplorant les insuffisances de certains de ses dirigeants. Bennabi avait sévèrement reproché à Ben Badis d’avoir mis, à l’occasion du Congrès musulman algérien de 1936, une formation religieuse à la disposition de politiciens dont il contestait la légitimité et les méthodes. Il avait cinglé ces amateurs de « boulitigue » (mot péjoratif de l’arabe parlé algérien désignant « la politique politicienne », mâtinée de combiazione italienne) ainsi que la « démagogie » attribuée à Messali-Hadj. « Le devoir est aussi une politique », rappelait-il aux tribuns qui faisaient régulièrement la quête pour aller réclamer « les droits à Paris » [Dans un numéro de La République algérienne de 1953 (cité de mémoire).]
Tout en vilipendant le colonialisme [Le colonialisme est qualifié de « totalitaire ». M. Bennabi, Vocation de l’Islam, Le Seuil, Paris, 1954, p. 97 ; l’ « œuvre coloniale est un immense sabotage de l’histoire », ibid., p. 101 ; l’ « Europe qui devait éclairer la marche de l’humanité, a fait du flambeau de la civilisation une simple torche incendiaire », ibid., p. 118.]
Bennabi condamnait la politique qui se limitait à un réquisitoire anticolonialiste en négligeant d’aborder les sérieux problèmes internes de la société musulmane et en faisant l’économie d’un effort éducatif conséquent. La notion de « colonisabilité » lui sert à résumer tous les complexes paralysants nés de la crise interne de l’Islam qui avait rendu possibles les conquêtes coloniales. Pour être à la hauteur des responsabilités postcoloniales, les ex-colonisés lui paraissaient devoir se débarrasser de tous ces obstacles psychologiques. Toute politique qui négligerait cet effort pédagogique préalable lui paraissait vaine. Les commentaires favorables à ce concept de « colonisabilité » dans les revues et journaux français faisaient croire aux militants nationalistes avides d’apologie que son auteur faisait le « jeu du colonialisme », consciemment ou non
Mais le concept avait créé des malentendus
avec les dirigeants des formations nationalistes qui empêcheront
Bennabi de jouer un rôle actif au service de la révolution algérienne,
comme il voulait le faire en quittant définitivement le Luat-Clairet [Localité proche de Dreux dans l’Eure-et-Loir, dont le nom est devenu Luray.] Ce
village de la vallée de Chérisy où il avait pris l’habitude de méditer,
d’écrire, de cultiver son jardin et de recevoir ses amis Bensaï et
Khaldi avec lesquels il avait de longues discussions sur l’actualité, et
les personnalités drouaises liées à sa belle-famille [la belle-mère de Bennabi, Mme Mornas, possédait le moulin de Bécheret à Marsoceux près de Dreux.]
Depuis l’aggravation de la situation en Algérie, une voiture des Renseignements généraux suivait ses déplacements du haut de la colline qui surplombe sa petite maison [Entretien, en 1984, avec Mme Goupil, sa voisine à qui il a confié avant son départ : « On me guette. » Selon cette dame à la mémoire phénoménale, il y avait effectivement une voiture des Renseignements généraux qui surveillait régulièrement ses mouvements depuis l’aggravation de la situation en Algérie.]
Il a préféré se soustraire à cette surveillance pour s’engager dans le combat anticolonial plus activement que dans ses articles critiques [Il a publié une centaine d’articles dans La République algérienne comme : la lettre ouverte au Cheikh El Assimi, à propos des ingérences administratives dans les affaires du culte musulman, une autre à Borgeaud après le refus de l’investiture à P. Mendès France, la réponse aux articles sur l’Afrique du Nord publiés dans Le Monde par R. Montagne, la réaction au refus de Mohamed Bedjaoui au concours de l’ENA, la condamnation de l’assassinat de Hédi Chaker, la polémique avec l’agronome R. Miette à propos de la réforme agraire en Égypte...]
Bennabi a fait quelques émissions à la « Voix des Arabes » où il a accepté de travailler un temps sous le contrôle du « grand cadi » Lakhdari, qu’il contestait au même titre que tous les autres « intellectomanes » auxquels il avait réservé des passages incendiaires dans ses écrits.
Après l’édition de L’Afro-asiatisme (novembre 1956) par la maison gouvernementale égyptienne, il propose au FLN de le mandater pour expliquer la cause algérienne [L’ambassadeur indien avec lequel Bennabi était en correspondance, et qu’il avait sans doute vu lors de son passage au Caire en juillet 1954, a été muté juste avant l’arrivée de l’écrivain et le projet d’édition à New Delhi a été abandonné.] Mais les dirigeants du FLN ne donnent pas suite à cette demande. La publication du livre sur Bandoeng et l’édition de la traduction arabe des Conditions de la renaissance rapprochent Bennabi des dirigeants égyptiens (qu’il préférait aux Frères musulmans et, surtout, aux émirs séoudiens) qui le nomment conseiller à l’organisation du Congrès musulman dont Anouar Sadate était le secrétaire général [La maison Dar al Orouba qui a édité Les conditions de la renaissance a mis Bennabi en rapport avec le cheikh Baqouri, un ancien Frère musulman qui avait accepté d’être le ministre des Waqfs de Nasser contre l’avis du guide de la Confrérie, El Hodhéibi, et avec le cheikh Al Ghazali. Il est devenu l’ami de Kamel Eddine Husséin, un « officier libre » nommé ministre de l’Éducation nationale. Ce sont ces relations qui ont aggravé les rapports déjà conflictuels de Bennabi avec les dirigeants du FLN qui devaient faire anti-chambre avant de se faire recevoir par les responsables égyptiens.]
Le FLN ne juge plus utile de répondre à ses courriers, dont une lettre demandait son affectation dans une unité de l’ALN pour commencer à écrire son histoire [Document inédit conservé par S. Bensaï donnant la liste des lettres de Bennabi aux chefs du FLN (Abbas, Lamine, T. Madani, Ben Khedda, Ouamrane...) qui sont restées sans réponse. L’écrivain a remis en vain à Lamine Debaghine une lettre ouverte datée du 5 novembre 1956 expliquant à G. Mollet les raisons de son soutien à la révolution algérienne, pour la faire lire « au programme de radio-diffusion quotidien du FLN sur l’antenne du Caire ». La traduction arabe d’une de ces lettres a été publiée dans M. Bennabi, Fi Mahab al Ma’raka (Dans le souffle de la bataille), Dar al Orouba, Le Caire, 1961, p. 104-106. L’auteur entendait réagir à une campagne de rumeurs lui reprochant d’être resté « au-dessus de la mêlée ».]
Bennabi se consacre à l’édition des traductions arabes de ses livres, prononce des conférences en Égypte, en Syrie et au Liban et compose d’autres ouvrages, directement rédigés en arabe, ou écrits en français puis traduits par le futur avocat libanais Kamel Mesqaoui (qui a été récemment ministre à Beyrouth) et l’égyptien Abdessabour Chahine, sans s’arrêter de protester contre les éditions pirates, au Liban et en Irak notamment, des plus en vue parmi ses publications.
Mais l’actualité lui donne l’occasion d’émettre des jugements sur le FLN à différentes reprises.
L’enlèvement du cheikh Larbi Tébessi, à Alger le 8 avril 1957 l’a fait sortir de sa réserve momentanée, car le vice-président de l’association des Oulémas a été présenté comme « un grand traître qui travaillait de connivence avec le colonialisme » [Dépêche de l’agence AssociatedPress citée dans la lettre de mise au point de Bennabi datée du 10 avril 1957, dont une copie a été adressée à S. Bensaï qui vivait entre Casablanca et Ouezzan au Maroc.] Dans une mise au point proposée à la presse, Bennabi rappelle qu’il connaît personnellement depuis trente ans « la personnalité religieuse algérienne » enlevée. Il témoigne que L. Tébessi « est unanimement estimé dans le pays à cause des services rendus à sa renaissance morale et à l’organisation de son enseignement libre ». Au nom de sa « conscience d’honnête homme » et de son « devoir en tant qu’Algérien conscient de la gravité d’une situation où le colonialisme peut, désormais, assassiner son ennemi en collant sur son cadavre l’étiquette de la trahison », il entend, « devant Dieu et devant l’Histoire défendre l’honneur et la mémoire d’un homme qui n’a jamais transigé sur les principes.
En même temps, il est de mon devoir, en tant qu’écrivain engagé dans la lutte anticolonialiste depuis un quart de siècle, de dénoncer ici une situation où les forces incontrôlables qui ont abattu Mustapha Ben Boulaïd – qui était l’incarnation de la révolution – menacent désormais l’honneur et l’existence de tout Algérien honnête » [Lettre citée. Bennabi est resté marqué par l’enlèvement de L. Tébessi puisque, onze après, il a dédié son livre Islam et démocratie, Édition Révolution africaine, Alger, 1968, à « cet homme dont la postérité ne trouvera même pas le nom sur une pierre tombale... »]
À S. Bensaï, Bennabi fait part de son « impression que la sinistre bande qui est ici ne fera pas de démenti » [Lettre datée du 10 avril 1957 adressée à S. Bensaï en même temps que le démenti concernant L. Tébessi. L’association des Oulémas a publié un communiqué dans lequel elle révèle, « afin d’éclairer sur le sens de cette arrestation » que « depuis quelques mois, le Cheikh L. Tébessi était l’objet de pressions et de manœuvres [...] pour faire de lui “un interlocuteur valable” ; sa position ferme et sa solidarité totale avec le peuple en lutte pour son indépendance nationale ont dû exaspérer les services administratifs de M. Lacoste ». SHAT, 1H2589, Résistance algérienne du 29 avril 1957. Les détracteurs d’Abane Ramdane affirment qu’il était lui-même indisposé par l’intransigeance de L. Tébessi.]
Cela en dit long sur l’aggravation de son désaccord avec les « intellectomanes » qui venaient de rejoindre le FLN [Bennabi vilipendait les faux intellectuels qui s’engagent en politique après avoir fait l’économie d’une réflexion approfondie sur la nature des problèmes auxquels ils sont incapables d’apporter des solutions. Il a utilisé ce terme pour la première fois en 1936 dans l’article « Intellectuels ou Intellectomanes ? » écrit en réponse à celui de Ferhat Abbas « La France, c’est moi ». Lamine Lamoudi, qui dirigeait le journal La Défense, a refusé de publier cet article « pour ne pas compromettre l’avenir de F. Abbas », comme il l’a expliqué à Bennabi quand il est venu à Paris avec Ben Badis dans la délégation du Congrès musulman algérien, en août 1936. Voir Mémoires d’un témoin du siècle, t. 2, L’étudiant (en arabe), Dar al Fikr, Beyrouth, 1970. Une copie de cet article censuré a été conservée à Batna par Hamouda Bensaï qui a pu le publier dans un journal à Constantine en... 1990 !]
Dans la brochure SOS-Algérie qui a été publiée, en arabe et en français, après le massacre de Mélouza du 29 mai 1957, Bennabi « demande à Dieu de faire revenir la direction du FLN sur la bonne voie ». Cela lui vaut le retrait de la brochure de la vente et une menace de connaître le même sort que Chadli Mekki [Militant du PPA installé au Caire depuis 1945, C. Mekki a été arrêté en 1956 par la police égyptienne à la demande de Ben Bella et de Khider qui lui reprochait son messalisme. F. Abbas l’a fait libérer en 1960, à la demande du commandant Brahim Mezhoudi, originaire de Tébessa comme lui.
En décembre 1957, à l’occasion de la réunion au Caire de la deuxième conférence afro-asiatique, Bennabi se fonde sur les théories exposées dans son livre sur Bandoeng pour critiquer la délégation représentant le FLN. Il lui reprochait notamment de faire acte de présence, de manquer d’originalité et de ne rien proposer. Ces reproches lui tenaient à cœur après l’indépendance et il les a reformulés dans un éditorial de Révolution africaine, où il est revenu sur le « deuxième Bandoeng » qui commençait à décevoir les espoirs suscités par la réunion d’avril 1955 : « Quant à la délégation du FLN, elle ne trouva rien de mieux à faire que de faire entendre de la tribune des peuples afro-asiatiques, non pas la voix de la révolution algérienne, mais d’un bout à l’autre les citations de la presse “progressiste” de L’Express à L’Observateur. Sans parler des faux écrivains désignés par le GPRA pour représenter l’Algérie au premier congrès des écrivains afro-asiatiques à Tachkent, en septembre 1958. » [« La mission des élites africaines », Révolution africaine du 13 août 1967, repris dans M. Bennabi, Pour changer l’Algérie, Société d’Édition et de Communication, Alger, 1989, p. 238. Le refus de cette dépendance intellectuelle lui a inspiré, après 1963, des passages ironiques sur « l’esprit Bien Vacant », au moment où l’attribution des « biens vacants » laissés par les Français d’Algérie était devenue un des principaux enjeux des querelles politiques algériennes, aux dépens du débat d’idées.]
À la parution, en 1958, du livre de Serge Bromberger sur les Rebelles algériens, Bennabi le signale au Dr Lamine pour lui faire remarquer qu’il ne servait à rien de lui demander de se taire pour éviter au « colonialisme d’être au courant de nos divisions », puisqu’un de ses auteurs sait sur la révolution ce que ses dirigeants eux-mêmes ne savent pas toujours.
À partir de cette date, les contacts avec ce qu’il appellera les zaïmillons deviennent rares et Bennabi se consacre entièrement à son œuvre, après avoir constaté l’échec de sa tentative de jouer un rôle actif au profit de la révolution algérienne. Il avait renoncé à percevoir l’aide financière que lui versait le FLN en tant que réfugié au Caire [Dans une lettre à la délégation du FLN au Caire datée du 29 janvier 1958, Bennabi annonce son refus de continuer à percevoir cette mensualité de 25 livres égyptiennes, dont le versement avait été interrompu un temps par le Dr Lamine qui entendait sanctionner ainsi l’écrivain pour son esprit critique. « Mon renoncement était motivé par le fait que cette mensualité constituait en quelque sorte un lien de complicité entre les délégués du FLN et moi-même », Tableau analytique de ma correspondance avec la délégation du FLN au Caire depuis juillet 1956. Document daté du 18 juillet 1958, dont une copie a été conservée par S. Bensaï.
Lamine Debaghine est né en 1918 à Hussein-Dey. Docteur en médecine, il faisait partie de « l’aile extrémiste du PPA. Il aurait songé à créer un organisme analogue aux Frères musulmans. [...] C’est un pur, incapable de transiger, pratiquant sa religion, ne vivant que dans l’idée de l’Islam, de l’arabisme et de la patrie algérienne. Il condamne ouvertement tous ceux qui pactisent ». SHAT, 1H1241, Notice individuelle du SLNA. Dossiers du secteur d’Alger-Sahel. Le Dr Lamine a été envoyé en 1956 au Caire par Abane Ramdane pour contester le rôle de Ben Bella avec lequel Bennabi a commencé par avoir de bons rapports avant l’arraisonnement de son avion le 22 octobre 1956.
