Par Mediapart.fr,
Le deal s'est fait sous Chirac. Le marchand d'armes Ziad Takieddine a
bien été payé d'une partie des commissions qu'il réclamait sur la vente
des frégates à l'Arabie saoudite, au cœur de l'enquête
des juges Van Ruymbeke et Le Loire. Ces paiements, promis en 1994 par
le gouvernement Balladur mais bloqués sur instruction du président de la
République fin 1996, auraient été partiellement
effectués, entre 1997 et 1998, grâce à l'intervention du premier
ministre libanais Rafic Hariri auprès de Jacques Chirac, d'après
plusieurs documents et témoignages recueillis par Mediapart.
Selon un décompte effectué devant les juges, M. Takieddine a lui-même
admis avoir conservé un montant de 70 millions de dollars sur une somme
totale de 130 millions, qui a transité par une
institution financière de M. Hariri, la Banque de la Méditerranée. M.
Hariri se serait ainsi substitué à l'office d'armement Sofresa pour
régler secrètement son dû à l'intermédiaire des
balladuriens. Les contrats liant la Sofresa et les sociétés de M.
Takieddine et ses associés ayant été simultanément détruits dans les
sous-sols d'une banque suisse, le 10 mars 1997.
Le marchand d'armes, aujourd'hui mis en examen pour
«complicité et recel d'abus de biens sociaux», a maintenu le contact avec Rafic Hariri jusqu'à sa mort en 2005. Il avait d'ailleurs invité le
premier ministre libanais chez lui, à l'occasion de la visite de Jean-François Copé à Beyrouth, en octobre 2003.
Alors que Ziad Takieddine a pointé du doigt, la semaine dernière, l'existence d'un «système bis» piloté
par l'homme d'affaires Alexandre Djouhri, proche de Dominique de
Villepin
- une accusation démentie par l'intéressé et qui ne s'appuie pas sur
des éléments inédits -, l'existence de paiements reçus par M.Takieddine
sous Chirac laisse désormais entrevoir la possibilité
d'un deal conclu entre ex-balladuriens et chiraquiens au sujet des
commissions des frégates saoudiennes.
Ce scénario prend à contre-pied Dominique de Villepin, secrétaire
général de l'Elysée à l'époque des faits, et l'ancien ministre de la
défense Charles Millon qui avaient tous les deux affirmé avoir
purement et simplement écarté les intermédiaires à cause des soupçons
de corruption relevés par les services secrets français.
Dans un courrier inédit transmis aux juges (ci-dessous), Ziad Takieddine demande au premier ministre libanais, Rafic Hariri, d'intervenir auprès de son «ami» Jacques
Chirac afin que soit réglé le contentieux naissant entre l'office
d'armement Sofresa, dépendant de l'Etat, et les intermédiaires choisis
par le gouvernement Balladur pour la vente des frégates à
l'Arabie Saoudite dans le cadre du contrat Sawari 2.
Dans cette lettre, M. Takieddine accuse les chiraquiens de vouloir «récupérer» ou «s'emparer» des sommes d'argent qu'il devait encaisser. Il évoque les menaces
reçues d'un«émissaire du Président», lui demandant «de tout arrêter». Il se plaint d'être devenu «la tête à abattre».
«Ce qui apparait aujourd'hui, c'est un retour aux anciennes
habitudes du pouvoir, consistant à mettre la main sur des sommes
d'argent, faisant partie intégrante d'un contrat d'Etat, sur lequel
ils ont toute l'autorité, dénonce-t-il, pour d'un côté
contrôler les paiements, et de l'autre côté, (...) le faire tout
discrètement en cachant toutes les allégations et leurs
actes dans le très convenable secret défense».
« La France respectera tous ses engagements »
En soulignant «l'urgence de trouver une solution à ce problème grave», M. Takieddine sollicite un rendez-vous au premier ministre libanais «avant que les choses
s'enveniment». Un processus d'arbitrage engagé à Genève risquait, de fait, d'ébruiter l'affaire, comme Mediapart l'a déjà raconté.
«J'ai pensé à M. Hariri, que je ne connaissais pas, mais qui était le seul capable de parler à son ami, M. Chirac, a expliqué M.Takieddine aux juges. J'en
ai parlé au
ministre des affaires étrangères libanais que je connaissais et lui ai
remis une note de trois pages à l'attention de M. Hariri. Je lui
expliquais tous les faits et lui demandais d'intervenir
auprès du président Chirac pour qu'il puisse faire respecter les
engagements de la France.»
De
gauche à droite: Farès Bouez, ancien ministre, Ziad Takieddine, l'ambassadeur Lecourtier et Jean-François Copé.©
(Mediapart)
C'est donc l'un de ses amis, l'ancien ministre des affaires étrangères
du Liban, Farès Bouez, qui a introduit Ziad Takieddine auprès de Rafic
Hariri. M. Bouez sera aussi l'un des hôtes de
Jean-François Copé lors de sa visite au Liban en 2003, organisée par
le même Takieddine.