Il est probable que ce militant islamisant ait pris ombrage de l’arrivée d’un théoricien de l’Islam susceptible d’avoir la confiance des chefs de l’ALN, du moins ceux qu’il connaissait personnellement dans le Constantinois. Bennabi fait allusion à cette rivalité en parlant de « la volonté sourde et tenace qui m’a systématiquement écarté de tout ce qui touche à la révolution, comme si cette volonté omniprésente [...] avait voulu mettre une séparation étanche entre les idées pour lesquelles j’ai lutté et la conscience algérienne ». Tableau analytique de ma correspondance avec la délégation du FLN au Caire...18 juillet 1958. Il va sans dire que les colonels de l’ALN passés à l’extérieur ont été décevants aussi bien pour les combattants restés à l’intérieur que pour Bennabi qui critique les colonels Boussouf et Krim Belkacem aussi sévèrement que F. Abbas et le Dr Lamine.]
Dans une lettre à « Messieurs du FLN et de l’ALN au Maroc », écrite le 18 juillet 1958 à propos de la réédition dans ce pays de SOS-Algérie, l’écrivain tient « à dissiper une idée qui pourrait fausser totalement votre jugement : je ne suis candidat à aucune charge officielle dans le futur État algérien. Par conséquent, je juge le comportement de M. Lamine et de ses camarades de la façon la plus désintéressée, avec la conviction d’accomplir un simple devoir ». Ce renoncement aux honneurs l’a amené à rester au Caire, où il était pris par la publication de nombreux textes. Il est rentré en Algérie plus d’un an après le cessez-le-feu, après l’insistance de Khaldi (qui a été proche de Ben Bella, jusqu’aux premiers désaccords apparus après la rédaction de la « Charte d’Alger » à l’issue du congrès du FLN d’avril 1964, puis de Boumédiène) pour le convaincre d’occuper le poste de recteur de l’Université d’Alger, puis celui de directeur de l’enseignement supérieur.
Ce sont sans doute les observations recueillies au Caire sur la conduite des « intellectomanes » devenus chefs du FLN qui ont inspiré à Bennabi les principales idées de son livre sur La lutte idéologique dans les pays colonisés [As Sira’ al Fikri fi’l Bilad al Mousta’mara, Dar al Ourouba, Le Caire, 1960. Des passages de ce livre ont été traduits par Anouar Abdelmalek dans son Anthologie de la littérature arabe contemporaine, Le Seuil, 1965.] Il y étudie des aspects de la « guerre psychologique » moderne et déplore la dépendance intellectuelle qui amène à prendre comme maître à penser Sartre, pour les uns, et Mauriac pour d’autres. Cette démission dans le domaine de la pensée lui paraissait inadaptée aux exigences de l’édification d’une nation indépendante, et laissait prévoir en partie les échecs postcoloniaux.
Depuis l’annonce du tryptique – « cessez-le-feu, négociations, élections » –, les contacts se sont multipliés et le nombre des intermédiaires accru. Il y a eu la rencontre secrète à Alger entre Abane Ramdane et Me Verny, un avocat dépêché par P. Mendès France quand celui-ci était encore membre du gouvernement G. Mollet [Entretien avec Benyoussef Benkhedda, Alger, mars 2002. Abane Ramdane a exigé que tout accord soit garanti par les autorités religieuses et par des organisations internationales.]
Moins mystérieuses étaient les initiatives de Farès qui a cherché à voir Benkhedda et Abane Ramdane, sans doute à la demande du gouvernement, bien avant la parution en septembre 1956 dans Le Monde de l’interview dans laquelle il recommandait ouvertement la négociation avec le FLN [Un récit détaillé de ces contacts est fait à partir de l’interrogatoire d’Arezki Oucharef, ami commun de Benkhedda et de Farès qui a été arrêté durant la bataille d’Alger. SHAT , Carton 1H1241.]
Il y a eu également la tentative de Hamza Boubakeur qui voulait être préféré à tous les autres « interlocuteurs valables » en essayant de parler au nom de la wilaya 1 des Aurès. Par l’entremise de Me Mallem, un de ses anciens élèves du lycée Bugeaud devenu avocat à Batna, Boubakeur (qui était par ailleurs conférencier sur l’Islam du 5e Bureau chargé de l’Action psychologique depuis 1955) [SHAT, 1H2408, Programme d’instruction du stage « AFN » de guerre psychologique ; octobre 1955] a pu avoir l’accord d’Omar Ben Boulaïd qui a succédé à son frère Mustapha comme chef politico-militaire de la wilaya des Aurès. Mais l’interception du courrier adressé par Mallem a valu à Si Hamza une perquisition des paras dans son domicile de la Redoute en décembre 1956. Le professeur d’arabe dit avoir agi à la demande de membres éminents du cabinet civil du ministre-résident R. Lacoste, le colonel Schœn et Lucien Paye qui sont restés dubitatifs, sans doute par refus d’assumer la paternité d’une opération non concluante [SHAT, 1H1610. C’est après cette déconvenue que H. Boubakeur (1913-1995) est venu s’installer à Paris. Il avait une carte de la SFIO, et une autre du MRP. Celle-ci l’avait rapproché de L. Massignon le président du jury d’agrégation d’arabe qu’il a passée après son échec aux élections de 1948 de l’Assemblée algérienne, et sa vaine tentative de devenir le chef de la confrérie des Ouled Sidi Cheikh contre l’avis de ses moqaddems (entretien avec Cheikh Bouamrane, mars 2002, et rapports du SLNA, 1949). G. Mollet lui a promis de le nommer recteur d’académie. Mais devant les hésitations de l’Éducation nationale, le président socialiste du conseil l’a « agréé » « recteur » de la mosquée de Paris. Le Conseil d’État a dénoncé ce coup de force dû à une contestable application à l’Islam en France des pouvoirs spéciaux votés en mars 1956. Boubakeur est devenu un fervent partisan du détachement du Sahara de l’Algérie, avec Max Lejeune et le général Pigeot. Voir Cheikh Ibrahim Bayyoud, A’amali fi ath Thaoura (Mes activités durant la révolution), Éditions Djamiat at Tourath, Ghardaïa, 1990. Pour avoir contrarié les desseins politiques de H. Boubakeur, I. Bayyoud, qui était le chef de la communauté ibadite du M’zab, est durement attaqué par ce personnage qui se réclamait tantôt de la politique, tantôt de la religion, dans son Traité moderne de théologie musulmane, Maisonneuve-Larose, Paris, 1985.]
Il y a eu d’autres candidats au statut d’interlocuteurs valables : en février 1956, le cheikh B. Brahimi a écrit de Ryad à Tewfiq Madani, le secrétaire général de l’association des Oulémas qui était encore à Alger pour lui demander de convaincre le gouvernement de négocier avec lui. Il a ajouté une recommandation d’associer F. Abbas à ces pourparlers, « compte tenu de son expérience »[SHAT, 1H1244.]
Il y avait également les contacts d’Abdelmadjid Mécheri (frère du préfet Cherif Mécheri qui était un collaborateur du président Coty) avec Ben Bella au Caire, avec l’accord de G. Mollet [Entretien avec l’ancien secrétaire d’État Abdelkader Barakrok.]
Le cadi Lakhdari aurait effectué des missions similaires avant de s’installer au Caire [Entretien avec Ahmed Foitih (ancien collaborateur de N. Bammate à l’Université Paris VII) qui avait rencontré le cadi.]
Bennabi était au courant d’une partie de ces contacts que la presse ébruitait de temps en temps [Bennabi était en contact avec un groupe d’officiers syriens qui faisaient un stage à l’École militaire à Paris. Par eux il était au courant de ce qui se disait dans les milieux militaires français sur l’évolution de la guerre en Algérie et des tentatives de négociations.] Lors d’une rencontre, en compagnie du Dr Khaldi notamment, avec C. Bourdet au siège de France-Observateur en février 1956, ce dernier leur a expliqué que G. Mollet veut négocier, mais qu’il ne le fera pas avec les « militaires ». « Cette opinion mettait en cause, visiblement, la structure même de la révolution [...] Notre ami posait alors indirectement mais clairement [...] le problème de l’ “interlocuteur valable”. » [« Retour aux sources », article écrit pour Révolution africaine, mais non publié. Une copie a été conservée par S. Bensaï.]
Par ailleurs, l’analyse des documents récupérés sur Zirout Youssef, qui a été tué au combat le 26 septembre 1956 près d’El Harrouch (Nord-Constantinois), a permis au 2e Bureau de conclure que l’ouverture des négociations était prévue pour octobre 1956 et que les modalités d’application du cessez-le-feu aux échelons inférieurs avaient été examinées au congrès de la Soummam. Note de renseignement du 2e Bureau de l’état-major de la Xe Région militaire, 9 octobre 1956. SHAT, 1H1613. La négociation était assimilée à une trahison par l’émir Abdelkrim Khattabi. Le héros de la guerre du Rif condamnait notamment les négociations séparées des Tunisiens et des Marocains avec la France, qui contrariaient le projet de guerre de libération à l’échelle de tout le Maghreb. SHAT, 1H2583. Bennabi et S. Bensaï ont rencontré l’émir Abdelkrim et son frère Abdesslem dès leur arrivée au Caire en mai 1956.]
Il « laisse à l’historien l’étude de l’organisation matérielle de cette réunion » [Ibid. Bennabi note également la disparition du titre de « Cheikh », qui était utilisé pour désigner des chefs charismatiques comme Zirout Youssef, Chihani Bachir et Mustapha Ben Boulaïd, au profit des grades empruntés à l’armée française et aux armées orientales (Sagh al Awal, Sagh Thani). Dans le récit de l’évasion en 1955 de M. Ben Boulaïd de la prison d’El Koudia de Constantine, Tahar Z’biri (qui faisait partie des évadés et finira colonel, cpm de la wilaya 1), révèle que le premier chef de la Zone 1 (des Aurès-Nememchas) était appelé « le cheikh Mostfa » et dirigeait la prière collective. Ce récit a été publié dans un ouvrage collectif paru en arabe récemment à Alger (cité de mémoire).]
Il note que ce congrès « modifie fondamentalement les structures de la révolution, en mettant le CCE à la place du NIDHAM », supprimant d’ailleurs le mot lui-même du vocabulaire révolutionnaire... Mais le congrès de la Soummam comptera surtout par le bouleversement qu’il avait apporté dans la hiérarchie révolutionnaire elle-même : le pouvoir qui était entre les mains des Moudjahidines, des combattants, passent entre les mains des « politiques ». En somme, le problème de l’ « interlocuteur valable » était inscrit entre les lignes, sinon dans les lignes, au programme du congrès. « Je note simplement que le vœu du journaliste parisien a été exaucé. Simple vœu ou suggestion par personne interposée ? »[Ibid.]
Bennabi propose au chercheur d’examiner attentivement l’évolution qui a conduit au renversement du congrès de la Soummam. Il observe que cela avait été précédé par le statut particulier conféré à la zone autonome d’Alger. « Je pose la question : y a-t-il eu dans l’histoire de toutes les révolutions, sauf la nôtre, quelque chose de comparable à ce qu’on a baptisé dès le début de 1955, la zone autonome d’Alger, la fameuse ZAA ? » [Ibid. Après l’arrestation de Rabah Bitat (chef de la Zone 4), le 23 mars 1955, Alger a été déclarée zone autonome par Krim et Ouamrane sans consultation des autres responsables de la révolution. Abane Ramdane, qui assistait Bitat pour la propagande depuis sa libération de prison en janvier 1955, est devenu chef de la ZAA dont la création lui a permis d’être l’égal des autres artisans du 1er novembre 1954, puis « chef d’orchestre ». Voir M. Belhocine, Le Courrier Alger - Le Caire, 1954-1956, Casbah Éditions, Alger, 2000, p. 42. L’ascension fulgurante d’Abane Ramdane, dont les qualités d’organisateur sont incontestables, s’est faite grâce aux tout premiers coups de force de l’histoire de la révolution algérienne.
Après le départ du CCE d’Alger, la ZAA a conseillé l’abandon du préalable de la reconnaissance de l’indépendance pour permettre aux négociations d’avancer. Voir SHAT, 1H1612. Documents récupérés à l’arrestation de Yacef Saadi en septembre 1957. Un responsable de la ZAA, Kamel (Hadj-Smaïn) a pu se rendre d’Alger à Tunis en juillet 1957 pour recommander plus de souplesse dans les négociations. Ce déplacement était sans doute destiné à faciliter la mission de Gœu-Brissonnière qui avait fait escale à Alger pour y rencontrer Lacoste avant d’aller à Tunis proposer au FLN, au nom du gouvernement de Bourgès-Maunoury, l’ouverture des pourparlers. Cf. J.-Y. Gœu-Brissonnière, Mission secrète pour la paix en Algérie, Lieu commun, Paris, 1992. Voir également la lettre manuscrite au CCE écrite de prison par Y. Saadi et reproduite dans les Mémoires de Salan.]
Pour Bennabi, la ZAA a été le « premier faux pas » de la révolution d’où ont découlé tous les autres : « le congrès de la Soummam, le GPRA, le wilayisme, le régionalisme, le “Bien Vacant”, et l’UGEMA – il ne faut pas l’oublier – qui a préparé ces “lendemains qui chantent” dans certains cafés de la rue Didouche-Mourad » [« Retour aux sources », article censuré par Révolution africaine. Bennabicritique l’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens, devenue après 1962, UNEA : Union nationale des étudiants algériens dirigée par des marxistes) qui a été créée en 1955 à Paris à la suite d’un désaccord opposant des étudiants islamisants à des laïcisants se réclamant du marxisme.]
On apprend dans ce document inédit que le cheikh L. Tébessi avait « exprimé son étonnement » devant cette exception à la règle de l’unité du commandement. Lénine aurait déclaré une « zone autonome de Moscou, le foyer de la contre-révolution qu’il faut anéantir avant la contre-révolution de Wrangel »[Ibid] Bennabi se permet une sévère comparaison avec Mouçaïlima, le faux prophète qui voulait partager l’Arabie avec Mohamed : « En somme, Mouçaïlima voulait sa ZAA... »[Ibid].
Il met en cause nommément Abane Ramdane qui « s’est prêté au jeu de l’illusionniste pour décapiter la direction de la révolution qui avait lancé son volant le 1er novembre 1954, pour usurper son pouvoir et tenter de l’utiliser contre la révolution elle-même » [Le problème des idées dans le monde musulman, édition El Bay’yinate, Alger, 1990, p. 104. Ce jugement est à comparer avec celui des services français : « Les anciens responsables de l’UDMA (Abbas, Francis, Aït Ahcène..) ayant pris rang parmi les leaders du FLN poursuivant leur pression auprès des intellectuels musulmans (anciens UDMA) afin de les rallier au FLN. Cette manœuvre préconisée par Abane Ramdane leur servirait pour prendre la direction effective du FLN à l’extérieur, afin d’éliminer les éléments intransigeants pour faciliter l’ouverture des négociations, sur un programme plus souple, avec le gouvernement français », SHAT, 1H1247, Synthèse mensuelle de renseignement, Secteur d’Alger-Sahel, Zone Nord-Algérois, août 1957. ]
Après la Soummam, « la révolution n’eut plus une direction, mais une intendance qui pourvoyait d’ailleurs à des besoins d’apparat plus qu’aux besoins des combattants »[Ibid., p. 118.]
Pour les Zaïms, « l’Armée servait surtout pour les revues organisées en présence des journalistes à la frontière pour leur propre publicité »[Ibid.]
Le congrès de la Soummam est encore vilipendé pour avoir affirmé la primauté du politique sur le militaire, ce qui revenait à « mettre Ben Boulaïd et ses frères moudjahidines sous l’autorité de MM. F. Abbas, Francis, etc. » [Ibid. L’entrée des chefs de l’UDMA et des Centralistes dans le FLN était critiquée dans l’ALN. Voir la protestation du conseil de la wilaya 4 réuni en décembre 1956 sous la présidence du colonel Si Arezki (alias Ouamrane), SHAT, H1613.] Il s’agit d’un coup de force qui a écarté « ces héros qui avaient créé l’ALN » au profit des « politiciens qui, pour la défense de leurs intérêts, ont créé un syndicat qu’ils ont baptisé “Front de libération nationale” pour abuser le peuple avec des mots » [Ibid.]
Bennabi s’interroge sur l’intégrité de « Abderrahmane Yalaoui à qui ont été confiées les finances du FLN à Damas », le patriotisme de « Lakhdari à qui il a été permis de s’adresser au peuple algérien par La voix des Arabes, alors que nous savons qui il est », et même la compétence de M’hamed Yazid
— les conditions de la création de la ZAA ;
— les circonstances de la mort de M. Ben Boulaïd, Laghrour Abbas, Zirout Youssef, Amirouche, « Colonel » Mohamed Bahi, Abdelhaï, etc.
— les circonstances de la désertion
d’anciens officiers algériens de l’armée française, comme le commandant
Idir, qui a rejoint le FLN à Alger, alors qu’il était en garnison à
Khenchela. Ces DAF (Déserteurs de l’Armée française) ont pris la place
des officiers de l’ALN qui avaient été éliminés. Bennabi cite le
commandant Mostéfa Lakehal « qui a été assassiné par les services de
Monsieur Boussouf près du Kef en Tunisie. D’autres ont été dégradés et
abandonnés à leur sort dans les rues de Tunis et de Rabat » [Témoignage
pour un million de martyrs. Après avoir fait son service militaire à
Hussein Dey en 1953, M. Lakehal est l’adjoint de Ali Khodja dans le
commando de la zone 1 de la wilaya 4. Cf. Lakhdar Bouréga, Témoin de
l’assassinat de la révolution (en arabe), Dar al Hikma, Alger, 2000.
C’est lui qui avait tendu l’embuscade de Sakamody du printemps 1956.
Affecté à l’extérieur où il a été promu au grade de commandant chargé de
l’approvisionnement de la wilaya 4 en armes et en munitions, il a été
exécuté en mars 1959 après l’échec de la tentative de renversement du
GPRA par le colonel Lamouri et de ses partisans. Voir M. Harbi, « Le
complot Lamouri », La guerre d’Algérie des Algériens, sous la direction
de C. R. Ageron, Paris, A. Colin, 1997, p. 151-182.]
— l’assassinat au siège du GPRA au Caire en février 1959 de Amirat Allaoua, après avoir ébruité, au retour de Beyrouth, des contacts douteux qu’avait F. Abbas [Allaoua Amirat avait été représentant du FLN à Madrid en 1958. Il était entré en conflit avec Boussouf pour avoir refusé de faire partie de ses services secrets. Il a été nommé représentant du GPRA à Beyrouth par le premier ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, Lamine Débaghine dont il était proche. C’est son prédécesseur à ce poste, Brahim Kabouya, qui était proche de F. Abbas, qui l’a mis en accusation. Interrogé par des collaborateurs de Boussouf au 5e étage du siège cairote du GPRA, A. Amirat a été défénestré le 10 février 1959. Voir Fathi Dib, Abdel Nasser et la révolution algérienne, L’Harmattan, 1985, p. 304.]
— le budget de l’ALN, pour le comparer à celui des ministères politiques et révéler le train de vie des membres du GPRA. La représentativité du CNRA devrait être examinée. Toutes les régions du pays, n’y sont pas équitablement représentées.
Bennabi conclut son témoignage en indiquant qu’il a pour but « d’éviter au peuple d’entrer dans la bataille des élections dans l’obscurité totale qui lui cache les tristes réalités : la révolution qui a été une période de souffrances et de deuil pour le peuple, a été fastueuse pour ses Zaïms, ceux-là mêmes qui ont dépensé son sang dans leurs banquets où coulent champagne et whisky. Leur comportement est identique à celui des émirs arabes qui construisent des palais des Mille et Une Nuits avec les recettes du pétrole de leurs pays » [Témoignage..., op. cit.]
L’auteur regrette qu’ « aucune voix d’intellectuel ou de Alem (savant religieux) ne se soit élevée pour dénoncer cet état de fait et faire prendre conscience au peuple de ses devoirs. Au lieu de cela, chacun veillait à prendre place au banquet des Zaïms, ou à attendre son tour » [Ibid.]
Il précise enfin qu’aucun des Zaïms à qui il a demandé de lire ce document à la tribune de la conférence de Tripoli, où s’est réuni le CNRA en mai 1962, n’a accepté de le faire.
Il tient à préciser que ses interrogations sur l’arraisonnement de l’avion de Ben Bella, qui a arrangé les partisans du congrès de la Soummam favorables à l’entrée dans le FLN des « interlocuteurs valables » en vue de l’ouverture des négociations, ne signifie en aucun cas « un parti pris en faveur d’un Zaïm contre les autres »[Ibid.]
Ces appréciations sans complaisance sont conformes à la vision qu’a toujours eue Bennabi de la politique en Algérie, et à sa grande méfiance de la presque totalité de la classe politique algérienne traditionnelle [Pour avoir repris à son compte cette méfiance de Bennabi vis-à-vis de la politique politicienne, Mourad Kiouane (frère de l’avocat centraliste Abderrahmane) qui dirigeait la revue Jeune Islam a été critiqué, en 1952, dans La République algérienne par des intellectuels de l’UDMA qui croyaient pouvoir régler l’ensemble des problèmes algériens par l’augmentation du nombre de leurs élus dans les différentes assemblées.]
Cela l’avait amené à critiquer sévèrement le cheikh Ben Badis après sa visite à Paris avec la délégation du Congrès musulman algérien, en août 1936. Il déplorait que les Oulémas, qui avaient une mission plus importante de renaissance morale, aient accepté d’être à la remorque de Bendjelloul et de F. Abbas dont il contestait la conception de la politique, et à qui il reprochait une certaine déculturation.
Les artisans du 1er novembre 1954, comme Ben Boulaïd – qu’il cite abondamment, sans doute parce qu’il l’avait connu avant 1954, lors de ses tournées de conférences dans le Constantinois, et notamment à Batna où les frères Bensaï le mettaient en contact avec de futurs chefs de l’ALN, comme Maache et d’autres – lui paraissaient traduire les aspirations du peuple algérien, au même titre que les dirigeants du mouvement islahiste de 1925, et d’avant la « déviation » de 1936. Il identifie le CRUA au peuple algérien : « C’est le peuple algérien qui, finalement, rompit l’intermède. Il lâche en effet en 1954, tous ses directeurs de conscience pour s’engager tout seul dans la révolution. » [Le problème des idées..., op. cit., p. 117]
Du fait du 1er novembre 1954, la direction de la révolution incombait aux militaires, estimait Bennabi qui contestait la légitimité des politiques issus des partis traditionnels, à ses yeux incapables de sortir de l’impasse dans laquelle ils avaient engagé le mouvement national. Il a été inquiété de voir des « intellectomanes » de la deuxième génération se « rallier, apparemment, à la révolution. En fait ils se rallièrent aux Zaïms qui distribuaient bourses et prébendes à Tunis et au Caire » [Ibid., p. 117.]
Malgré ses appréhensions, il a quitté le cadre paisible de la vallée de Chérisy pour rallier la révolution au Caire, à cause des craintes inspirées par le ralliement de F. Abbas, de Francis et, même, de Tewfiq al Madani qu’il juge sévèrement, notamment à cause de son « sabordage du Jeune Musulman » [Lettre du 10 avril 1957 à S. Bensaï. Sur un ton très polémique, Bennabi va jusqu’à parler d’une « récompense de Borgeaud » au secrétaire général des Oulémas pour cet acte antinational ! L’accusation est sans doute excessive, mais elle renseigne sur le profond désaccord avec une partie des Oulémas et la presque totalité de la classe politique algérienne. Aux uns et aux autres, il reprochait l’insuffisante place accordée à la vie intellectuelle, pour lui non moins importante que l’action politique dans une œuvre de longue haleine d’édification d’une nation.]
Bennabi n’a pas pu être un acteur de la révolution algérienne, sans doute en raison de son refus des compromis et de sa fidélité à l’état d’esprit avec lequel il s’était engagé dans les années 1930 dans un militantisme atypique, avec son « maître » H. Bensaï [Comme il l’appelle dans la dédicace de son premier livre, Le phénomène coranique, Nahda, Alger, 1947.], à qui il avait cédé sa place de secrétaire général de l’AEMNAF, après le raz de marée en sa faveur aux élections de fin 1931 [Bennabi, Mémoires d’un témoin du siècle, t. 2, L’étudiant (en arabe), op. cit., Dar al Fikr, Beyrouth, 1970, p. 55-59.]
Cet échec est surtout imputable à la grande méfiance des dirigeants du FLN vis-à-vis des intellectuels qui refusent d’échanger leur liberté d’expression contre la fonction de scribe, et qui n’étaient pas réceptifs à sa critique de l’étroitesse d’esprit inhérente au nationalisme, considéré par lui, dans la plupart de ses écrits, comme un passage obligé après l’échec patent de la colonisation [« Quand nous parlons d’un nationalisme quelconque, nous savons que nous parlons d’un certain complexe où entrent un certain chauvinisme, une certaine intransigeance. Il correspond bien par ses côtés négatifs, à une certaine fermeture sur soi-même, à un étranglement des consciences, à un rapetissement des cœurs. Voilà donc ce que peut être, sous son aspect négatif, un nationalisme, qu’il naisse en Europe, en Afrique du Nord ou en Amérique. » M. Bennabi, « De conscience à conscience », Le Jeune Musulman, no 15, du 13 février 1953.] Le FLN ne comprenait pas ses craintes, formulées dans L’Afro-asiatisme de voir la « haine des petits remplacer le mépris des grands », et ses citations d’Abu’l Kalam Azad, l’ancien compagnon musulman de Gandhi devenu ministre de l’Éducation nationale de l’Inde, avec lequel Bennabi avait des échanges épistolaires et qui préconisait une prévention de la rancune des colonisés par une réforme des programmes scolaires
[Bennabi désapprouvait la création du Pakistan, par opposition à toute idée d’État confessionnel. Il a soutenu également la mise à l’écart du pouvoir des Frères musulmans, en 1953, par les « Officiers libres » égyptiens pour les mêmes raisons. Il est satisfait que ce nouveau régime se tienne « à l’écart du confessionnel, d’une part, et décide de s’épurer du courtisanat de l’autre [...] En Égypte, le pouvoir se libère, en effet, de la cour faroukienne d’un côté, et, de l’autre, il tient à l’écart les Frères musulmans qui s’étaient d’ailleurs écartés d’eux-mêmes, de la vie politique », « La fin d’une psychose », Le Jeune musulman, no 18, du 27 mars 1953.]
À défaut d’avoir pu agir au sein de la révolution algérienne, il en a été le témoin attentif et sans complaisance. Malgré le caractère excessif de certains de ses jugements, sa liberté de ton devrait encourager encore une écriture de l’histoire démystifiée de la guerre d’Algérie. Aussi bien les Algériens que les Français ont besoin de cette démystification, quarante ans après la signature des accords d’Évian qui avait inspiré à Bennabi son témoignage censuré.
Ces inédits montrent également que cet « humaniste musulman du XXe siècle » [Pour reprendre le titre d’un des rares articles très bien informés que lui a consacrés le spécialiste américain de l’Algérie Allan Christelow dans The Maghreb Review, vol. 17, no 1-2, 1992, p. 60-83. Christelow affirme que « Bennabi aurait condamné Khomeyni » comme il avait vilipendé « Messali le démagogue ».] , partisan d’une « réforme intellectuelle et morale » et hostile à l’empirisme politique, qui citait Bonald et Péguy et se référait à Djamal Eddine Afghani, était également favorable à une « démocratie musulmane » [Il citait la phrase de Bonald : « De l’Évangile au Contrat social, ce sont les livres qui font les révolutions » ; celle de Péguy : « Toute politique suppose une idée de l’homme... », et Afghani l’intéressait comme « professeur d’énergie » (Louis Massignon).] Sa critique est concentrée contre le congrès de la Soummam qu’il assimile à un coup d’État destiné à écarter les premiers chefs de l’ALN qu’il croyait en mesure de faire de la politique sur des bases plus saines que celles des hommes de partis. Ceux-ci sont jugés sévèrement à travers sa grille de lecture de l’actualité qui était déduite de sa conception à lui de l’histoire, comme il s’en est expliqué dans un de ses articles écrits en arabe peu après son retour en Algérie [Al Hadathou wa at Tarikh (L’événement et l’histoire) publié dans l’éphémère journal Université et révolution (cité par L’Annuaire de l’Afrique du Nord, de 1966).]
Son jugement sur le FLN repose sur l’affirmation de la primauté de l’intérieur et le refus de la prééminence des politiques sur les militaires. D’où la dureté des reproches adressés aux politiques installés à l’extérieur. Il a sans doute été le seul à avoir exprimé en « temps réel » des critiques à l’intention des dirigeants de ce mouvement qui n’a fait l’objet d’un libre examen qu’à la parution des écrits de Mohamed Harbi dans les années 1970. Sans prendre parti pour un clan contre les autres, et en prenant des risques considérables, Bennabi voulait introduire le débat d’idées dans la vie politique algérienne dont la plupart des acteurs avaient des inclinations totalitaires, refusaient systématiquement toute remise en cause, et n’hésitaient pas à mettre la contestation sur le compte de la trahison. Pour avoir fait valoir son droit d’exprimer librement son point de vue, il a eu à subir des persécutions qui étaient destinées à le faire taire pour de bon [M. Bennabi, Miladou Mujtama (Naissance d’une société), Dar al Orouba, Le Caire, 1962, p. 159-151.]
Son témoignage inédit mérite d’être ajouté à l’ensemble des documents peu connus, que l’ouverture des archives en France et en Algérie rend accessibles, et dont l’examen aidera à éclairer les zones d’ombre de l’histoire contemporaine de l’Algérie et à revoir les stéréotypes, comme ceux qui ont été diffusées sur M. Bennabi lui-même, par des politologues notamment [Voir, entre autres, G. Kepel, Les banlieues de l’Islam, Le Seuil, 1987 ; et O. J. L. Carlier, L’Algérie entre Djihad et Nation, Presses de Sciences-Po, 1996. Les deux politologues se contentent d’une tradition orale imprécise, et parfois inexacte, concernant l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages qu’ils négligent de lire.]
http://www.liberation-opprimes.net/index.php?option=com_content&view=article&id=965:algerie-les-araignees-qui-pleurent-et-qui-maudissent
Sadek Sellam « Le FLN vu par l'écrivain Malek Bennabi (1905-1973) », Guerres mondiales et conflits contemporains 4/2002 (n° 208), p. 133-150.
URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2002-4-page-133.htm.
www.liberation-opprimes.net
Trés
tôt Malek Bennabi s'est montré critique sans concessions aucune envers
les intellectomanes de la Révolution algérienne, les méthodes
empiriques, les hommes incultes des appareils du FLN et leurs
compromissions avec le colonialisme. En temps réel il a témoigné sur
l'histoire qui n'annonçait aucun bonheur ni civilisation et il dénoncé les
hommes, leurs "Boulitiques" comme il a contesté les décisions
catastrophiques des apprentis politiques telles que la Zone autonome
d’Alger et le congrès de la Soummam. Il avait dénoncé toutes les formes
de myriapodes et d'arachnoïdes qui parasitent la vie politique et
intellectuelle et facilitent la lutte idéologique menée par le
colonialisme.