Ziad Takieddine a demandé à Farès Bouez «de remettre cette note,
qui était sous pli fermé, à M. Hariri dans l'avion qui les conduisait à
New York, à la mi-septembre 1996». «A son arrivée à
New-York, le ministre m'appelle pour m'informer que M. Hariri a lu la
note devant lui et qu'il souhaite me rencontrer dès son retour à Paris
trois jours plus tard», a expliqué Ziad
Takieddine au juge Van Ruymbeke.
Une première rencontre avec Rafic Hariri a lieu «à 11 heures du
soir, chez lui, place d'Iéna». «Il me dit qu'il a lu ma note. Il me dit
que M. Chirac n'a pas pu faire cela, qu'il ne le
croit pas. Je lui réponds que tout est vrai. Il m'informe qu'il doit
déjeuner le lendemain avec M. Chirac et s'engage à m'appeler avant son
départ à Beyrouth. Il m'appelle le lendemain à 15 h et me
demande de l'accompagner à l'aéroport. Il m'indique, en route vers
l'aéroport du Bourget, que le problème a été réglé et que la France
respectera tous ses engagements.»
Dans la foulée, M. Takieddine aurait demandé «un écrit» au premier ministre libanais. «Il
m'a répondu que M. Chirac ne rédigerait pas de papier. Je lui ai
demandé s'il
acceptait de se porter garant. Il ne voulait pas. Il me proposait que
sa banque, la Banque Méditerranée à Beyrouth, puisse l'être. Je lui ai
demandé si c'était lui ou si c'était M. Chirac qui
allait tenir les engagements. J'ai senti une hésitation de sa part. Il
me disait que ce n'était pas mon problème mais que les engagements
seraient respectés.»
Un nouveau rendez-vous réunit Takieddine, Hariri et le prince Sultan, ministre de la défense saoudien, à Genève : «La
veille de la rencontre, j'ai dîné avec Hariri à
l'Intercontinental à Genève et le lendemain nous sommes allés voir le
Prince Sultan, dans son palais à Genève, à 11 heures où nous l'avons
rencontré trois-quarts d'heure».
M. Hariri aurait «tout raconté» au dignitaire saoudien : «son
intervention à ma demande, sa rencontre avec le président Chirac et
l'engagement de celui-ci à respecter
tous les termes du contrat. Le président Chirac lui avait dit qu'il
avait considéré par erreur qu'il y avait du financement illicite à
travers ce contrat et que désormais il respecterait tous ses
engagements.»
Villepin et Millon ont-ils menti ?
Du côté des balladuriens, le règlement de l'affaire semble avoir
été un secret de Polichinelle. Thierry Gaubert, l'ami et ancien
collaborateur de Nicolas Sarkozy, mis en examen dans
l'affaire, a ainsi indiqué au juge avoir appris par Takiedddine
«qu'il avait trouvé un arrangement avec M. Rafic Hariri, qui avait fait le lien entre lui et Chirac pour le paiement de ses
commissions liées à Sawari 2».
Lors de son audition, Ziad Takieddine a détaillé sa rémunération dans l'affaire des frégates vendues à l'Arabie saoudite.
De 1995 à 1997, il assure avoir été rémunéré par la partie saoudienne,
sur un compte au Crédit suisse et/ou à la banque Audi de Genève. Les
contrats signés prévoyaient en effet un délai de deux ans
avant le paiement des commissions. «J'ai perçu au total un montant
de l'ordre de 70-75millions de dollars payés par un avocat représentant
le Prince Sultan, de 1995 à 1997, en quatre
paiements», a révélé M. Takieddine.
Interrogé sur la somme globale reçue de M. Hariri après son
intervention auprès de Jacques Chirac, le marchand d'armes s'est montré
précis. «M. Hariri m'avait ouvert un compte à la Banque
Méditerranée, Verdun, pour recevoir cet argent. Il y a d'abord eu 75
millions de dollars versés en avril 1997 puis, deux ou trois mois après,
45 millions de dollars.»
Cette somme de 130 millions de dollars, déjà évoquée dans les documents révélés début septembre par Mediapart,
aurait été partagée
avec le cheik Ali Ben Moussalem, un dignitaire saoudien présenté au
début de l'été 1993 par M. Takieddine à Edouard Balladur et son
directeur de cabinet, Nicolas Bazire, lui aussi mis en examen
dans l'affaire.
«J'ai payé ce que je devais au cheik Ali Ben Moussalem
a expliqué M. Takieddine.Selon
mon souvenir, cela représentait, pour les 75 premiers millions de
dollars, les deux-tiers,
soit un montant de l'ordre de 50 millions de dollars. J'ai conservé un
tiers, que j'ai versé sur un compte suisse. Les 45, je les ai conservés
intégralement sur le compte que j'avais à la Banque
Méditerranée au Liban. J'avais préalablement consulté le Prince Sultan
qui m'avait tout laissé.»