Nous ne
pouvons imaginer une Algérie sous les filets des arachnoïdes car
elle resterait fragile comme la demeure de l'Araignée :
{L’exemple
de ceux qui prirent des protecteurs, à l’exclusion d’Allah, est comme
l’exemple de l’araignée qui se met en ménage*. Certes, le plus frêle
des ménages est sûrement le ménage de l’araignée, s’ils savaient.} AL 'Ankabout 41
La forme du verbe ‘‘ ittakhadat’’ au féminin indique que c’est la femelle qui tisse la toile. Le ménage des araignées est des plus éphémères, car la femelle tue le mâle après l’accouplement pour se nourrir et nourrir sa progéniture. Nous sommes dans un moment de lutte de clans pour la succession des séniles par d'autres séniles et où chacun, une fois de plus s'approprie l'histoire algérienne en tissant des liens partiaux à des fins partisanes et dans des cadres idéologiques construits sur des compromis malsains, sur des paradoxes, sur des confusions, sur des hommes pour faire écran aux idées, aux lignes d'orientation et aux processus socio historiques qui peuvent faire bouger la société. Il est temps d'exprimer une fois de plus notre raz le bol des gouvernants et des intellectomanes qui font semblant de s'opposer entre eux, chacun réclamant une légitimité reposant sur la rente, les arrangements d'appareils, l'interlocuteur utile et l'exclusion du peuple.
Bennabi
avec un caractère trempé par la fréquentation des Grands produits de
l'Algérie tels que les Chahids Cheikh Mustapha Benboulaïd et Cheikh
Larbi Tebessi, une intelligence hors du commun, une vision globale de
l'Islam, des civilisations, du colonialisme ne peut qu'imprimer les
nobles consciences et déranger les minus habens d'hier et
d'aujourd'hui. Son verbe, ses écrits et sa mémoire ont été baillonnés
car c'est un homme hors système qui a conservé son indépendance avant,
pendant et après l'indépendance confisquée par ceux là même qui l'ont
censuré. Ayant une vision lucide et sensée sur l'histoire, l'Islam et
les peuples il ne pouvait que refuser l'instrumentalisation de l'Islam
par des rentiers ou son amputation de sa mission universelle et de sa
vocation de libérateur et de civilisateur dans un projet global,
cohérent et dynamique mu par les idées vivantes du Coran. Il ne pouvait
concevoir une Algérie sans son islamité, son arabité et son
appartenance à l'humanité.
Cet
aspect bennabien de "l'interlocuteur utile" est sans doute l'aspect le
plus sombre dans l'histoire des peuples arabes mais aussi l'aspect le
plus nocif et le plus redoutable que mène la lutte idéologique
impériale contre une révolution pour l'imploser de l'intérieur, la
détourner, la salir et continuer à s'en servir comme torchon de
concièrges pour ne jamais construire une indépendance, une paix, un
avenir autre que dans l'insulte des morts. Le docteur Khaldi l'ami et le
compagnon de lutte de Malek Benabi avait dit un jour regardant les rues
d'Alger : " les coeurs sont les tombes des hommes". Si on s'amuse dans
les moment s difficiles à profaner les tombes des morts et on oublie la
ruine provoquée dans les coeurs des hommes c'est pire que l'oubli et le
faux témoignage envers un peuple qui n' a pas fini de panser ses
blessures et de retrouver ses repères
Faisant l'impasse sur les Algériens qui n'ont pas de statut de "Chahed et Mashhoud" , de témoins et d'accusateurs, nous sommes ramenés à nous étudier , à nous donner des titres de vertus ou de trahison, selon le regard inquisiteur et ethnocentriste de celui qui nous a colonisé et façonné à son image et nous a donné la puissance du verbe arrogant qui justifie mais n'explique pas et une fois de plus n'apporte pas de solutions à un avenir de plus en plus sombre et incertain. En nous situant dans le règne des arachnoïdes et des dinosaures on nous met face à Juraspark et non dans une lecture sereine et responsable de l'histoire et du devoir de rendre justice au million de Chahid ces témoins que jamais les archives françaises Nni les archives américaines ne livreront à la mémorabilité de leur histoire et de la notre.
Voici un texte qui éclaire les enjeux passés, présents et à venir sur le rapport de l'intellectuel à l'histoire algérienne. Il éclaire la position que doit prendre l'intellectuel : servir sans être asservi, témoigner sans être partisan, dire la vérité sans craindre le blâme d'un censeur. C'est une des meilleurs réponses que j'ai trouvé pour répondre aux questions que l'honnête homme doit se poser sur les déballages nauséabonds comme s'il y une volonté de cacher l'histoire, de pousser le peuple à devenir nihiliste et à faire une réconciliation entre "islamistes", socialistes et "troskystes" pour le gouverner au nom de la vérité historique, au nom de la victimisation, au nom de la lutte que se livre la France et les Etats-Unis et dont une fois de plus nous sommes le champ de bataille, la proie et la chair à canon sans que chacun ne rende compte au peuple ni ne lui indique le chemin clair de jour comme de nuit :
Faisant l'impasse sur les Algériens qui n'ont pas de statut de "Chahed et Mashhoud" , de témoins et d'accusateurs, nous sommes ramenés à nous étudier , à nous donner des titres de vertus ou de trahison, selon le regard inquisiteur et ethnocentriste de celui qui nous a colonisé et façonné à son image et nous a donné la puissance du verbe arrogant qui justifie mais n'explique pas et une fois de plus n'apporte pas de solutions à un avenir de plus en plus sombre et incertain. En nous situant dans le règne des arachnoïdes et des dinosaures on nous met face à Juraspark et non dans une lecture sereine et responsable de l'histoire et du devoir de rendre justice au million de Chahid ces témoins que jamais les archives françaises Nni les archives américaines ne livreront à la mémorabilité de leur histoire et de la notre.
Voici un texte qui éclaire les enjeux passés, présents et à venir sur le rapport de l'intellectuel à l'histoire algérienne. Il éclaire la position que doit prendre l'intellectuel : servir sans être asservi, témoigner sans être partisan, dire la vérité sans craindre le blâme d'un censeur. C'est une des meilleurs réponses que j'ai trouvé pour répondre aux questions que l'honnête homme doit se poser sur les déballages nauséabonds comme s'il y une volonté de cacher l'histoire, de pousser le peuple à devenir nihiliste et à faire une réconciliation entre "islamistes", socialistes et "troskystes" pour le gouverner au nom de la vérité historique, au nom de la victimisation, au nom de la lutte que se livre la France et les Etats-Unis et dont une fois de plus nous sommes le champ de bataille, la proie et la chair à canon sans que chacun ne rende compte au peuple ni ne lui indique le chemin clair de jour comme de nuit :
Le FLN vu par Malek Bennabi
par Sadek Sellam
Peu de temps après
son retour du Caire en Algérie dans l’été 1963, l’écrivain algérien
Malek Bennabi, que J. Déjeux trouvait « unique en son genre », a formulé
des jugements d’une grande sévérité sur le GPRA. Dans une conférence
publique prononcée à Alger en février 1964, il a en effet inséré des
incidents très polémiques dont les auditeurs, puis les lecteurs ne
connaissaient pas toutes les raisons : « pour la vérité historique, il
faudrait ajouter que ce sont les membres du GPRA qui avaient donné
l’exemple de cette course éperdue. Les uns lâchant tout un plan à
Tripoli où la rédaction du programme n’était même pas achevée,
rejoignent Tunis pour s’occuper de leurs “affaires personnelles” et
mettre au point leurs combines, avant de remettre les pieds sur le sol
natal, en libérateurs. Gouverner, c’est prévoir, dit-on. Le GPRA non
seulement n’a pas prévu la situation qui a suivi le cessez-le-feu, mais
il l’a précipitée par le comportement de ses membres [...]. Jusqu’au
jour où les libérateurs s’étaient précipités au Rocher noir pour
s’emparer du pouvoir, ils n’avaient en tête qu’une idée : réoccuper
l’Algérie à mesure que le colonialisme évacuerait ses propres forces,
afin que le peuple algérien n’ait aucune possibilité de leur demander
des comptes sur leur gestion » [ De l’idéologie. Conférence publiée d’abord dans Perspectives algériennes, Éditions Nahda, Alger, 1964. Reprise dans Malek Bennabi, Les grands thèmes, IPA, Alger, 1976, p. 84-85.)]
Textes inédits et écrits censurés
Sans doute pour démentir l’impression de prendre parti pour les contestataires du GPRA, l’auteur rédige, en 1967, un article exposant ses critiques sur l’ensemble de la conduite de la guerre par le FLN depuis la création du CCE et du CNRA en septembre 1956. Mais la publication de cet article non conformiste a été refusée par la rédaction de l’organe du FLN Révolution africaine où l’auteur tenait une chronique hebdomadaire.En 1970, Bennabi est revenu sur un sujet qui lui tenait à cœur, en publiant dans un ouvrage théorique des passages très critiques sur le rôle de Abane Ramdane qu’il juge beaucoup plus sévèrement que Messali Hadj [Mouchkilat al Afkar fi’l Alam al Islami, Le problème des idées dans le monde musulman, Dar al Fikr, Le Caire, 1970. La traduction française de ce livre est parue à Beyrouth à la fin des années 1970. Sa distribution en Algérie a été interdite également pour les mêmes raisons.]
Les méthodes de celui-ci n’étaient déjà pas bien vues par Bennabi qui l’avait connu de près dans les années 1930 à Paris [Bennabi, qui avait fréquenté, à Paris dans les années 1930, avec H. Bensaï, les trotskistes par le biais du peintre de Constantine, Atlan, partageait l’avis de Khaldi selon lequel « à partir de 1933, avec la parution du journal al Oumma (de Messali), les trotskistes commencent à s’intéresser au mouvement nationaliste nord-africain et particulièrement aux dirigeants qu’ils veulent endoctriner ». Préface à la 2e édition (1965) de A. Khaldi, Le problème algérien devant la conscience démocratique, Alger, 1946.]
C’est au moment de la parution, en 1980, de la traduction française du Problème des idées dans le monde musulman, que j’ai eu une copie d’un texte inédit écrit en arabe au Caire juste après la signature des accords d’Évian, dans lequel l’écrivain énumère ses dures critiques du FLN [Chahada min adjl millioune chahid (Témoignage pour un million de martyrs), par Malek Bennabi, écrivain algérien, texte arabe manuscrit de 8 feuillets. Bennabi, qui est resté au Caire plus d’un an après la fin de la guerre, a confié en 1962 ce texte à Ammar Talbi, qui était alors étudiant en Égypte (et est devenu professeur de philosophie à l’université d’Alger), pour qu’il le remette aux éditions Nahda à Alger, dans le but de le faire publier dans la presse par son ami le Dr Abdelaziz Khaldi (1917-1972), qui avait passé la guerre au Maroc, en tant que chef de service à l’hôpital de Bou-Djaad. Malgré ses entrées, et son courage, Khaldi n’a pas réussi à rendre public ce témoignage.]
En 1983, Salah Bensaï, qui était très lié avec Bennabi, m’a remis des copies d’une partie de la correspondance de l’écrivain avec le FLN, commencée en 1956 et interrompue en 1958 [S. Bensaï (1907-1990) était installé au Maroc depuis 1948 et Bennabi avec lui de nombreux échanges sur l’évolution de la révolution algérienne depuis leur étonnement commun d’avril- mai 1956 provoqué par leurs premiers contacts avec les responsables du FLN au Caire.]
L’examen de ces inédits permet de se faire une idée plus exacte des appréciations négatives de l’auteur sur les dirigeants du FLN, de trouver les raisons de cette sévérité pour dégager des enseignements sur le conflit entre le pouvoir algérien naissant avec un intellectuel engagé, de façon à compléter la connaissance des nombreuses crises internes du FLN. Pour expliquer ce conflit, il convient de mentionner, brièvement, le séjour de Bennabi au Caire de 1956 à 1963.
Le départ du Luat-Clairet au Caire du théoricien de la « colonisabilité »
[M. Bennabi était né en 1905 à Constantine. Il a grandi à Tébessa où son père avait été nommé khodja à la Commune mixte à sa sortie de la Medersa de Constantine. Le fils est passé également par cet établissement qui destinait à la magistrature musulmane et à l’enseignement de l’Islam. Après avoir exercé comme Adel (auxiliaire dans la magistrature musulmane) à Aflou et à Châteaudun du Rhummel, Bennabi se rend en 1930 à Paris où il décide de faire des études d’ingénieur à l’École spéciale de mécanique et d’électricité (Sudria). Il fréquente l’Union chrétienne des jeunes gens de Paris de la rue Trévise (Paris 9e) qui organisait régulièrement des débats religieux, philosophiques et politiques. En 1932, il est élu secrétaire général de l’AEMNAF où il défend les thèses de l’Islah et de l’unité maghrébine. Il était soutenu par son ami et maître Hamouda Bensaï (1902-1999), qui l’avait précédé à la Medersa de Constantine et préparait un mémoire sur Ghazali à la Sorbonne où il était lié avec Louis Massignon. C’est sous son influence que Bennabi s’est orienté vers les études sur l’Islam. Sur H. Bensaï, voir sa nécrologie par S. Sellam parue dans Islam de France, no 3, 1999. L’élève-ingénieur a fait partie également de l’association de l’Unité arabe lancée par des étudiants orientaux proches de l’émir Chékib Arslane. À partir de 1936, il se met à rédiger des textes restés pour la plupart inédits, L’Islam et le Japon en Asie (1940), et le PAS algérien (1939), PAS désignant le Parti Apolitique et Social. En 1937, il est à la tête du Cercle culturel du congrès musulman algérien, ouvert à Marseille par un groupe d’Algériens, dont Si Talmoudi, un ancien combattant de la Première Guerre mondiale. Bennabi a été profondément marqué par cette brève expérience qui l’a mis en contact direct avec les travailleurs algériens en France dont se désintéressaient les Zaïms, et qui lui a fait prendre conscience du soubassement éducatif de toute action politique. La branche marseillaise de la « Brigade spéciale de police nord-africaine » mettait les activités de ce centre très fréquenté sur le compte de la « subversion bolchévique », sans s’aviser des références nitzschéennes de Bennabi. Voir le livre hostile aux immigrés de J. Saint Germain, La grande invasion, Paris, Flammarion, 1939.Après la Deuxième Guerre mondiale, Bennabi publie Le phénomène coranique (Nahda, Alger, 1947) et Les conditions de la renaissance. Problème d’une civilisation (Nahda, 1949). Dans le premier livre, il dit avoir voulu décrire un « ordre spirituel » à l’intention des jeunes musulmans à la recherche d’un équilibre entre leur culture musulmane et leur formation moderne. Dans le second, il aborde un « ordre social ». Il poursuit la réflexion du deuxième ouvrage en publiant Vocation de l’Islam (Seuil, Paris, 1954), où il expose sa thèse sur la « colonisabilité ». De 1948 à 1955, il collabore à La République algérienne de Ferhat Abbas. Il écrit également dans le Jeune Musulman que dirigeait Ahmed Tewfiq al Madani, le secrétaire général de l’association des Oulémas.
En 1955, Bennabi rédige L’Afro-asiatisme. Conclusions sur la conférence de Bandoeng que les Éditions du Seuil acceptent de publier en suggérant toutefois d’y introduire quelques modifications que l’auteur refuse. En partant au Caire, il prend avec lui le manuscrit qu’il destinait à l’ambassadeur de l’Inde en Égypte dans le but de le faire éditer sous l’égide de Nehru.]
À la fin du mois d’avril 1956, Malek Bennabi décide de quitter la France où il vivait depuis 1930 pour se rendre au Caire où était installée la Délégation extérieure du FLN. Cet intellectuel difficilement classable qui partageait le sentiment nationaliste depuis 1925 [Mémoires d’un témoin du siècle, t. 1, L’enfant, SNEd, Alger, 1965.] et que les rapports du SLNA (Service des liaisons nord-africaines) du colonel Schœn citaient à la rubrique « réformisme », faute de mieux,- avait derrière lui un quart de siècle d’activités intellectuelles et politiques qui l’avaient mis en contact avec les cheikhs Ben Badis et Tébessi, le Dr Bendjelloul et Messali Hadj, et des membres clandestins de l’OS du Constantinois, où il a été interpellé lors du démantèlement de cette organisation para-militaire du MTLD en 1950. Son départ a lieu après son refus d’occuper un poste politique important proposé par le gouvernement Guy Mollet
[Lors d’une des séances de son séminaire hebdomadaire (qui continuait à Alger, à l’intention des étudiants, à partir de 1964, celui commencé au Caire en 1956), Bennabi a révélé : « Le colonialisme m’a proposé d’accepter un poste qui n’avait jamais été occupé par un musulman. » Par ailleurs, l’ancien délégué de Khenchela à l’Assemblée algérienne Abdelkader Barakrok dit avoir été choisi parmi une dizaine d’autres personnalités algériennes reçues par G. Mollet lors de sa fameuse et mouvementée visite à Alger en février 1956. Selon ce témoignage, le président du Conseil socialiste songeait déjà à faire entrer un musulman dans le gouvernement. A. Barakrok, qui a fini par être nommé secrétaire d’État dans le gouvernement de Bourgès-Maunoury en mai 1957 sur proposition de G. Mollet, affirme avoir été préféré aux autres personnalités pressenties parce qu’il avait abondamment cité, au cours de son entretien avec celui-ci, des passages du livre de Bennabi, Les conditions de la renaissance. Problème d’une civilisation (Nahda, Alger, 1949). Les autres délégués à l’Assemblée algérienne reçus par G. Mollet firent état de leurs connaissances de Montesquieu, de Tocqueville et de Renan. Cela faisait partie des tentatives de constitution d’une « Troisième force » qui rappelait celle qui visait à multiplier le nombre des « élus indépendants » aux élections de 1948 et de 1951 notamment. Mohamed Arkoun, qui venait d’être reçu à l’agrégation d’arabe en juin 1956, s’est vu proposer le poste de préfet par le cabinet du ministre-résident Robert Lacoste qui tenait beaucoup à l’émergence d’un courant aussi éloigné des « colonialistes » que des « séparatistes » (entretien avec M. Arkoun en juillet 2001).]
Il est accompagné par son ami de toujours, l’agronome Salah Bensaï. Frère de Hamouda, Salah Bensaï (1907-1990), venu spécialement du Maroc pour l’aider à traverser les Alpes, puis la Méditerranée via Gênes pour Alexandrie.
[Frère de Hamouda, Salah Bensaï (1907-1990) était natif de Batna. Après des études d’agronomie à l’École d’agriculture de Maison Carrée, il se spécialise dans l’agriculture tropicale à l’École d’application de Nogent-sur-Marne de l’Institut national d’agronomie de Paris. Après avoir travaillé à l’OFALAC d’Oran, il est nommé, en 1937, directeur de l’Agriculture en Guyane. En 1943, il fait partie des collaborateurs du gouverneur de l’AOF. Il est candidat à Batna aux élections pour la Constituante de 1945, sur la liste du Dr Boumali, de l’avocat Benbahmed et de l’instituteur Tahrat. Après avoir représenté en Amérique la Société Amal de Tiar et de Abbas Turki, il se met à son compte en ouvrant en 1948 une usine de traitement du crin végétal à Ouezzan au Maroc. Après l’indépendance de l’Algérie, il refuse le poste de directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture Ammar Ouzzegane, en raison d’un désaccord sur la nationalisation des terres des colons, puis celui de conseiller de Boumédiène pour les questions agraires, et préfère rester au Maroc jusqu’à sa mort en août 1990. Voir S. Sellam, « Disparition de Salah Bensaï, un ancien compagnon de Bennabi », Mottamar, Paris, 1er trimestre 1991. L’agronome R. Miette le mentionnait encore en 1986 dans une étude sur la crise de l’agriculture algérienne qu’il impute en partie à l’absence d’un expert aussi qualifié que l’ « Aurésien S. Bensaï » (revue du CHEAM, Afrique et Asie Modernes, numéro de 1986]
Les deux intellectuels avaient le sentiment d’une certaine légitimité nationaliste, malgré une attitude critique vis-à-vis des partis algériens et également de l’association des Oulémas dont ils étaient proches, tout en déplorant les insuffisances de certains de ses dirigeants. Bennabi avait sévèrement reproché à Ben Badis d’avoir mis, à l’occasion du Congrès musulman algérien de 1936, une formation religieuse à la disposition de politiciens dont il contestait la légitimité et les méthodes. Il avait cinglé ces amateurs de « boulitigue » (mot péjoratif de l’arabe parlé algérien désignant « la politique politicienne », mâtinée de combiazione italienne) ainsi que la « démagogie » attribuée à Messali-Hadj. « Le devoir est aussi une politique », rappelait-il aux tribuns qui faisaient régulièrement la quête pour aller réclamer « les droits à Paris » [Dans un numéro de La République algérienne de 1953 (cité de mémoire).]
Tout en vilipendant le colonialisme [Le colonialisme est qualifié de « totalitaire ». M. Bennabi, Vocation de l’Islam, Le Seuil, Paris, 1954, p. 97 ; l’ « œuvre coloniale est un immense sabotage de l’histoire », ibid., p. 101 ; l’ « Europe qui devait éclairer la marche de l’humanité, a fait du flambeau de la civilisation une simple torche incendiaire », ibid., p. 118.]
Bennabi condamnait la politique qui se limitait à un réquisitoire anticolonialiste en négligeant d’aborder les sérieux problèmes internes de la société musulmane et en faisant l’économie d’un effort éducatif conséquent. La notion de « colonisabilité » lui sert à résumer tous les complexes paralysants nés de la crise interne de l’Islam qui avait rendu possibles les conquêtes coloniales. Pour être à la hauteur des responsabilités postcoloniales, les ex-colonisés lui paraissaient devoir se débarrasser de tous ces obstacles psychologiques. Toute politique qui négligerait cet effort pédagogique préalable lui paraissait vaine. Les commentaires favorables à ce concept de « colonisabilité » dans les revues et journaux français faisaient croire aux militants nationalistes avides d’apologie que son auteur faisait le « jeu du colonialisme », consciemment ou non
[Cette
grande demande de littérature apologétique a valu au livre du musulman
du Caucase établi à Paris en 1921 Haïdar Bammate (Visages de l’Islam,
Payot, Lausanne, 1946) un grand succès parmi les jeunes nationalistes
algériens francophones. Bennabi a été amené à dénoncer l’évasion et la
nostalgie qui résultent de la lecture des ouvrages apologétiques comme
Le soleil d’Allah brille sur l’Occident de l’allemande S. Hunck, dont il
a déploré l’effet dans L’œuvre des Orientalistes et son influence sur
la pensée musulmane moderne, Éditions Révolution africaine, Alger, 1968.
Il préférait inciter à plus de sens des responsabilités en introduisant
le maximum d’exigences morales et intellectuelles dans le débat
politique. D’où l’irritation provoquée par ses interpellations
dérangeantes au sein de la classe politique algérienne postcoloniale.]
Depuis l’aggravation de la situation en Algérie, une voiture des Renseignements généraux suivait ses déplacements du haut de la colline qui surplombe sa petite maison [Entretien, en 1984, avec Mme Goupil, sa voisine à qui il a confié avant son départ : « On me guette. » Selon cette dame à la mémoire phénoménale, il y avait effectivement une voiture des Renseignements généraux qui surveillait régulièrement ses mouvements depuis l’aggravation de la situation en Algérie.]
Il a préféré se soustraire à cette surveillance pour s’engager dans le combat anticolonial plus activement que dans ses articles critiques [Il a publié une centaine d’articles dans La République algérienne comme : la lettre ouverte au Cheikh El Assimi, à propos des ingérences administratives dans les affaires du culte musulman, une autre à Borgeaud après le refus de l’investiture à P. Mendès France, la réponse aux articles sur l’Afrique du Nord publiés dans Le Monde par R. Montagne, la réaction au refus de Mohamed Bedjaoui au concours de l’ENA, la condamnation de l’assassinat de Hédi Chaker, la polémique avec l’agronome R. Miette à propos de la réforme agraire en Égypte...]
Relations conflictuelles avec les « Zaïms » du FLN au Caire
Mais à son arrivée au Caire, un militant comme le Dr Lamine Debaghine lui reproche ses écrits sur la « colonisabilité » et s’en méfie, malgré le bon accueil de Khider et de Ben Bella [« Voilà encore des parachutés de Paris », a chuchoté le Dr Lamine à son voisin de table en voyant arriver Bennabi et Bensaï. C’était la période où le FLN du Caire redoutait surtout l’arrivée des messalistes et laissait s’installer des intermédiaires venus proposer leurs services pour des négociations avec le gouvernement G. Mollet, ou des musulmans proches des partis comme le MRP, le parti radical et la SFIO voulant prendre la température. Bennabi a tenté de mettre en garde Ben Bella contre cette catégorie d’hommes politiques et notamment ceux qui sont arrivés dans le sillage de F. Abbas qui avait rallié le FLN au Caire le 23 avril 1956, après avoir eu des entretiens au gouvernement général à Alger et dans plusieurs ministères à Paris (entretiens avec S. Bensaï).]Bennabi a fait quelques émissions à la « Voix des Arabes » où il a accepté de travailler un temps sous le contrôle du « grand cadi » Lakhdari, qu’il contestait au même titre que tous les autres « intellectomanes » auxquels il avait réservé des passages incendiaires dans ses écrits.
Après l’édition de L’Afro-asiatisme (novembre 1956) par la maison gouvernementale égyptienne, il propose au FLN de le mandater pour expliquer la cause algérienne [L’ambassadeur indien avec lequel Bennabi était en correspondance, et qu’il avait sans doute vu lors de son passage au Caire en juillet 1954, a été muté juste avant l’arrivée de l’écrivain et le projet d’édition à New Delhi a été abandonné.] Mais les dirigeants du FLN ne donnent pas suite à cette demande. La publication du livre sur Bandoeng et l’édition de la traduction arabe des Conditions de la renaissance rapprochent Bennabi des dirigeants égyptiens (qu’il préférait aux Frères musulmans et, surtout, aux émirs séoudiens) qui le nomment conseiller à l’organisation du Congrès musulman dont Anouar Sadate était le secrétaire général [La maison Dar al Orouba qui a édité Les conditions de la renaissance a mis Bennabi en rapport avec le cheikh Baqouri, un ancien Frère musulman qui avait accepté d’être le ministre des Waqfs de Nasser contre l’avis du guide de la Confrérie, El Hodhéibi, et avec le cheikh Al Ghazali. Il est devenu l’ami de Kamel Eddine Husséin, un « officier libre » nommé ministre de l’Éducation nationale. Ce sont ces relations qui ont aggravé les rapports déjà conflictuels de Bennabi avec les dirigeants du FLN qui devaient faire anti-chambre avant de se faire recevoir par les responsables égyptiens.]
Le FLN ne juge plus utile de répondre à ses courriers, dont une lettre demandait son affectation dans une unité de l’ALN pour commencer à écrire son histoire [Document inédit conservé par S. Bensaï donnant la liste des lettres de Bennabi aux chefs du FLN (Abbas, Lamine, T. Madani, Ben Khedda, Ouamrane...) qui sont restées sans réponse. L’écrivain a remis en vain à Lamine Debaghine une lettre ouverte datée du 5 novembre 1956 expliquant à G. Mollet les raisons de son soutien à la révolution algérienne, pour la faire lire « au programme de radio-diffusion quotidien du FLN sur l’antenne du Caire ». La traduction arabe d’une de ces lettres a été publiée dans M. Bennabi, Fi Mahab al Ma’raka (Dans le souffle de la bataille), Dar al Orouba, Le Caire, 1961, p. 104-106. L’auteur entendait réagir à une campagne de rumeurs lui reprochant d’être resté « au-dessus de la mêlée ».]
Bennabi se consacre à l’édition des traductions arabes de ses livres, prononce des conférences en Égypte, en Syrie et au Liban et compose d’autres ouvrages, directement rédigés en arabe, ou écrits en français puis traduits par le futur avocat libanais Kamel Mesqaoui (qui a été récemment ministre à Beyrouth) et l’égyptien Abdessabour Chahine, sans s’arrêter de protester contre les éditions pirates, au Liban et en Irak notamment, des plus en vue parmi ses publications.
Témoignage pour le Cheikh Larbi Tébessi et protestation contre le massacre de Mélouza
Mais l’actualité lui donne l’occasion d’émettre des jugements sur le FLN à différentes reprises.
L’enlèvement du cheikh Larbi Tébessi, à Alger le 8 avril 1957 l’a fait sortir de sa réserve momentanée, car le vice-président de l’association des Oulémas a été présenté comme « un grand traître qui travaillait de connivence avec le colonialisme » [Dépêche de l’agence AssociatedPress citée dans la lettre de mise au point de Bennabi datée du 10 avril 1957, dont une copie a été adressée à S. Bensaï qui vivait entre Casablanca et Ouezzan au Maroc.] Dans une mise au point proposée à la presse, Bennabi rappelle qu’il connaît personnellement depuis trente ans « la personnalité religieuse algérienne » enlevée. Il témoigne que L. Tébessi « est unanimement estimé dans le pays à cause des services rendus à sa renaissance morale et à l’organisation de son enseignement libre ». Au nom de sa « conscience d’honnête homme » et de son « devoir en tant qu’Algérien conscient de la gravité d’une situation où le colonialisme peut, désormais, assassiner son ennemi en collant sur son cadavre l’étiquette de la trahison », il entend, « devant Dieu et devant l’Histoire défendre l’honneur et la mémoire d’un homme qui n’a jamais transigé sur les principes.