L'addition est simple : le versement de Rafic Hariri aurait donc
rapporté 70 millions de dollars à M. Takieddine, auquel il convient
d'ajouter 75 millions versés directement par la partie
saoudienne avant 1997.
L'intervention de Rafic Hariri auprès de Jacques Chirac et les
paiements finalement effectués en faveur de Ziad Takieddine viennent
désormais modifier le scénario jusqu'ici avancé par les
responsables politiques chiraquiens.
Les scénarios de la corruption
L'ancien ministre de la défense Charles Millon avait en effet assuré l'an dernier avoir reçu
l'ordre «dans les quinze jours»suivant sa nomination, en mai 1995, de «procéder à la révision des contrats d'armement», tandis que Dominique de Villepin confirmait la
décision prise par le président Chirac«d'annuler certaines commissions». Nul n'a évoqué la possibilité d'un deal. Seulement voilà, celui-ci semble patent et désormais documenté.
Si Rafic Hariri s'est donc substitué à la Sofresa pour régler
une partie des commissions, il reste à déterminer sur quels fonds il l'a
fait. Ou comment il a été lui-même remboursé des 130
millions de dollars versés à M. Takieddine.
Deux hypothèses sont avancées. Selon M. Takieddine, M. Hariri aurait
reçu, en échange de son intervention, le paiement par le royaume
saoudien «de factures impayées» à hauteur de
1,3 milliard de dollars. Peu vraisemblable : c'est généralement le
vendeur, et non pas l'acheteur, qui verse les commissions... L'origine
des fonds est peut-être plutôt à chercher du côté
français.
Selon Michel Mazens, ancien patron de la Sofresa, après avoir acté
l'annulation officielle des contrats du réseau de M. Takieddine et de
ses amis en mars 1997, l'office d'armement a
reversé à l'industriel Thalès l'intégralité des commissions prévues.
«Tous les plannings de paiement du client saoudien ont été revus
pour que la colonne qui devait payer le réseau "K" - nom du réseau
Takideddine, NDLR - aille abonder le compte de l'industriel,
Thalès, a déclaré M. Michel Mazens à Mediapart. C'est ce qui a été fait et mis en œuvre.»L'industriel était donc le dépositaire de ces fonds. Il était en capacité d'opérer
éventuellement le dédommagement de M. Hariri. C'est la deuxième hypothèse.
Dans des explications successivement relayées par le Journal du Dimanche, Le Nouvel Observateur et Le Monde, Ziad Takieddine va plus loin et assure
qu'un «système bis» a été mis en place au sein même de Sofresa. «En
remplacement des sociétés Rabor et Estar, dont les contrats ont été
détruits, il y a eu trois
destinataires. Une partie a bénéficié à une société qui représente M.
Chirac. Une autre partie a bénéficié à une autre société qui représente
M. de Villepin. La troisième société est celle de M.
Djouhri qui chapeaute les trois sociétés.»
A l'appui de sa démonstration, Ziad Takieddine a relevé les versements
opérés par la Sofresa après son indemnisation par Rafic Hariri. Ces
éléments apparus lors des perquisitions effectuées chez
Sofresa - aujourd'hui rebaptisée Odas - en avril dernier ne font
évidemment pas apparaître les noms de MM. Chirac, Villepin ou Djouhri.
Il s'agit de versements effectués en faveur de deux sociétés baptisées
Parinvest (du groupe saoudien Bugshan) et Issham For Contracting
Maintenance, qui ont respectivement reçu 85,4 millions
et 1,4 milliard de francs de la Sofresa.
«Il n'y a aucune substitution de réseau, a expliqué de son côté l'ancien patron de Sofresa, M. Michel Mazens à Mediapart. Le
groupe Bugshan a été l'un de nos relais, pour des
travaux de maintenance sur place, dans le pays client. Quant à la
somme importante en faveur de la société Issham, il s'agit d'un
versement légal destiné à apurer les commissions prévues au
contrat, avant la mise en œuvre de la convention OCDE, qui les
interdisait à compter de juin 2000».
Pour tenter d'y voir plus clair dans le maquis comptable des
commissions occultes du marché des frégates saoudiennes, les juges Van
Ruymbeke et Le Loire ont demandé l'élargissement de leur enquête,
pour l'instant limitée à la période 1993-95, aux années suivantes.
C'est-à-dire à l'ère Chirac. Le parquet de Paris, à qui il revient de
donner une réponse favorable (ou non) à la requête des
juges, n'a pas encore rendu sa décision.
1 Comments
Démonstration scientifique du meurtre de JLL par .....
http://www.amazon.fr/Une-myst%C3%A9rieuse-enc%C3%A9phalite-Jean-Luc-Lagard%C3%A8re/dp/2748388518/ref=pd_rhf_gw_p_t_1