En même temps, il est de mon devoir, en tant qu’écrivain engagé dans la lutte anticolonialiste depuis un quart de siècle, de dénoncer ici une situation où les forces incontrôlables qui ont abattu Mustapha Ben Boulaïd – qui était l’incarnation de la révolution – menacent désormais l’honneur et l’existence de tout Algérien honnête » [Lettre citée. Bennabi est resté marqué par l’enlèvement de L. Tébessi puisque, onze après, il a dédié son livre Islam et démocratie, Édition Révolution africaine, Alger, 1968, à « cet homme dont la postérité ne trouvera même pas le nom sur une pierre tombale... »]
À S. Bensaï, Bennabi fait part de son « impression que la sinistre bande qui est ici ne fera pas de démenti » [Lettre datée du 10 avril 1957 adressée à S. Bensaï en même temps que le démenti concernant L. Tébessi. L’association des Oulémas a publié un communiqué dans lequel elle révèle, « afin d’éclairer sur le sens de cette arrestation » que « depuis quelques mois, le Cheikh L. Tébessi était l’objet de pressions et de manœuvres [...] pour faire de lui “un interlocuteur valable” ; sa position ferme et sa solidarité totale avec le peuple en lutte pour son indépendance nationale ont dû exaspérer les services administratifs de M. Lacoste ». SHAT, 1H2589, Résistance algérienne du 29 avril 1957. Les détracteurs d’Abane Ramdane affirment qu’il était lui-même indisposé par l’intransigeance de L. Tébessi.]
Cela en dit long sur l’aggravation de son désaccord avec les « intellectomanes » qui venaient de rejoindre le FLN [Bennabi vilipendait les faux intellectuels qui s’engagent en politique après avoir fait l’économie d’une réflexion approfondie sur la nature des problèmes auxquels ils sont incapables d’apporter des solutions. Il a utilisé ce terme pour la première fois en 1936 dans l’article « Intellectuels ou Intellectomanes ? » écrit en réponse à celui de Ferhat Abbas « La France, c’est moi ». Lamine Lamoudi, qui dirigeait le journal La Défense, a refusé de publier cet article « pour ne pas compromettre l’avenir de F. Abbas », comme il l’a expliqué à Bennabi quand il est venu à Paris avec Ben Badis dans la délégation du Congrès musulman algérien, en août 1936. Voir Mémoires d’un témoin du siècle, t. 2, L’étudiant (en arabe), Dar al Fikr, Beyrouth, 1970. Une copie de cet article censuré a été conservée à Batna par Hamouda Bensaï qui a pu le publier dans un journal à Constantine en... 1990 !]
Dans la brochure SOS-Algérie qui a été publiée, en arabe et en français, après le massacre de Mélouza du 29 mai 1957, Bennabi « demande à Dieu de faire revenir la direction du FLN sur la bonne voie ». Cela lui vaut le retrait de la brochure de la vente et une menace de connaître le même sort que Chadli Mekki [Militant du PPA installé au Caire depuis 1945, C. Mekki a été arrêté en 1956 par la police égyptienne à la demande de Ben Bella et de Khider qui lui reprochait son messalisme. F. Abbas l’a fait libérer en 1960, à la demande du commandant Brahim Mezhoudi, originaire de Tébessa comme lui.
En décembre 1957, à l’occasion de la réunion au Caire de la deuxième conférence afro-asiatique, Bennabi se fonde sur les théories exposées dans son livre sur Bandoeng pour critiquer la délégation représentant le FLN. Il lui reprochait notamment de faire acte de présence, de manquer d’originalité et de ne rien proposer. Ces reproches lui tenaient à cœur après l’indépendance et il les a reformulés dans un éditorial de Révolution africaine, où il est revenu sur le « deuxième Bandoeng » qui commençait à décevoir les espoirs suscités par la réunion d’avril 1955 : « Quant à la délégation du FLN, elle ne trouva rien de mieux à faire que de faire entendre de la tribune des peuples afro-asiatiques, non pas la voix de la révolution algérienne, mais d’un bout à l’autre les citations de la presse “progressiste” de L’Express à L’Observateur. Sans parler des faux écrivains désignés par le GPRA pour représenter l’Algérie au premier congrès des écrivains afro-asiatiques à Tachkent, en septembre 1958. » [« La mission des élites africaines », Révolution africaine du 13 août 1967, repris dans M. Bennabi, Pour changer l’Algérie, Société d’Édition et de Communication, Alger, 1989, p. 238. Le refus de cette dépendance intellectuelle lui a inspiré, après 1963, des passages ironiques sur « l’esprit Bien Vacant », au moment où l’attribution des « biens vacants » laissés par les Français d’Algérie était devenue un des principaux enjeux des querelles politiques algériennes, aux dépens du débat d’idées.]
À la parution, en 1958, du livre de Serge Bromberger sur les Rebelles algériens, Bennabi le signale au Dr Lamine pour lui faire remarquer qu’il ne servait à rien de lui demander de se taire pour éviter au « colonialisme d’être au courant de nos divisions », puisqu’un de ses auteurs sait sur la révolution ce que ses dirigeants eux-mêmes ne savent pas toujours.
Interruption des relations épistolaires avec le FLN
À partir de cette date, les contacts avec ce qu’il appellera les zaïmillons deviennent rares et Bennabi se consacre entièrement à son œuvre, après avoir constaté l’échec de sa tentative de jouer un rôle actif au profit de la révolution algérienne. Il avait renoncé à percevoir l’aide financière que lui versait le FLN en tant que réfugié au Caire [Dans une lettre à la délégation du FLN au Caire datée du 29 janvier 1958, Bennabi annonce son refus de continuer à percevoir cette mensualité de 25 livres égyptiennes, dont le versement avait été interrompu un temps par le Dr Lamine qui entendait sanctionner ainsi l’écrivain pour son esprit critique. « Mon renoncement était motivé par le fait que cette mensualité constituait en quelque sorte un lien de complicité entre les délégués du FLN et moi-même », Tableau analytique de ma correspondance avec la délégation du FLN au Caire depuis juillet 1956. Document daté du 18 juillet 1958, dont une copie a été conservée par S. Bensaï.
Lamine Debaghine est né en 1918 à Hussein-Dey. Docteur en médecine, il faisait partie de « l’aile extrémiste du PPA. Il aurait songé à créer un organisme analogue aux Frères musulmans. [...] C’est un pur, incapable de transiger, pratiquant sa religion, ne vivant que dans l’idée de l’Islam, de l’arabisme et de la patrie algérienne. Il condamne ouvertement tous ceux qui pactisent ». SHAT, 1H1241, Notice individuelle du SLNA. Dossiers du secteur d’Alger-Sahel. Le Dr Lamine a été envoyé en 1956 au Caire par Abane Ramdane pour contester le rôle de Ben Bella avec lequel Bennabi a commencé par avoir de bons rapports avant l’arraisonnement de son avion le 22 octobre 1956.
Il est probable que ce militant islamisant ait pris ombrage de l’arrivée d’un théoricien de l’Islam susceptible d’avoir la confiance des chefs de l’ALN, du moins ceux qu’il connaissait personnellement dans le Constantinois. Bennabi fait allusion à cette rivalité en parlant de « la volonté sourde et tenace qui m’a systématiquement écarté de tout ce qui touche à la révolution, comme si cette volonté omniprésente [...] avait voulu mettre une séparation étanche entre les idées pour lesquelles j’ai lutté et la conscience algérienne ». Tableau analytique de ma correspondance avec la délégation du FLN au Caire...18 juillet 1958. Il va sans dire que les colonels de l’ALN passés à l’extérieur ont été décevants aussi bien pour les combattants restés à l’intérieur que pour Bennabi qui critique les colonels Boussouf et Krim Belkacem aussi sévèrement que F. Abbas et le Dr Lamine.]
Dans une lettre à « Messieurs du FLN et de l’ALN au Maroc », écrite le 18 juillet 1958 à propos de la réédition dans ce pays de SOS-Algérie, l’écrivain tient « à dissiper une idée qui pourrait fausser totalement votre jugement : je ne suis candidat à aucune charge officielle dans le futur État algérien. Par conséquent, je juge le comportement de M. Lamine et de ses camarades de la façon la plus désintéressée, avec la conviction d’accomplir un simple devoir ». Ce renoncement aux honneurs l’a amené à rester au Caire, où il était pris par la publication de nombreux textes. Il est rentré en Algérie plus d’un an après le cessez-le-feu, après l’insistance de Khaldi (qui a été proche de Ben Bella, jusqu’aux premiers désaccords apparus après la rédaction de la « Charte d’Alger » à l’issue du congrès du FLN d’avril 1964, puis de Boumédiène) pour le convaincre d’occuper le poste de recteur de l’Université d’Alger, puis celui de directeur de l’enseignement supérieur.
Ce sont sans doute les observations recueillies au Caire sur la conduite des « intellectomanes » devenus chefs du FLN qui ont inspiré à Bennabi les principales idées de son livre sur La lutte idéologique dans les pays colonisés [As Sira’ al Fikri fi’l Bilad al Mousta’mara, Dar al Ourouba, Le Caire, 1960. Des passages de ce livre ont été traduits par Anouar Abdelmalek dans son Anthologie de la littérature arabe contemporaine, Le Seuil, 1965.] Il y étudie des aspects de la « guerre psychologique » moderne et déplore la dépendance intellectuelle qui amène à prendre comme maître à penser Sartre, pour les uns, et Mauriac pour d’autres. Cette démission dans le domaine de la pensée lui paraissait inadaptée aux exigences de l’édification d’une nation indépendante, et laissait prévoir en partie les échecs postcoloniaux.
Le problème des « interlocuteurs valables »
C’est par les thèmes de la dissimulation et de la manipulation exposés déjà dans ce dernier livre que débute le témoignage de mars 1962 qui impute aux « mains invisibles de Paris et d’Alger » le maintien d’une obscurité autour des principaux épisodes de la guerre. Selon Bennabi, la recherche des « interlocuteurs valables » par le gouvernement G. Mollet en vue de trouver une solution négociée a été un tournant dangereux dans toute l’histoire de la révolution algérienne.Depuis l’annonce du tryptique – « cessez-le-feu, négociations, élections » –, les contacts se sont multipliés et le nombre des intermédiaires accru. Il y a eu la rencontre secrète à Alger entre Abane Ramdane et Me Verny, un avocat dépêché par P. Mendès France quand celui-ci était encore membre du gouvernement G. Mollet [Entretien avec Benyoussef Benkhedda, Alger, mars 2002. Abane Ramdane a exigé que tout accord soit garanti par les autorités religieuses et par des organisations internationales.]
Moins mystérieuses étaient les initiatives de Farès qui a cherché à voir Benkhedda et Abane Ramdane, sans doute à la demande du gouvernement, bien avant la parution en septembre 1956 dans Le Monde de l’interview dans laquelle il recommandait ouvertement la négociation avec le FLN [Un récit détaillé de ces contacts est fait à partir de l’interrogatoire d’Arezki Oucharef, ami commun de Benkhedda et de Farès qui a été arrêté durant la bataille d’Alger. SHAT , Carton 1H1241.]
Il y a eu également la tentative de Hamza Boubakeur qui voulait être préféré à tous les autres « interlocuteurs valables » en essayant de parler au nom de la wilaya 1 des Aurès. Par l’entremise de Me Mallem, un de ses anciens élèves du lycée Bugeaud devenu avocat à Batna, Boubakeur (qui était par ailleurs conférencier sur l’Islam du 5e Bureau chargé de l’Action psychologique depuis 1955) [SHAT, 1H2408, Programme d’instruction du stage « AFN » de guerre psychologique ; octobre 1955] a pu avoir l’accord d’Omar Ben Boulaïd qui a succédé à son frère Mustapha comme chef politico-militaire de la wilaya des Aurès. Mais l’interception du courrier adressé par Mallem a valu à Si Hamza une perquisition des paras dans son domicile de la Redoute en décembre 1956. Le professeur d’arabe dit avoir agi à la demande de membres éminents du cabinet civil du ministre-résident R. Lacoste, le colonel Schœn et Lucien Paye qui sont restés dubitatifs, sans doute par refus d’assumer la paternité d’une opération non concluante [SHAT, 1H1610. C’est après cette déconvenue que H. Boubakeur (1913-1995) est venu s’installer à Paris. Il avait une carte de la SFIO, et une autre du MRP. Celle-ci l’avait rapproché de L. Massignon le président du jury d’agrégation d’arabe qu’il a passée après son échec aux élections de 1948 de l’Assemblée algérienne, et sa vaine tentative de devenir le chef de la confrérie des Ouled Sidi Cheikh contre l’avis de ses moqaddems (entretien avec Cheikh Bouamrane, mars 2002, et rapports du SLNA, 1949). G. Mollet lui a promis de le nommer recteur d’académie. Mais devant les hésitations de l’Éducation nationale, le président socialiste du conseil l’a « agréé » « recteur » de la mosquée de Paris. Le Conseil d’État a dénoncé ce coup de force dû à une contestable application à l’Islam en France des pouvoirs spéciaux votés en mars 1956. Boubakeur est devenu un fervent partisan du détachement du Sahara de l’Algérie, avec Max Lejeune et le général Pigeot. Voir Cheikh Ibrahim Bayyoud, A’amali fi ath Thaoura (Mes activités durant la révolution), Éditions Djamiat at Tourath, Ghardaïa, 1990. Pour avoir contrarié les desseins politiques de H. Boubakeur, I. Bayyoud, qui était le chef de la communauté ibadite du M’zab, est durement attaqué par ce personnage qui se réclamait tantôt de la politique, tantôt de la religion, dans son Traité moderne de théologie musulmane, Maisonneuve-Larose, Paris, 1985.]
Il y a eu d’autres candidats au statut d’interlocuteurs valables : en février 1956, le cheikh B. Brahimi a écrit de Ryad à Tewfiq Madani, le secrétaire général de l’association des Oulémas qui était encore à Alger pour lui demander de convaincre le gouvernement de négocier avec lui. Il a ajouté une recommandation d’associer F. Abbas à ces pourparlers, « compte tenu de son expérience »[SHAT, 1H1244.]
Il y avait également les contacts d’Abdelmadjid Mécheri (frère du préfet Cherif Mécheri qui était un collaborateur du président Coty) avec Ben Bella au Caire, avec l’accord de G. Mollet [Entretien avec l’ancien secrétaire d’État Abdelkader Barakrok.]
Le cadi Lakhdari aurait effectué des missions similaires avant de s’installer au Caire [Entretien avec Ahmed Foitih (ancien collaborateur de N. Bammate à l’Université Paris VII) qui avait rencontré le cadi.]
Bennabi était au courant d’une partie de ces contacts que la presse ébruitait de temps en temps [Bennabi était en contact avec un groupe d’officiers syriens qui faisaient un stage à l’École militaire à Paris. Par eux il était au courant de ce qui se disait dans les milieux militaires français sur l’évolution de la guerre en Algérie et des tentatives de négociations.] Lors d’une rencontre, en compagnie du Dr Khaldi notamment, avec C. Bourdet au siège de France-Observateur en février 1956, ce dernier leur a expliqué que G. Mollet veut négocier, mais qu’il ne le fera pas avec les « militaires ». « Cette opinion mettait en cause, visiblement, la structure même de la révolution [...] Notre ami posait alors indirectement mais clairement [...] le problème de l’ “interlocuteur valable”. » [« Retour aux sources », article écrit pour Révolution africaine, mais non publié. Une copie a été conservée par S. Bensaï.]
Contestation radicale de la ZAA et du Congrès de la Soummam
Selon Bennabi c’est en raison de ce problème que la « révolution algérienne, qui suivait son cours normal, prît le 20 août 1956, le chemin du congrès de la Soummam » [Ibid. Le colonel Ali Kafi confirme ce point de vue en révélant que le congrès du 20 août 1956 avait pour finalité l’accélération des négociations avec le gouvernement français. « L’an prochain à la rue d’Isly », a dit Ben M’hidi, selon Kafi qui était à ce congrès dans la délégation de la wilaya 2, sans toutefois participer aux travaux. Voir Mémoires d’Ali Kafi (en arabe), la Casbah, Alger, 2000. Lors d’une rencontre organisée sur la « Base de l’Est » à Souk-Ahras en mars 2000, le colonel Benaouda a déclaré que « le congrès de la Soummam a été une erreur » (entretien avec A. Mahsas, avril 2000).Par ailleurs, l’analyse des documents récupérés sur Zirout Youssef, qui a été tué au combat le 26 septembre 1956 près d’El Harrouch (Nord-Constantinois), a permis au 2e Bureau de conclure que l’ouverture des négociations était prévue pour octobre 1956 et que les modalités d’application du cessez-le-feu aux échelons inférieurs avaient été examinées au congrès de la Soummam. Note de renseignement du 2e Bureau de l’état-major de la Xe Région militaire, 9 octobre 1956. SHAT, 1H1613. La négociation était assimilée à une trahison par l’émir Abdelkrim Khattabi. Le héros de la guerre du Rif condamnait notamment les négociations séparées des Tunisiens et des Marocains avec la France, qui contrariaient le projet de guerre de libération à l’échelle de tout le Maghreb. SHAT, 1H2583. Bennabi et S. Bensaï ont rencontré l’émir Abdelkrim et son frère Abdesslem dès leur arrivée au Caire en mai 1956.]
Il « laisse à l’historien l’étude de l’organisation matérielle de cette réunion » [Ibid. Bennabi note également la disparition du titre de « Cheikh », qui était utilisé pour désigner des chefs charismatiques comme Zirout Youssef, Chihani Bachir et Mustapha Ben Boulaïd, au profit des grades empruntés à l’armée française et aux armées orientales (Sagh al Awal, Sagh Thani). Dans le récit de l’évasion en 1955 de M. Ben Boulaïd de la prison d’El Koudia de Constantine, Tahar Z’biri (qui faisait partie des évadés et finira colonel, cpm de la wilaya 1), révèle que le premier chef de la Zone 1 (des Aurès-Nememchas) était appelé « le cheikh Mostfa » et dirigeait la prière collective. Ce récit a été publié dans un ouvrage collectif paru en arabe récemment à Alger (cité de mémoire).]
Il note que ce congrès « modifie fondamentalement les structures de la révolution, en mettant le CCE à la place du NIDHAM », supprimant d’ailleurs le mot lui-même du vocabulaire révolutionnaire... Mais le congrès de la Soummam comptera surtout par le bouleversement qu’il avait apporté dans la hiérarchie révolutionnaire elle-même : le pouvoir qui était entre les mains des Moudjahidines, des combattants, passent entre les mains des « politiques ». En somme, le problème de l’ « interlocuteur valable » était inscrit entre les lignes, sinon dans les lignes, au programme du congrès. « Je note simplement que le vœu du journaliste parisien a été exaucé. Simple vœu ou suggestion par personne interposée ? »[Ibid.]
Bennabi propose au chercheur d’examiner attentivement l’évolution qui a conduit au renversement du congrès de la Soummam. Il observe que cela avait été précédé par le statut particulier conféré à la zone autonome d’Alger. « Je pose la question : y a-t-il eu dans l’histoire de toutes les révolutions, sauf la nôtre, quelque chose de comparable à ce qu’on a baptisé dès le début de 1955, la zone autonome d’Alger, la fameuse ZAA ? » [Ibid. Après l’arrestation de Rabah Bitat (chef de la Zone 4), le 23 mars 1955, Alger a été déclarée zone autonome par Krim et Ouamrane sans consultation des autres responsables de la révolution. Abane Ramdane, qui assistait Bitat pour la propagande depuis sa libération de prison en janvier 1955, est devenu chef de la ZAA dont la création lui a permis d’être l’égal des autres artisans du 1er novembre 1954, puis « chef d’orchestre ». Voir M. Belhocine, Le Courrier Alger - Le Caire, 1954-1956, Casbah Éditions, Alger, 2000, p. 42. L’ascension fulgurante d’Abane Ramdane, dont les qualités d’organisateur sont incontestables, s’est faite grâce aux tout premiers coups de force de l’histoire de la révolution algérienne.
Après le départ du CCE d’Alger, la ZAA a conseillé l’abandon du préalable de la reconnaissance de l’indépendance pour permettre aux négociations d’avancer. Voir SHAT, 1H1612. Documents récupérés à l’arrestation de Yacef Saadi en septembre 1957. Un responsable de la ZAA, Kamel (Hadj-Smaïn) a pu se rendre d’Alger à Tunis en juillet 1957 pour recommander plus de souplesse dans les négociations. Ce déplacement était sans doute destiné à faciliter la mission de Gœu-Brissonnière qui avait fait escale à Alger pour y rencontrer Lacoste avant d’aller à Tunis proposer au FLN, au nom du gouvernement de Bourgès-Maunoury, l’ouverture des pourparlers. Cf. J.-Y. Gœu-Brissonnière, Mission secrète pour la paix en Algérie, Lieu commun, Paris, 1992. Voir également la lettre manuscrite au CCE écrite de prison par Y. Saadi et reproduite dans les Mémoires de Salan.]
Pour Bennabi, la ZAA a été le « premier faux pas » de la révolution d’où ont découlé tous les autres : « le congrès de la Soummam, le GPRA, le wilayisme, le régionalisme, le “Bien Vacant”, et l’UGEMA – il ne faut pas l’oublier – qui a préparé ces “lendemains qui chantent” dans certains cafés de la rue Didouche-Mourad » [« Retour aux sources », article censuré par Révolution africaine. Bennabicritique l’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens, devenue après 1962, UNEA : Union nationale des étudiants algériens dirigée par des marxistes) qui a été créée en 1955 à Paris à la suite d’un désaccord opposant des étudiants islamisants à des laïcisants se réclamant du marxisme.]
On apprend dans ce document inédit que le cheikh L. Tébessi avait « exprimé son étonnement » devant cette exception à la règle de l’unité du commandement. Lénine aurait déclaré une « zone autonome de Moscou, le foyer de la contre-révolution qu’il faut anéantir avant la contre-révolution de Wrangel »[Ibid] Bennabi se permet une sévère comparaison avec Mouçaïlima, le faux prophète qui voulait partager l’Arabie avec Mohamed : « En somme, Mouçaïlima voulait sa ZAA... »[Ibid].
Il met en cause nommément Abane Ramdane qui « s’est prêté au jeu de l’illusionniste pour décapiter la direction de la révolution qui avait lancé son volant le 1er novembre 1954, pour usurper son pouvoir et tenter de l’utiliser contre la révolution elle-même » [Le problème des idées dans le monde musulman, édition El Bay’yinate, Alger, 1990, p. 104. Ce jugement est à comparer avec celui des services français : « Les anciens responsables de l’UDMA (Abbas, Francis, Aït Ahcène..) ayant pris rang parmi les leaders du FLN poursuivant leur pression auprès des intellectuels musulmans (anciens UDMA) afin de les rallier au FLN. Cette manœuvre préconisée par Abane Ramdane leur servirait pour prendre la direction effective du FLN à l’extérieur, afin d’éliminer les éléments intransigeants pour faciliter l’ouverture des négociations, sur un programme plus souple, avec le gouvernement français », SHAT, 1H1247, Synthèse mensuelle de renseignement, Secteur d’Alger-Sahel, Zone Nord-Algérois, août 1957. ]
Après la Soummam, « la révolution n’eut plus une direction, mais une intendance qui pourvoyait d’ailleurs à des besoins d’apparat plus qu’aux besoins des combattants »[Ibid., p. 118.]
Abandon de l’ALN par les politiques de l’extérieur
Le reproche d’abandon des combattants de l’intérieur est sévèrement formulé dans le texte rédigé en arabe en 1962. « Le commandement français a pu ériger en toute quiétude la ligne Morice électrifiée, et la nouvelle direction de la révolution n’a rien fait pour s’attaquer à ce barrage, ni même pour retarder son achèvement. Dans le même temps, cette direction interrompt l’approvisionnement de l’ALN en armes et en munitions. »[Témoignage pour un million de martyrs.]Pour les Zaïms, « l’Armée servait surtout pour les revues organisées en présence des journalistes à la frontière pour leur propre publicité »[Ibid.]
Le congrès de la Soummam est encore vilipendé pour avoir affirmé la primauté du politique sur le militaire, ce qui revenait à « mettre Ben Boulaïd et ses frères moudjahidines sous l’autorité de MM. F. Abbas, Francis, etc. » [Ibid. L’entrée des chefs de l’UDMA et des Centralistes dans le FLN était critiquée dans l’ALN. Voir la protestation du conseil de la wilaya 4 réuni en décembre 1956 sous la présidence du colonel Si Arezki (alias Ouamrane), SHAT, H1613.] Il s’agit d’un coup de force qui a écarté « ces héros qui avaient créé l’ALN » au profit des « politiciens qui, pour la défense de leurs intérêts, ont créé un syndicat qu’ils ont baptisé “Front de libération nationale” pour abuser le peuple avec des mots » [Ibid.]
Bennabi s’interroge sur l’intégrité de « Abderrahmane Yalaoui à qui ont été confiées les finances du FLN à Damas », le patriotisme de « Lakhdari à qui il a été permis de s’adresser au peuple algérien par La voix des Arabes, alors que nous savons qui il est », et même la compétence de M’hamed Yazid
[Ibid.,
A. Yalaoui a été le représentant des Oulémas en France à la fin des
années 1940. Bennabi était conférencier dans les Nadis ouverts par les
Oulémas à l’intention des travailleurs immigrés, malgré ses désaccords
avec les délégués dépêchés par Ben Badis et, surtout, Brahimi. Le cadi
Lakhdari avait été pressenti pour être nommé à la tête de la Mahkama
dont la création, projetée à la mosquée de Paris en 1948, a été durement
critiquée par La République algérienne qui y voyait une reconstitution
sous une autre forme de la Brigade spéciale de police nord-africaine,
créée fin 1924 par le Cartel des Gauches et dissoute en 1945 par le
général de Gaulle. M. Yazid est un ancien Centraliste, qui s’occupait de
la section parisienne du MTLd, où il entretenait des relations
épistolaires avec Abane Ramdane quand celui-ci était emprisonné à la
prison d’Albi à partir de 1950 (entretien avec A. Mahsas, Alger, mars
2000). Il a rejoint le FLN avec le groupe des Centralistes, avant d’être
dépêché à New York où, Aït Ahmed et lui ont réussi à faire inscrire
l’affaire algérienne à l’ordre du jour de l’ONU à la session de 1955.
Après septembre 1958, le GPRA en fait son ministre de l’Information.
Bennabi dit avoir été « sidéré par son ignorance » lorsqu’il l’a
rencontré au Caire en tant que ministre du GPRA. Témoignage pour un
million de martyrs.
Les relations secrètes d’Abane Ramdane (qui appartenait à l’OS) avec les Centralistes et la révélation de sa première appartenance à l’UDMA (entretien avec l’historien M. Harbi) sous l’étiquette de laquelle son père était déjà conseiller municipal à Fort national de 1947 à 1951 (SHAT, 1H1241), expliquent qu’il ait si facilement réussi le ralliement au FLN de ces deux courants politiques rivaux. L’organisateur du congrès de la Soummam voulait faire de F. Abbas ce que Néguib avait été à Nasser, et faciliter ainsi les négociations avec le gouvernement français qui réclamait des « interlocuteurs valables ». Il est difficile de savoir si le CCE était alors disposé à se contenter de l’autonomie interne, comme le recommandait Moulay Hassan à F. Abbas et à T. Madani rencontrés fin 1956 à Tanger, après la visite du prince héritier chérifien chez G. Mollet (Révélation faite par T. Madani dans ses Mémoires « Hayatou Kifah » (Une vie de combat), SNEd, Alger, 1979, t. 3). ] Ibid.
Les relations secrètes d’Abane Ramdane (qui appartenait à l’OS) avec les Centralistes et la révélation de sa première appartenance à l’UDMA (entretien avec l’historien M. Harbi) sous l’étiquette de laquelle son père était déjà conseiller municipal à Fort national de 1947 à 1951 (SHAT, 1H1241), expliquent qu’il ait si facilement réussi le ralliement au FLN de ces deux courants politiques rivaux. L’organisateur du congrès de la Soummam voulait faire de F. Abbas ce que Néguib avait été à Nasser, et faciliter ainsi les négociations avec le gouvernement français qui réclamait des « interlocuteurs valables ». Il est difficile de savoir si le CCE était alors disposé à se contenter de l’autonomie interne, comme le recommandait Moulay Hassan à F. Abbas et à T. Madani rencontrés fin 1956 à Tanger, après la visite du prince héritier chérifien chez G. Mollet (Révélation faite par T. Madani dans ses Mémoires « Hayatou Kifah » (Une vie de combat), SNEd, Alger, 1979, t. 3). ] Ibid.
La parole au peuple, commissions d’enquête et Congrès extraordinaire
Les « situations exécrables » vécues pendant la guerre ne prendront fin que si le peuple est suffisamment informé de façon à éviter à l’ « édifice politique et social » de l’Algérie indépendante de « reposer sur la trahison, le stratagème et l’irresponsabilité »[Ibid.]. Pour cela, Bennabi propose que la parole soit donnée au peuple, après la réunion d’un congrès dans le cimetière où seront transférées les cendres de Mustapha Ben Boulaïd. Avant l’organisation des élections, le congrès devrait examiner les rapports de plusieurs commissions d’enquête sur différents sujets, comme :— les conditions de la création de la ZAA ;
— les circonstances de la mort de M. Ben Boulaïd, Laghrour Abbas, Zirout Youssef, Amirouche, « Colonel » Mohamed Bahi, Abdelhaï, etc.
[«
Colonel » M. Bahi était le surnom d’un capitaine qui dirigeait la zone
de Khenchela dans les Aurès, et faisait partie du groupe d’opposants au
congrès de la Soummam regroupés autour de Abdelhaï. Il est cité dans une
lettre du colonel Bentobbal (cpm de la wilaya 2) au CCE à Alger, SHAT,
1H1248. Bentobbal souligne l’usage de « l’instinct militariste des
Chaouias » par A. Mahsas, qui, au nom de Ben Bella, s’opposait aux
décisions de la Soummam et demandait aux partisans de Abdelhaï (qui
contrôlaient la « Base de l’Est », dite wilaya de Souk Ahras) de «
refuser d’être gouvernés par les transfuges de l’UDMA et du Comité
central » après l’indépendance.
Dix-huit parmi ces officiers ont été exécutés en Tunisie fin 1956 - début 1957 par le CCE représenté par le colonel Ouamrane (Entretien avec A. Mahsas en mars 2000).
Les partisans d’Abdelhaï étaient appelés les « Soufis », parce qu’il y avait parmi eux des Algériens de Tunis originaires de l’Oued Souf. Abdelhaï, de son vrai nom Saïdi, était originaire de Guémar et avait étudié à l’Institut Ben-Badis de Constantine (entretien avec Abdelmadjid Cherif, qui est lui-même issu d’une famille de soufis vivant entre El Oued et Tunis ; il est un des rares rescapés du groupe d’Abdelhaï ; après avoir été secrétaire général du ministère algérien des Affaires religieuses, il a occupé le poste de vice-recteur de la mosquée de Paris de 1989 à 1998).
En outre, Bennabi se fait ici l’écho d’une thèse assez répandue dans l’ALN, assimilant la mort de plusieurs de ses chefs à des éliminations indirectes qui auraient été facilitées de l’extérieur par l’usage de vieux codes dans les transmissions de façon à permettre à la goniométrie militaire française de localiser le destinataire de ces communications. Ces accusations ont été proférées notamment à propos de la mort des colonels Amirouche (mars 1959) et Si M’hamed (mai 1959), et celle du commandant Si Tarek (15 août 1961). Cet ancien responsable de la zone 4 d’Oran a été élevé au grade de commandant pour être nommé en janvier 1961 à la tête de la wilaya 5 par le chef de la wilaya 4, le commandant Si Mohamed, qui a ainsi défié l’état-major de l’ALN en protestant contre l’installation à Oujda du conseil de la wilaya 5. Si Mohamed a été tué le 7 août 1961. Voir SHAT, 1H1646, carton contenant une quantité impressionnante de documents saisis à la mort de Si Mohamed à Blida, à la suite de la localisation de son PC par la goniométrie militaire.]
Dix-huit parmi ces officiers ont été exécutés en Tunisie fin 1956 - début 1957 par le CCE représenté par le colonel Ouamrane (Entretien avec A. Mahsas en mars 2000).
Les partisans d’Abdelhaï étaient appelés les « Soufis », parce qu’il y avait parmi eux des Algériens de Tunis originaires de l’Oued Souf. Abdelhaï, de son vrai nom Saïdi, était originaire de Guémar et avait étudié à l’Institut Ben-Badis de Constantine (entretien avec Abdelmadjid Cherif, qui est lui-même issu d’une famille de soufis vivant entre El Oued et Tunis ; il est un des rares rescapés du groupe d’Abdelhaï ; après avoir été secrétaire général du ministère algérien des Affaires religieuses, il a occupé le poste de vice-recteur de la mosquée de Paris de 1989 à 1998).
En outre, Bennabi se fait ici l’écho d’une thèse assez répandue dans l’ALN, assimilant la mort de plusieurs de ses chefs à des éliminations indirectes qui auraient été facilitées de l’extérieur par l’usage de vieux codes dans les transmissions de façon à permettre à la goniométrie militaire française de localiser le destinataire de ces communications. Ces accusations ont été proférées notamment à propos de la mort des colonels Amirouche (mars 1959) et Si M’hamed (mai 1959), et celle du commandant Si Tarek (15 août 1961). Cet ancien responsable de la zone 4 d’Oran a été élevé au grade de commandant pour être nommé en janvier 1961 à la tête de la wilaya 5 par le chef de la wilaya 4, le commandant Si Mohamed, qui a ainsi défié l’état-major de l’ALN en protestant contre l’installation à Oujda du conseil de la wilaya 5. Si Mohamed a été tué le 7 août 1961. Voir SHAT, 1H1646, carton contenant une quantité impressionnante de documents saisis à la mort de Si Mohamed à Blida, à la suite de la localisation de son PC par la goniométrie militaire.]
— l’assassinat au siège du GPRA au Caire en février 1959 de Amirat Allaoua, après avoir ébruité, au retour de Beyrouth, des contacts douteux qu’avait F. Abbas [Allaoua Amirat avait été représentant du FLN à Madrid en 1958. Il était entré en conflit avec Boussouf pour avoir refusé de faire partie de ses services secrets. Il a été nommé représentant du GPRA à Beyrouth par le premier ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire, Lamine Débaghine dont il était proche. C’est son prédécesseur à ce poste, Brahim Kabouya, qui était proche de F. Abbas, qui l’a mis en accusation. Interrogé par des collaborateurs de Boussouf au 5e étage du siège cairote du GPRA, A. Amirat a été défénestré le 10 février 1959. Voir Fathi Dib, Abdel Nasser et la révolution algérienne, L’Harmattan, 1985, p. 304.]
— le budget de l’ALN, pour le comparer à celui des ministères politiques et révéler le train de vie des membres du GPRA. La représentativité du CNRA devrait être examinée. Toutes les régions du pays, n’y sont pas équitablement représentées.
Bennabi conclut son témoignage en indiquant qu’il a pour but « d’éviter au peuple d’entrer dans la bataille des élections dans l’obscurité totale qui lui cache les tristes réalités : la révolution qui a été une période de souffrances et de deuil pour le peuple, a été fastueuse pour ses Zaïms, ceux-là mêmes qui ont dépensé son sang dans leurs banquets où coulent champagne et whisky. Leur comportement est identique à celui des émirs arabes qui construisent des palais des Mille et Une Nuits avec les recettes du pétrole de leurs pays » [Témoignage..., op. cit.]
L’auteur regrette qu’ « aucune voix d’intellectuel ou de Alem (savant religieux) ne se soit élevée pour dénoncer cet état de fait et faire prendre conscience au peuple de ses devoirs. Au lieu de cela, chacun veillait à prendre place au banquet des Zaïms, ou à attendre son tour » [Ibid.]
Il précise enfin qu’aucun des Zaïms à qui il a demandé de lire ce document à la tribune de la conférence de Tripoli, où s’est réuni le CNRA en mai 1962, n’a accepté de le faire.
Il tient à préciser que ses interrogations sur l’arraisonnement de l’avion de Ben Bella, qui a arrangé les partisans du congrès de la Soummam favorables à l’entrée dans le FLN des « interlocuteurs valables » en vue de l’ouverture des négociations, ne signifie en aucun cas « un parti pris en faveur d’un Zaïm contre les autres »[Ibid.]
Ces appréciations sans complaisance sont conformes à la vision qu’a toujours eue Bennabi de la politique en Algérie, et à sa grande méfiance de la presque totalité de la classe politique algérienne traditionnelle [Pour avoir repris à son compte cette méfiance de Bennabi vis-à-vis de la politique politicienne, Mourad Kiouane (frère de l’avocat centraliste Abderrahmane) qui dirigeait la revue Jeune Islam a été critiqué, en 1952, dans La République algérienne par des intellectuels de l’UDMA qui croyaient pouvoir régler l’ensemble des problèmes algériens par l’augmentation du nombre de leurs élus dans les différentes assemblées.]
Cela l’avait amené à critiquer sévèrement le cheikh Ben Badis après sa visite à Paris avec la délégation du Congrès musulman algérien, en août 1936. Il déplorait que les Oulémas, qui avaient une mission plus importante de renaissance morale, aient accepté d’être à la remorque de Bendjelloul et de F. Abbas dont il contestait la conception de la politique, et à qui il reprochait une certaine déculturation.
Les artisans du 1er novembre 1954, comme Ben Boulaïd – qu’il cite abondamment, sans doute parce qu’il l’avait connu avant 1954, lors de ses tournées de conférences dans le Constantinois, et notamment à Batna où les frères Bensaï le mettaient en contact avec de futurs chefs de l’ALN, comme Maache et d’autres – lui paraissaient traduire les aspirations du peuple algérien, au même titre que les dirigeants du mouvement islahiste de 1925, et d’avant la « déviation » de 1936. Il identifie le CRUA au peuple algérien : « C’est le peuple algérien qui, finalement, rompit l’intermède. Il lâche en effet en 1954, tous ses directeurs de conscience pour s’engager tout seul dans la révolution. » [Le problème des idées..., op. cit., p. 117]
Du fait du 1er novembre 1954, la direction de la révolution incombait aux militaires, estimait Bennabi qui contestait la légitimité des politiques issus des partis traditionnels, à ses yeux incapables de sortir de l’impasse dans laquelle ils avaient engagé le mouvement national. Il a été inquiété de voir des « intellectomanes » de la deuxième génération se « rallier, apparemment, à la révolution. En fait ils se rallièrent aux Zaïms qui distribuaient bourses et prébendes à Tunis et au Caire » [Ibid., p. 117.]
Malgré ses appréhensions, il a quitté le cadre paisible de la vallée de Chérisy pour rallier la révolution au Caire, à cause des craintes inspirées par le ralliement de F. Abbas, de Francis et, même, de Tewfiq al Madani qu’il juge sévèrement, notamment à cause de son « sabordage du Jeune Musulman » [Lettre du 10 avril 1957 à S. Bensaï. Sur un ton très polémique, Bennabi va jusqu’à parler d’une « récompense de Borgeaud » au secrétaire général des Oulémas pour cet acte antinational ! L’accusation est sans doute excessive, mais elle renseigne sur le profond désaccord avec une partie des Oulémas et la presque totalité de la classe politique algérienne. Aux uns et aux autres, il reprochait l’insuffisante place accordée à la vie intellectuelle, pour lui non moins importante que l’action politique dans une œuvre de longue haleine d’édification d’une nation.]
Bennabi n’a pas pu être un acteur de la révolution algérienne, sans doute en raison de son refus des compromis et de sa fidélité à l’état d’esprit avec lequel il s’était engagé dans les années 1930 dans un militantisme atypique, avec son « maître » H. Bensaï [Comme il l’appelle dans la dédicace de son premier livre, Le phénomène coranique, Nahda, Alger, 1947.], à qui il avait cédé sa place de secrétaire général de l’AEMNAF, après le raz de marée en sa faveur aux élections de fin 1931 [Bennabi, Mémoires d’un témoin du siècle, t. 2, L’étudiant (en arabe), op. cit., Dar al Fikr, Beyrouth, 1970, p. 55-59.]
Cet échec est surtout imputable à la grande méfiance des dirigeants du FLN vis-à-vis des intellectuels qui refusent d’échanger leur liberté d’expression contre la fonction de scribe, et qui n’étaient pas réceptifs à sa critique de l’étroitesse d’esprit inhérente au nationalisme, considéré par lui, dans la plupart de ses écrits, comme un passage obligé après l’échec patent de la colonisation [« Quand nous parlons d’un nationalisme quelconque, nous savons que nous parlons d’un certain complexe où entrent un certain chauvinisme, une certaine intransigeance. Il correspond bien par ses côtés négatifs, à une certaine fermeture sur soi-même, à un étranglement des consciences, à un rapetissement des cœurs. Voilà donc ce que peut être, sous son aspect négatif, un nationalisme, qu’il naisse en Europe, en Afrique du Nord ou en Amérique. » M. Bennabi, « De conscience à conscience », Le Jeune Musulman, no 15, du 13 février 1953.] Le FLN ne comprenait pas ses craintes, formulées dans L’Afro-asiatisme de voir la « haine des petits remplacer le mépris des grands », et ses citations d’Abu’l Kalam Azad, l’ancien compagnon musulman de Gandhi devenu ministre de l’Éducation nationale de l’Inde, avec lequel Bennabi avait des échanges épistolaires et qui préconisait une prévention de la rancune des colonisés par une réforme des programmes scolaires
[Bennabi désapprouvait la création du Pakistan, par opposition à toute idée d’État confessionnel. Il a soutenu également la mise à l’écart du pouvoir des Frères musulmans, en 1953, par les « Officiers libres » égyptiens pour les mêmes raisons. Il est satisfait que ce nouveau régime se tienne « à l’écart du confessionnel, d’une part, et décide de s’épurer du courtisanat de l’autre [...] En Égypte, le pouvoir se libère, en effet, de la cour faroukienne d’un côté, et, de l’autre, il tient à l’écart les Frères musulmans qui s’étaient d’ailleurs écartés d’eux-mêmes, de la vie politique », « La fin d’une psychose », Le Jeune musulman, no 18, du 27 mars 1953.]
À défaut d’avoir pu agir au sein de la révolution algérienne, il en a été le témoin attentif et sans complaisance. Malgré le caractère excessif de certains de ses jugements, sa liberté de ton devrait encourager encore une écriture de l’histoire démystifiée de la guerre d’Algérie. Aussi bien les Algériens que les Français ont besoin de cette démystification, quarante ans après la signature des accords d’Évian qui avait inspiré à Bennabi son témoignage censuré.
Ces inédits montrent également que cet « humaniste musulman du XXe siècle » [Pour reprendre le titre d’un des rares articles très bien informés que lui a consacrés le spécialiste américain de l’Algérie Allan Christelow dans The Maghreb Review, vol. 17, no 1-2, 1992, p. 60-83. Christelow affirme que « Bennabi aurait condamné Khomeyni » comme il avait vilipendé « Messali le démagogue ».] , partisan d’une « réforme intellectuelle et morale » et hostile à l’empirisme politique, qui citait Bonald et Péguy et se référait à Djamal Eddine Afghani, était également favorable à une « démocratie musulmane » [Il citait la phrase de Bonald : « De l’Évangile au Contrat social, ce sont les livres qui font les révolutions » ; celle de Péguy : « Toute politique suppose une idée de l’homme... », et Afghani l’intéressait comme « professeur d’énergie » (Louis Massignon).] Sa critique est concentrée contre le congrès de la Soummam qu’il assimile à un coup d’État destiné à écarter les premiers chefs de l’ALN qu’il croyait en mesure de faire de la politique sur des bases plus saines que celles des hommes de partis. Ceux-ci sont jugés sévèrement à travers sa grille de lecture de l’actualité qui était déduite de sa conception à lui de l’histoire, comme il s’en est expliqué dans un de ses articles écrits en arabe peu après son retour en Algérie [Al Hadathou wa at Tarikh (L’événement et l’histoire) publié dans l’éphémère journal Université et révolution (cité par L’Annuaire de l’Afrique du Nord, de 1966).]
Son jugement sur le FLN repose sur l’affirmation de la primauté de l’intérieur et le refus de la prééminence des politiques sur les militaires. D’où la dureté des reproches adressés aux politiques installés à l’extérieur. Il a sans doute été le seul à avoir exprimé en « temps réel » des critiques à l’intention des dirigeants de ce mouvement qui n’a fait l’objet d’un libre examen qu’à la parution des écrits de Mohamed Harbi dans les années 1970. Sans prendre parti pour un clan contre les autres, et en prenant des risques considérables, Bennabi voulait introduire le débat d’idées dans la vie politique algérienne dont la plupart des acteurs avaient des inclinations totalitaires, refusaient systématiquement toute remise en cause, et n’hésitaient pas à mettre la contestation sur le compte de la trahison. Pour avoir fait valoir son droit d’exprimer librement son point de vue, il a eu à subir des persécutions qui étaient destinées à le faire taire pour de bon [M. Bennabi, Miladou Mujtama (Naissance d’une société), Dar al Orouba, Le Caire, 1962, p. 159-151.]
Son témoignage inédit mérite d’être ajouté à l’ensemble des documents peu connus, que l’ouverture des archives en France et en Algérie rend accessibles, et dont l’examen aidera à éclairer les zones d’ombre de l’histoire contemporaine de l’Algérie et à revoir les stéréotypes, comme ceux qui ont été diffusées sur M. Bennabi lui-même, par des politologues notamment [Voir, entre autres, G. Kepel, Les banlieues de l’Islam, Le Seuil, 1987 ; et O. J. L. Carlier, L’Algérie entre Djihad et Nation, Presses de Sciences-Po, 1996. Les deux politologues se contentent d’une tradition orale imprécise, et parfois inexacte, concernant l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages qu’ils négligent de lire.]
http://www.liberation-opprimes.net/index.php?option=com_content&view=article&id=965:algerie-les-araignees-qui-pleurent-et-qui-maudissent
Sadek Sellam « Le FLN vu par l'écrivain Malek Bennabi (1905-1973) », Guerres mondiales et conflits contemporains 4/2002 (n° 208), p. 133-150.
URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2002-4-page-133.htm.
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